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Intervention de Chantal Brunel

Réunion du 25 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Brunel, secrétaire général de la Société des gens de lettres :

Pour la Société des gens de lettres, les enjeux de la numérisation de notre patrimoine écrit peuvent s'apprécier selon deux points de vue : celui des auteurs, qui est aussi, par certains aspects, celui des éditeurs et des lecteurs, et celui du pays tout entier, c'est-à-dire selon un point de vue citoyen.

Pour des raisons chimiques, le papier imprimé s'autodétruit à long terme. Du point de vue des auteurs, la pérennisation de notre patrimoine écrit passe donc obligatoirement par sa numérisation.

La généralisation de l'outil informatique et de la communication par Internet impose aussi comme une règle inévitable la consultation sous forme de fichiers numériques des oeuvres non disponibles en librairie ou en bibliothèque.

Le passage d'une forme physique à une forme numérique des livres pour la transmission de la culture écrite impose un respect absolu de la qualité du mode de diffusion. Celle-ci comporte trois aspects. Le premier est la qualité de la numérisation. Elle commence avec le respect scrupuleux de l'intégrité de l'oeuvre : texte et appareil éditorial complets, maintien de la présentation graphique voulue par l'auteur et l'éditeur, bonne qualité de la reproduction. Le respect de l'intégrité de l'oeuvre, que garantit notre droit moral, peut aussi résider dans le choix motivé par l'auteur d'une version précise d'un texte.

Le deuxième critère de qualité est le souci de donner accès à l'oeuvre selon des modes de recherche pertinents et liés à la qualité des contenus. Or, les moteurs de recherche, – en particulier Google, le premier d'entre eux – fonctionnent selon une logique, non pas culturelle, mais commerciale, et selon le principe d'une supposée « intelligence collective » ; la pertinence d'une recherche y est assise sur le nombre d'individus utilisant les mêmes mots-clés, eux-mêmes générateurs du meilleur marché publicitaire possible.

Le troisième critère réside dans le respect des droits de chacun – auteurs, éditeurs mais aussi lecteurs. Pour les auteurs, le nécessaire respect de la qualité du mode de diffusion des oeuvres de l'écrit sous forme numérique apparaît comme la garantie des droits des lecteurs, notamment celui d'accéder à des contenus d'une qualité sûre.

Puisque nous vivons dans une société où le culturel est fréquemment inféodé à l'économique, nous rappellerons que le lecteur est aussi un consommateur, s'acquittant le plus souvent d'un paiement en échange duquel il acquiert un droit d'accès à l'oeuvre qu'il a choisie. Ses exigences à l'égard d'une oeuvre présentée sous forme numérique sont au nombre de quatre. La première est la qualité de la numérisation : un texte dont la visibilité est détériorée perd de son attractivité. À l'heure du déclin de la lecture, il serait dommage de ne pas la soutenir. La deuxième est un accès aux oeuvres qui dépende de la pertinence de la demande précise, et non pas du nombre de clics déjà enregistrés de la part d'autres internautes ayant formulé une demande comparable. La troisième est la fiabilité du texte communiqué, autrement dit la certitude que l'oeuvre à laquelle on a accès est intègre, c'est-à-dire complète et exempte de toute modification. La quatrième est la pérennité des formats et des supports ; le respect constant des règles d'interopérabilité permet de l'obtenir.

Pour la Société des gens de lettres, Gallica, bibliothèque numérique de la BNF, répond à l'ensemble de ces exigences. La SGDL rappelle que la procédure qu'elle a intentée en France à l'encontre de Google, aux côtés des Éditions La Martinière et du Syndicat national de l'édition, se fonde principalement sur le respect du droit moral des auteurs. Inaliénable, incessible et imprescriptible, ce droit recouvre notamment le respect de l'intégrité de l'oeuvre, dont Google s'affranchit. Le jugement sera rendu le 18 décembre prochain.

Auteurs, nous sommes aussi des citoyens. Pour nous, le patrimoine écrit appartient à la France et aux Français. Ce principe doit être gardé à l'esprit avant toute transmission. Ensuite, un patrimoine culturel ne doit pas être traité comme une source de rentabilité, notamment au profit d'un moteur de recherche. Peut-on envisager de laisser des structures commerciales privées exploiter des contenus culturels publics ?

Néanmoins, pour des raisons techniques ou financières, une bibliothèque nationale peut avoir besoin du savoir-faire d'une entreprise privée, même étrangère. La question est alors celle des termes de l'accord susceptible de les lier. Ne serait-ce parce que les opérations de numérisation sont longues et coûteuses, ce type d'accord est obligatoirement conclu pour la durée. Or, qui peut prédire le devenir de la structure commerciale avec laquelle une bibliothèque nationale aura conclu un accord, connaître le nom de ses futurs propriétaires, ou la politique de ses futurs dirigeants ? Un patrimoine culturel ne peut pas se trouver exposé à de telles incertitudes.

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