Oui, Monsieur le rapporteur, j'avais suivi les discussions sur la loi de 2004. Le parallèle avec le débat d'aujourd'hui tient évidemment au fait que l'on parlait du port d'un signe vestimentaire. Mais les particularités étaient de deux ordres : d'abord, on visait un service public, où pouvait donc s'appliquer le principe de laïcité ; ensuite, il s'agissait d'un service public bien particulier, celui de l'enseignement, lequel concerne des enfants et des adolescents, dont on considère qu'ils peuvent légitimement bénéficier d'une protection renforcée. Tout en ayant la liberté de conscience, ils n'ont sans doute pas la maturité suffisante pour forger leur conscience de manière totalement libre ; c'est la raison pour laquelle on considère que la disparition de tout signe est conforme à l'exigence de laïcité, mais c'est un cas très particulier. Le milieu hospitalier est lui aussi un espace public particulier ; pour l'instant, on en est à ce que les Canadiens appellent les « accommodements raisonnables », c'est-à-dire qu'on s'arrange pour trouver des solutions.
La résolution n'aura de retentissement dans l'opinion, bien évidemment, que si les parlementaires se saisissent de ce nouvel instrument. Les premières utilisations seront déterminantes. Les conditions dans lesquelles une résolution sera adoptée le seront aussi : je pense à la présence des parlementaires au moment du débat, mais aussi à la possibilité d'un consensus républicain, comme ce fut le cas pour la loi de 2004 ; une résolution votée à l'unanimité aurait un retentissement certain.
L'intérêt de la résolution me paraît double. D'abord, la résolution affirme le rôle politique des parlementaires – qu'on avait voulu, disons-le, effacer en 1958 – et c'est pourquoi il faut l'utiliser. Ensuite, elle permet – c'est son objet même – de dire ce qui n'a pas vocation à être dit par le droit, et par exemple de prendre une position exprimant un jugement de valeur, en faisant référence, le cas échéant, à des principes républicains. Mais une prise de position politique n'a pas nécessairement vocation à produire des effets juridiques ; c'est pourquoi la norme et la résolution, j'y insiste, sont combinables : vous pouvez d'une part afficher une position politique de principe, et d'autre part en tirer les conséquences juridiques possibles, en tenant compte des contraintes de l'état de droit.
Je n'ai pas ici à préconiser, ou non, le statu quo. Je pense cependant que, de manière parcellaire et dispersée, il est possible de trouver des réponses à de nombreuses questions. On le constate à chaque fois qu'un problème se pose devant un juge. La loi pourrait être l'occasion de rappeler et de regrouper ces solutions. S'agissant des questions nouvelles qui peuvent se poser, sur le voile intégral comme sur d'autres signes d'appartenance religieuse, le législateur peut avoir un rôle d'anticipation.
Une loi, nécessairement lapidaire, qui poserait le principe d'une prohibition entraînerait deux problèmes. Le premier est celui de ses conséquences juridiques immédiates : comment faire pour appliquer cette prohibition de manière concrète et générale, sur l'ensemble du territoire, dans la sphère privée comme dans la sphère publique ? D'autre part, cette loi apparaîtrait nécessairement comme ayant un caractère politique, précisément parce que les modalités juridiques concrètes de sa mise en oeuvre ne seraient pas immédiatement visibles.
J'en viens enfin à trois thèmes récurrents dans vos questions : la dignité, la non-discrimination, les violences faites aux femmes.
Vous me reprochez de m'être positionnée du point de vue de la liberté de religion. Or je ne vois pas comment le juriste peut analyser le port d'un signe ou d'une tenue visant à manifester une appartenance religieuse autrement que comme l'exercice d'une liberté ; le droit n'est pas le lieu d'un jugement de valeur. Ensuite, on peut s'interroger sur la possibilité qu'offre le droit de protéger l'individu contre lui-même – car c'est bien de cela qu'il s'agit. Je souscris entièrement aux propos du professeur de Béchillon sur le consentement. Si chacun peut, à titre individuel, donner son sentiment sur tel ou tel comportement, il est extrêmement difficile, voire impossible, à l'auteur d'une norme juridique, et notamment au législateur, d'affirmer de façon générale que telle pratique est un asservissement ou une atteinte à la dignité. Le rôle du producteur de normes juridiques n'est pas de définir la dignité humaine. D'ailleurs, la jurisprudence, notamment administrative, se fondant sur le principe de dignité est rare.