Le 7 octobre dernier, a été enregistrée, à la Présidence de l'Assemblée nationale, une proposition de résolution n° 1954 de M. Roland Muzeau et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, tendant à la création d'une commission d'enquête sur « les conséquences des restructurations permanentes, des nouvelles formes d'organisation du travail et méthode de gestion du personnel sur la santé des salariés de France Télécom », l'exposé des motifs de la proposition de résolution soulignant le malaise croissant des salariés à France Télécom, et plus généralement l'augmentation des troubles psychosociaux au travail.
Il revient à notre commission d'examiner cette proposition de résolution sachant que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a souhaité faire usage de son « droit de tirage » tel qu'il a été conféré à chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire par l'article 141, alinéa 2, du Règlement de l'Assemblée nationale. En effet, depuis la réforme de notre Règlement du 27 mai 2009, chaque groupe d'opposition ou minoritaire peut demander, en Conférence des présidents, une fois par session ordinaire, qu'un débat sur une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête soit inscrit d'office à l'ordre du jour de la séance publique. Lors de ce débat, seuls les députés défavorables à la création de la commission d'enquête participent au scrutin. Le rejet de la création de la commission d'enquête ne peut alors intervenir qu'à la majorité des trois cinquièmes des membres de l'Assemblée.
Toutefois, la procédure particulière d'inscription à l'ordre du jour d'un débat sur la création d'une commission d'enquête, dans le cadre du « droit de tirage » prévu par l'article 141 du Règlement, n'est pas exclusive du respect des règles habituelles d'examen des propositions de résolution tendant à la création de commissions d'enquête. En vertu de l'article 137 du Règlement, les propositions de résolution doivent déterminer précisément les faits devant donner lieu à enquête ou les services ou entreprises publics dont la commission saisie doit examiner la gestion. En vertu de l'article 138 du Règlement, elles ne peuvent avoir le même objet qu'une commission d'enquête qui a rendu ses travaux dans les douze mois qui précèdent, et, en vertu de l'article 139 du Règlement, elle ne peut viser des faits pour lesquels des poursuites judiciaires sont en cours,.
Trois objectifs sont possibles pour les commissions d'enquête : elles sont formées pour recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés, la gestion des services publics et la gestion d'entreprises nationales.
France Télécom n'est plus une entreprise nationale. En revanche, l'objet de la proposition de résolution correspond aux autres missions assignées aux commissions d'enquête. La présente proposition de résolution porte, en effet, sur des faits précis : l'état de santé des salariés de France Télécom suite « aux restructurations permanentes, aux nouvelles formes d'organisation du travail et aux méthodes de gestion du personnel » qu'a connu l'entreprise. Même si le rattachement de France Télécom aux services publics est moins clair, plusieurs éléments laissent aussi à penser que l'entreprise a en charge un service public. Depuis l'adoption de la loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom, France Télécom a en charge les missions de service universel des télécommunications. Il convient de relever, par ailleurs, que l'entreprise comprend, dans son personnel, des fonctionnaires, placés sous l'autorité du président de France Télécom. En conclusion, malgré une évolution importante du statut de l'entreprise ces dernières années, celle-ci a bien en charge un service public et ses liens avec l'État restent encore substantiels.
Par ailleurs, la proposition de résolution remplit les conditions posées par l'article 138 du Règlement, puisque aucune commission d'enquête ou aucune mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 du Règlement n'a rendu de travaux sur ce même sujet depuis douze mois.
