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Intervention de Jean Gaubert

Réunion du 18 novembre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Gaubert :

Monsieur Myard, tout ce qui est excessif est insignifiant. Cette littérature relève de l'anecdotique – mais elle existe, c'est vrai.

Je voudrais partir d'un constat : il y a cinq ou dix ans, le phénomène du port du voile intégral en France tenait de l'exceptionnel ; aujourd'hui, c'est devenu un phénomène marginal. La nuance est importante. Qu'en sera-t-il demain ? Dans certains quartiers de Paris, Lille, Lyon, Marseille ou ailleurs, les burqas ou les tenues salafistes modifient le paysage urbain et entrent en contradiction avec un choix fait de longue date par les citoyens français : celui de ne pas afficher trop ostensiblement ses différences dans l'espace public.

Il est clair que le port du voile intégral porte le sceau d'un combat qui est politique avant que d'être religieux. Les intégristes travestissent habilement un sectarisme politique en religion pour bénéficier d'un blanc-seing en vertu du principe de laïcité qui garantit la liberté de croyance : telle est la souricière dans laquelle ils veulent nous entraîner.

Il y a, par conséquent, un premier chemin sur lequel la LICRA ne se hasardera pas : celui de la théologie, de l'exégèse religieuse, du décryptage des sourates du Coran. Il n'appartient pas aux démocrates que nous sommes de différencier le bon du mauvais islam et d'en tracer les frontières – et j'espère donc que le débat ne s'engagera pas dans cette voie.

C'est un autre chemin que la Ligue empruntera, avec prudence et ménagement. Tout au long de son histoire, elle n'a eu de cesse de défendre un principe essentiel qui régit le « vivre ensemble » : le respect de la laïcité, qui fait partie de sa raison d'être et qu'elle ne manque pas de placer au centre de ses activités, notamment éducatives.

Auditionnée par la commission présidée par M. Stasi en 2003, la LICRA a pris parti pour la loi qui, à ses yeux, a eu en 2004 l'incontestable vertu de pacifier les situations de revendication religieuse dans les établissements scolaires. Néanmoins, veillons à ne pas transformer la laïcité en placebo de l'ensemble des maux identitaires de notre société, au risque d'affaiblir ce pilier de la République. Ainsi, est-il opportun d'en appeler à la laïcité pour réglementer la tenue vestimentaire d'adultes dans la rue ?

Le voile intégral, instrument politique d'une démarche politique, porte atteinte au projet de communauté de destin et d'unité nationale dans notre pays, ce pour plusieurs motifs.

Tout d'abord, il porte atteinte à la condition et à la dignité des femmes. C'est un instrument d'oppression enfermant la femme – le seul sujet visé dans cette pratique – dans une véritable prison. Il la soumet à un authentique apartheid physique et social. Il frappe son corps en rendant visible l'invisible. Il est le symbole même de l'endoctrinement idéologique qui fait que ces femmes s'autostigmatisent. Le plus souvent, elles le portent soumises et forcées ou, comme dans une secte, avec la foi aveugle de la bigote. Il ne fait aucun doute que le voile intégral exclut la femme de l'espace public et efface son identité de citoyenne. Il l'enferme de facto dans une caste d'intouchables.

Le voile intégral est une atteinte aux valeurs de la République.

Certains objectent que c'est le choix de ces femmes d'être voilées et qu'elles disposent de leur liberté. Eh bien non, pour nous, à la LICRA, on ne dispose pas de sa liberté quand celle-ci tourne le dos aux deux principes fondamentaux de notre République : l'égalité et la fraternité. Voilà comment les intégristes renversent les principes de liberté et de droit à la différence en les instrumentalisant contre la République et ses valeurs.

Ce stratagème est bien connu à la LICRA et combattu par l'association. Dans des instances internationales, aux Nations unies notamment, on voit certains États remettre en cause l'universalité des droits de l'homme au nom du relativisme culturel, au nom même des principes de la démocratie. Là-dessus, il n'y a pas matière à négocier. Il n'y a qu'une réponse ferme à apporter : la France doit être courageuse, camper sur une position intangible, et défendre les valeurs issues des Lumières et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'elle a faites siennes depuis 1789.

Le voile intégral est une atteinte au « vivre ensemble ».

