On y reviendra au cours des débats. Que disent les organisations syndicales ? Elles disent qu'elles demandent la création d'une commission d'enquête parlementaire afin d'étudier l'impact des restructurations permanentes et de la gestion des ressources humaines à France Télécom-Orange sur les suicides de fonctionnaires et de salariés qui sont survenus dans cette entreprise, dont l'État – je le rappelle – demeure le principal actionnaire. Seule une commission d'enquête, avec la hauteur de vue nécessaire, serait à même de faire la lumière sur ces tragiques événements et d'indiquer les directions qui, au-delà des nécessaires mesures d'urgence, seraient susceptibles de remettre l'opérateur historique France Télécom sur des voies conformes à sa tradition et à sa mission. Tel est le fondement de notre démarche.
C'est pourquoi le 7 octobre 2009, nous avons déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « sur les conséquences sur la santé des salariés des restructurations permanentes, des nouvelles formes d'organisation du travail et méthodes de gestion du personnel à France Télécom comme dans l'ensemble des secteurs de l'économie nationale ». Le rapporteur a souligné que notre proposition était conforme en tous points à la loi et au Règlement de notre assemblée. C'est exact. Alors pourquoi la contester ?
L'amendement qu'a présenté M. Jean-Frédéric Poisson vise à la création d'une commission d'enquête « sur les conséquences sur la santé des salariés des nouvelles formes d'organisation du travail et des méthodes de gestion du personnel ». La différence de titre n'est pas anodine : il s'agit d'une modification de taille de l'objet de la commission d'enquête. Ce n'est nullement un élargissement de son champ d'investigation. La proposition du rapporteur vide en réalité notre proposition de sa substance.
Pour les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, il s'agit de démontrer que c'est le changement de statut de France Télécom et la recherche des profits, avec 22 000 suppressions de postes en trois ans, qui ont conduit à la mise en place de modes de management et d'organisation du travail aux conséquences dramatiques sur la santé des salariés de l'entreprise. France Télécom, que vous le vouliez ou non, constitue un cas d'école, dont l'observation aurait permis de mettre en lumière des phénomènes que l'on a pu observer ailleurs, et qui risquent de se reproduire dans l'ensemble des entreprises que le Gouvernement entend privatiser. Je pense à La Poste.
En supprimant toute référence à France Télécom, l'amendement de M. Jean-Frédéric Poisson nie les spécificités dues à la privatisation de l'entreprise. Du même coup, il permet de dédouaner l'État actionnaire de toute responsabilité dans la situation faite aux salariés de France Télécom, et promise à ceux de La Poste ou de Pôle emploi avec leur ouverture programmée à la concurrence.
En supprimant les « restructurations permanentes » des causes du mal-être des salariés, l'amendement de M. Jean-Frédéric Poisson poursuit un objectif tout aussi clair alors que les restructurations permanentes découlent d'une recherche constante du profit maximum, à France Télécom comme dans l'ensemble des secteurs de l'économie nationale.
Je vous invite à la lecture du rapport européen, publié le 15 janvier 2009, par le groupe d'experts HIRES (Health in Restructuring) et quelques autres scientifiques. Il démontre le lien incontestable entre les restructurations permanentes, ou successives, et la détérioration grave de la santé au travail. Ce rapport européen montre que nous ne pouvons pas évacuer la dimension des restructurations permanentes, du champ de la commission d'enquête, sinon on vide de sa substance l'objet même de notre demande.
L'objectif poursuivi par M. Jean-Frédéric Poisson, par ses amendements, n'a rien à voir avec un quelconque « aménagement ». Il va au-delà du souci, exprimé par le Président Pierre Méhaignerie, de ne pas entacher l'image de France Télécom, une entreprise exerçant son activité dans le champ concurrentiel. Cette image n'a d'ailleurs pas été écornée par notre demande de commission d'enquête, ni par nos débats, mais par les actions mûrement réfléchies et mises en oeuvre par la direction de l'entreprise et les suicides eux-mêmes.
Si nous modifiions l'objet de la commission d'enquête, d'une manière substantielle, nous porterions une responsabilité en mettant un couvercle sur un sujet dérangeant, et en couvrant les protestations qui montent, les colères et les drames. La souffrance au travail, dont nous tentons d'expliquer les mécanismes dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, va au-delà des suicides, qui n'en sont que la forme la plus exacerbée et la plus terrible.