Enfin, en vertu de l'article 139 du Règlement de l'Assemblée, les faits ayant motivés le dépôt de la proposition ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires. S'agissant de l'enquête souhaitée sur les conséquences sur la santé des salariés de l'organisation du travail à France Télécom, Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a fait savoir à M. Bernard Accoyer, Président de l'Assemblée nationale, que quatre procédures judiciaires étaient actuellement en cours relatives à cette problématique. Trois enquêtes ont été ouvertes suite aux suicides d'employés de cette société, à Paris, Annecy et Guingamp, afin de rechercher si les victimes ont fait l'objet d'un harcèlement moral au travail les ayant conduites à mettre fin à leurs jours. Une quatrième enquête fait suite au dépôt d'une plainte auprès du procureur de la République de Créteil par deux salariés se disant victimes de harcèlement moral et de discrimination à raison de leur handicap. Ces procédures judiciaires en cours sont indéniablement en rapport avec l'objet de la commission d'enquête mais leur existence ne suffit pourtant pas à faire obstacle à sa création. En effet, l'objet de la proposition de résolution dépasse de beaucoup l'analyse des cas particuliers évoqués. De plus, selon une pratique constante depuis 1971, il a été admis que l'existence de poursuites judiciaires n'était pas, à elle seule, un obstacle à la création d'une commission d'enquête, mais constituait un élément à prendre en compte pour limiter ses pouvoirs d'investigation. C'est ainsi qu'une commission d'enquête a été créée sur l'influence des mouvements sectaires, alors que le garde des sceaux, M. Pascal Clément, avait signalé qu'un certain nombre de personnes liées à des mouvements à caractère sectaire faisaient l'objet de poursuites judiciaires devant diverses juridictions. Compte tenu de ces précédents et de la pratique constante de notre assemblée, la présente proposition de résolution est donc recevable. Les procédures en cours empêchent simplement que la commission d'enquête se penche sur les faits précis signalés par la garde des sceaux.
Il convient maintenant d'examiner le champ de la commission d'enquête proposée. La proposition de résolution évoque l'état de santé des salariés de France Télécom suite aux « restructurations permanentes », aux « nouvelles formes d'organisation du travail » et aux « méthodes de gestion du personnel » qu'a connues l'entreprise.
Effectivement, les suicides qui se sont produits depuis un an et demi à France Télécom témoignent d'un véritable malaise social. Cependant l'intitulé de la proposition de résolution, qui évoque notamment les « restructurations permanentes », semble déjà conclure sur les éléments qui sont à l'origine de cette situation.
Il serait préjudiciable de centrer l'objet de la commission d'enquête sur la seule entreprise France Télécom et de la stigmatiser. C'est ce qu'a souligné le Président Pierre Méhaignerie, lors de la dernière réunion de notre commission, en rappelant que la plupart des groupes politiques ne voulaient pas que le nom de l'entreprise France Télécom apparaisse dans l'intitulé de la commission d'enquête car certains concurrents pourraient profiter de la situation et il n'est pas question que les salariés fassent les frais de cette initiative. M. Maxime Gremetz, membre du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, auteur de la proposition de résolution, a d'ailleurs approuvé cette analyse et a souligné que d'autres groupes que France Télécom étaient concernés par les problèmes de la santé au travail évoqués par la proposition de résolution.
La question des troubles psychosociaux au travail dépasse, en effet, largement le cas de France Télécom et touche de nombreuses entreprises. Elle est sérieuse et les pouvoirs publics y sont confrontés, non seulement en France mais également dans d'autres pays. Cependant, la connaissance des risques psychosociaux est très parcellaire : les indicateurs restent peu nombreux et insuffisamment fiables. Il n'existe pas de données globales sur les dépressions d'origine professionnelles ni sur les suicides ou tentatives de suicides liés au travail. Des investigations d'une commission d'enquête sur ce sujet permettraient d'appréhender l'ampleur du phénomène, mais pas mieux, à vrai dire, qu'une mission d'information. En tout cas, l'élargissement du champ d'investigation de la commission d'enquête paraît indispensable pour, par exemple, évaluer les premières mesures mises en place par le Gouvernement et suivre les travaux menés par la mission mise en place, de son côté, par le Premier ministre sur le stress au travail.
La proposition de résolution est donc, au total, recevable juridiquement. En revanche, il est nécessaire d'élargir le champ de la commission d'enquête envisagée, tant pour des raisons de fond que de forme. Il reste que le formalisme d'une commission d'enquête paraît quelque peu inadapté au traitement des questions soulevées par la proposition de résolution, une mission d'information pouvant, encore une fois, fort bien et tout autant les approfondir.