Quand les valeurs de la République sont bousculées, c'est le vivre ensemble qui est malmené. Si la liberté individuelle est un droit fondamental, elle inclut mécaniquement des devoirs, notamment envers l'autre : envers son concitoyen avec lequel on partage l'espace public. L'article 29 de la Déclaration universelle des droits de l'homme rappelle notamment que « l'individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible. (…) Chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi, exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui, et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. »

Le voile intégral constitue donc – mais il faut être capable de l'entendre – une intrusion violente et difficilement supportable dans l'espace public, dans le quotidien de la communauté nationale, dans une société sur qui pèse déjà le poids des discours identitaires.

Le voile intégral porte atteinte au maintien de l'ordre public, règle essentielle en droit français.

Sur la base de ce critère, la liberté de conscience et la liberté de religion peuvent être légitimement limitées par le législateur, à condition que cette limitation soit nécessaire dans une société démocratique. Le Conseil d'État comme la Cour européenne des droits de l'homme admettent l'interdiction du voile dès lors qu'elle est justifiée par le maintien de l'ordre public. Dans le cas particulier de la photographie d'identité pour un permis, un passeport, un titre de séjour, les juges acceptent l'obligation d'être photographié tête nue. Cette prescription devrait également s'appliquer au guichet d'une banque, à la caisse d'un supermarché – pour un paiement par chèque par exemple –, ou à la sortie d'une école. Le refus d'ôter le voile intégral soustrait la femme à une règle élémentaire de sécurité publique.

Lutter contre l'enfermement sectaire et identitaire que représente le port du voile intégral passe incontestablement par la réaffirmation des valeurs de la République et par une meilleure application et transmission de ses principes. Il y a un combat à mener, avec toujours plus de détermination, contre le racisme et les discriminations. Ces dérives d'exclusion mènent inévitablement vers le repli identitaire, dont le voile intégral est le phénomène le plus patent.

Il y a un combat à mener plus fortement pour une véritable égalité des chances dans l'ensemble des espaces de notre République : à l'école, dans l'entreprise, dans le logement, etc.

Il y a un combat à poursuivre avec ténacité pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, il y a un combat à mener pour la laïcité. Il faut se dresser contre ceux – les promoteurs du voile intégral en sont – qui veulent imposer une vision sectaire de l'humanité, selon laquelle les individus seraient avant tout définis par leur appartenance religieuse ou ethnique.

La LICRA est aujourd'hui favorable à une extension du principe de laïcité : par exemple s'agissant des usagers des hôpitaux – loi hospitalière – ou du règlement intérieur des entreprises – code du travail.

Dans son rapport rendu en 2003, la commission Stasi avait émis vingt-sept propositions. Trois seulement ont été retenues, centrées sur la question du voile à l'école. Aujourd'hui, la LICRA demande que les vingt-quatre propositions restantes soient remises à jour dans les conclusions que rendra en janvier la mission d'information parlementaire, et que l'on précise les conditions de leur application. Je pense que si ces vingt-quatre propositions avaient été appliquées, nous n'aurions pas à nous réunir aujourd'hui autour de cette table.

Le débat sur le port du voile intégral occupe aujourd'hui le champ national. Mais les conclusions de la mission d'information parlementaire ne manqueront pas d'être scrutées et commentées dans d'autres pays. Depuis des siècles, les débats menés en France ont eu des répercussions en Europe et dans le monde. Au-delà des polémiques qu'elles pourront alimenter sur notre modèle, ces conclusions devront également servir à adresser un message de soutien appuyé de notre République aux femmes du monde vivant encore par millions sous l'oppression du voile intégral.

En conclusion, la LICRA est convaincue que le voile intégral constitue à plusieurs égards une atteinte au « vivre ensemble ». Toutefois, dans ce débat comme dans ses conclusions, elle insiste pour qu'on ne s'enferme pas à double tour dans un choix binaire, et souvent démagogique, entre acceptation et interdiction du port du voile intégral. Il faut dépasser le circonstanciel pour s'inscrire dans l'universel. Pour la LICRA, la question soulevée par la mission d'information parlementaire sur le port du voile intégral en France est plus large que son intitulé n'y prétend. Elle interpelle très clairement notre société sur la multiplication des signes ostensibles et sectaires dans l'espace citoyen. Elle interpelle la République sur ce qu'elle est en droit d'accepter au nom des principes qui sont les siens.

La LICRA encourage aujourd'hui la République française et ses représentants à élaborer un principe législatif interdisant sur son territoire tout comportement en société qui serait incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française. Ce nouveau principe législatif doit réussir le tour de force d'être à la fois un texte de combat, réaffirmant et imposant le respect des principes de la République comme dénominateur commun, et une loi d'apaisement oeuvrant à la conciliation du vivre ensemble et du pluralisme dans la cité.

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