Les modifications que la majorité présidentielle entend porter à l'objet de la commission d'enquête, demandée par les députés membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, s'apparentent à un véritable dévoiement. La majorité présidentielle veut certes observer la souffrance au travail, mais aussi en cacher à tout prix les origines. Là se trouve le vrai problème et c'est là que nous voulons mener l'enquête. Vous refusez que puisse être pointée la responsabilité de l'État actionnaire pour mieux conforter la volonté du Gouvernement de poursuivre la privatisation des entreprises publiques. De la même manière, vous refusez que puissent être mis en cause les choix de gestion du patronat qui sont à l'origine de la souffrance au travail.
Les propositions de modifications de M. Jean-Frédéric Poisson constituent un incroyable dévoiement des nouveaux droits du Parlement et du droit de tirage pour une commission d'enquête ouvert aux groupes de l'opposition. Le groupe socialiste avait déposé une première demande de création de commission d'enquête, sur les sondages de l'Élysée. Nous avons vu le sort qui lui a été réservé. L'autonomie de décision et de choix d'un groupe d'opposition a été réduite à néant lors cette première expérience. La seconde, aujourd'hui, est similaire.
Comme l'a indiqué le rapporteur, notre demande satisfait à toutes les conditions requises pour la création de la commission d'enquête, mais il a conclu son propos, invoquant les dispositions du Règlement intérieur prévoyant que la commission permanente compétente se prononce également sur « son opportunité », en considérant qu'elle n'est pas démontrée. Il a également laissé entendre que, s'il ne tenait qu'à lui, on pourrait aussi bien en rester au format de la mission d'information sur les risques psychosociaux au travail, dont les travaux ont été suspendus dans l'attente de notre décision sur la création de la commission d'enquête.
Si l'on peut comprendre la préférence de notre rapporteur, on se doit d'observer que la mission d'information n'a pas le même objet que la commission d'enquête proposée. Par ailleurs, le rapporteur a abordé « l'opportunité » de la création de la commission. Mais faudrait-il prévoir l'obligation pour l'opposition, avant même son dépôt, de soumettre toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête aux membres de la majorité. Rien dans le Règlement ne prévoit un contrôle de la rédaction des propositions de résolution. Dès lors, s'appuyer sur le Règlement, comme l'a fait le rapporteur, revient à dénaturer le sens de notre demande et à l'édulcorer à tel point qu'il vaudrait mieux alors réactiver les travaux de la mission d'information sur les risques psychosociaux au travail. Je vous demande, en conséquence, d'avoir le courage de repousser notre demande de commission d'enquête, dans la mesure où vous en contestez l'objet – c'est du reste votre droit – , sans se cacher derrière votre petit doigt en réécrivant à notre place notre demande, et en nous demandant, au surplus, de soutenir cette réécriture… Il ne faudrait pas pousser le bouchon trop loin !
Par ailleurs, je n'ai nullement l'intention de porter atteinte à une entreprise qui compte 100 000 travailleurs et que je défends tous les jours – comme en témoigne mon opposition à sa privatisation. Nous avons d'ailleurs reçu les organisations syndicales pour travailler avec elles à la recherche des causes des drames. La question ne saurait se résumer aux suicides, qui en constituent la dimension la plus dramatique et la plus médiatique. La souffrance des milliers de salariés de France Télécom est profonde. En effet, après que le directeur général de cette entreprise a été écarté par le président directeur-général – dont l'audition par notre Commission a été reportée pour la quatrième fois – et qu'un nouveau directeur général a été nommé, une concertation a été engagée, à travers notamment l'envoi d'un questionnaire aux salariés. Le taux de réponse, qui est de plus de 80 %, démontre bien que la souffrance au travail existe toujours au sein de l'entreprise.
Je peux comprendre que les propositions de notre groupe soient rejetées par une majorité dans le cadre d'une démocratie parlementaire, au travers d'une lecture de Règlement que je conteste, mais je ne peux accepter que l'on modifie et dévoie l'objet et la raison d'être de cette commission d'enquête. Les dispositions du Règlement relatives à l'examen de l'opportunité de la création d'une commission d'enquête apparaissent comme une bombe atomique pour écraser une mouche ! Nous sommes en désaccord avec les modifications proposées par M. Jean-Frédéric Poisson. Elles conduiraient à dénaturer profondément la nature de notre proposition de résolution.
Enfin, on ne peut pas dire une chose et son contraire : il a été d'un côté reproché le champ trop restreint de la commission d'enquête, en d'autres termes il y aurait « trop » de France Télécom…