Madame la présidente, mesdames et messieurs, une étude des pratiques culturelles des Français au cours des dix années – 1997-2008 – montre une évolution marquée notamment par l'irruption du numérique : si 1 % des Français avaient accès à Internet en 1997, ils sont aujourd'hui plus de 70 % dans ce cas, le développement du haut débit contribuant encore, depuis 2004-2005, à multiplier les accès et les usages.
Une des principales conséquences en est l'émergence d'une culture d'écran qui rogne petit à petit, notamment dans les nouvelles générations – les « Internet natives » –, les pratiques classiques de la lecture – qu'il s'agisse de la littérature ou de la presse –, mais aussi, fait nouveau, réduit le temps consacré à regarder la télévision et à écouter la radio.
Deuxième observation : le plafond de verre qui limite l'accès à la culture se retrouve malheureusement dans l'accès à la culture numérique, les usages culturels d'approche des contenus montrant la même segmentation socioprofessionnelle. Ainsi, si le numérique favorise un accès plus large, plus facile, il ne permet pas pour autant aux catégories socioprofessionnelles les moins avantagées d'accéder à la culture de manière construite. Là se situe d'ailleurs l'un des enjeux du numérique aujourd'hui.
L'irruption du numérique est-elle un bien ou un mal ? Le débat est-il entre volume et qualité, entre individualisme et partage de pratiques collectives ? Nous pourrons en discuter. En tout cas, ce phénomène est mondial, et il appartient maintenant au ministère de la culture de l'accompagner, de l'orienter, de l'enrichir avec l'ensemble des autres acteurs du monde culturel, mais aussi de guider l'usager dans le dédale d'Internet.
Contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, le ministère ne découvre pas ces sujets, se réveillant brutalement. Autour de cette table sont d'ailleurs représentés plusieurs établissements publics sous tutelle du ministère qui ont anticipé ces mouvements et, même s'ils sont à la recherche de moyens supplémentaires, ont, dès la fin des années 1990 et surtout depuis le début des années 2000, réalisé un travail considérable, tant du point de vue conceptuel que de celui des contenus numériques.
Ainsi, le portail d'accès aux collections du site www.culture.fr, développé par le ministère depuis 2003, rassemble aujourd'hui plus de 3 millions de références.
L'appel à projet « numérisation » lancé en 2006 permet, moyennant 2,5 à 3 millions d'euros par an, de conforter ou de lancer des processus de numérisation dans les collectivités locales, les établissements publics locaux, mais aussi dans les établissements publics nationaux : depuis trois ans, ce sont près de 500 structures qui ont été ainsi accompagnées ou mises sur le chemin de la numérisation.
Parmi les collections thématiques de grande qualité développées au sein de l'État, on trouve « Grands sites archéologiques », « Célébrations nationales » et d'autres sites sur la recherche ethnologique.
Le portail « Histoire des arts », lancé il y a à peine une semaine et qui fera l'objet d'une prochaine communication, collecte l'ensemble des données produites par la sphère publique et apporte une aide aux enseignants chargés des cours d'histoire des arts, matière devenue obligatoire l'année dernière en primaire et cette année au collège.
Enfin, un certain nombre de rencontres ou de soutiens sont venus en appui des pratiques culturelles numériques.
Je n'aurai garde d'oublier l'action déterminée de grands établissements comme la Bibliothèque nationale de France – son président actuel en parlera mieux que moi –, l'Institut national de l'audiovisuel, la Réunion des musées nationaux, Le Louvre, le Musée d'Orsay ou la Cité de la musique qui, de manière peut-être trop silencieuse encore, ont développé un contenu numérique de qualité et pleinement accessible.
Dans son discours prononcé vendredi à Avignon, M. Mitterrand a défini la stratégie du ministère « pour un nouveau monde » autour de trois axes.
Il s'agit d'abord d'accompagner le passage au numérique et la numérisation en embrassant l'ensemble du champ culturel, c'est-à-dire le livre, la presse, le cinéma – avec l'équipement numérique des salles –, les médias, les fonds patrimoniaux des collections publiques, mais aussi les usages. À cet égard, un rapport, élaboré collectivement par des acteurs publics et privés sous la coprésidence de Bruno Ory-Lavollée et de moi-même, devrait être rendu public prochainement, proposant une vingtaine de pistes d'action afin de diffuser et de mieux réutiliser les données publiques culturelles.
Ensuite, le ministre a lancé deux grandes missions, confiées à Marc Tessier, d'une part, et à MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, sur le développement de l'offre légale, d'autre part.
Le troisième axe est la protection des auteurs, que ne doivent surtout pas exclure la multiplication des usages et le modèle économique à définir en aval. Le ministère étant le protecteur des auteurs et des créateurs, un bureau spécialisé a été créé au sein du secrétariat général. En effet, si les créateurs n'ont plus les moyens d'exister, il n'y aura plus de création, et c'est tout l'enjeu.
Plusieurs actions, d'ores et déjà annoncées par le ministre au Forum d'Avignon, découlent de ces priorités.
D'abord, le soutien à la numérisation. En sus des 30 millions d'euros que consacrent l'État et ses établissements publics chaque année, le ministre a demandé à disposer au titre du Grand emprunt de 750 millions d'euros supplémentaires, dont 620 millions pour la numérisation, mais aussi 80 millions pour les infrastructures. En effet, une chose est de produire des contenus de qualité, une autre est de les stocker et de les conserver ; or à cet égard, l'État a un grand chemin à faire pour mutualiser ces investissements. La BNF a déjà un grand projet de stockage. Dans ce domaine, les perspectives sont exponentielles : on parle de pétaoctets, c'est-à-dire de choses malheureusement très coûteuses. Le reste de ce qui est demandé – 53 millions d'euros – servira à développer les nouveaux services d'appui, c'est-à-dire tout ce qui pourrait faciliter l'accès à la culture, que ce soit dans des établissements publics, sur des sites de partage d'information ou sous d'autres formes que nous ne pouvons encore imaginer mais qui émergeront sans aucun doute, notamment des partenariats avec des entreprises et des laboratoires de recherche.
La deuxième action consiste en la mise en réseau des contenus des offres publiques de l'État, des collectivités locales, des établissements publics locaux et nationaux. Le souhait du ministre est de voir se développer, à partir du site www.culture.fr, un véritable portail du patrimoine culturel qui serait ouvert non seulement au ministère et à ses établissements publics, mais aussi à l'ensemble des établissements publics de l'État – d'autres ministères recèlent des mines et des merveilles de patrimoine –, ainsi qu'aux partenaires privés qui voudraient s'y associer.
Troisièmement, le ministre souhaite voir émerger de nouveaux dispositifs culturels innovants. C'est la raison pour laquelle a été ouvert, il y a quelques semaines, un appel à projet pour les services culturels innovants en ligne : une somme, certes encore modeste, d'un demi-million d'euros devrait ainsi permettre de lancer des expérimentations et de tester ces services.
Enfin, dans le cadre de la réorganisation du ministère, le ministre a souhaité qu'un département consacré aux programmes numériques soit créé au sein du secrétariat général.