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Intervention de Denise Oberlin

Réunion du 12 novembre 2009 à 9h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Denise Oberlin, grande maîtresse de la Grande loge féminine de France :

Je vous remercie d'avoir accepté d'entendre la Grande loge féminine de France (GLFF). Après consultations de nos commissions spécialisées, nous affirmons explicitement que nous sommes favorables à l'adoption d'une loi interdisant le port du voile intégral dans tous les lieux publics, dont la rue : il en va, en effet, du droit des femmes, mais également du respect de la laïcité.

Auditionnée en 2003 par la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par Bernard Stasi, la GLFF avait alors été la seule obédience maçonnique française à se prononcer en faveur de l'interdiction du port du voile islamique à l'école. Un an plus tard, dans le cadre de la mission parlementaire conduite par le Président Debré sur les signes religieux à l'école, elle s'opposait également au port de ces derniers : voilà, en effet, plus de soixante ans que nous défendons le respect de tous les droits fondamentaux de tous les êtres humains et, particulièrement, ceux des femmes.

Depuis plus de vingt ans, l'intégrisme religieux ne cesse de prospérer notamment par l'intermédiaire de mouvements sectaires étrangers qui horrifient la majorité des musulmans de France respectueux des valeurs républicaines. Si rien, dans le Coran, n'oblige les femmes à se voiler intégralement, c'est pourtant au nom de la religion que le port du voile intégral est revendiqué, souvent par des militantes salafistes qui instrumentalisent les femmes à des fins politiques. C'est ainsi que ces dernières sont mises en première ligne sous le fallacieux prétexte de leur « liberté individuelle » afin de promouvoir, en fait, une vision archaïque, inégalitaire, fascisante et hégémonique de la société visant à nier les fondements de notre République.

Même si le port du voile intégral demeure minoritaire, il ne faut pas laisser cette pratique s'installer et gagner du terrain. Nous devons nous interroger sur sa signification profonde et sur les dangers qu'elle fait courir à notre modèle social démocratique en tant que fer de lance d'une nouvelle offensive intégriste : l'histoire a montré que la complaisance face à la montée des extrémismes se paie très cher et qu'il est préférable de les éradiquer le plus rapidement possible.

Chaque être humain est porteur d'identités multiples qui forment sa personnalité mais, en l'occurrence, le voile intégral déshumanise les femmes en effaçant les particularités qui font de chacune d'entre elles un être unique. Parce que l'occultation du visage interdit toute véritable communication ou identification, les femmes sans visage sont privées de leur être. A cela s'ajoute que c'est la photographie du visage et non celle de la main ou de l'iris que l'on appose sur la carte d'identité – l'argument relatif à la sécurité publique suffit donc à justifier l'interdiction législative du port du voile intégral. Celui-ci, par ailleurs, réduit les femmes à être des objets sexuels alors qu'elles sont bien entendu des sujets de droit. Véritable « apartheid », il piétine de surcroît la dignité de toutes les femmes – et pas seulement de celles qui le portent –, mais aussi le principe non négociable de l'égalité des sexes, pilier de la démocratie. Contraire à la convention de l'Organisation des Nations unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, mais également aux valeurs de l'Union européenne, il constitue un signe paroxystique de la discrimination des femmes, de leur mutilation symbolique et de la violence inouïe qui s'exerce à leur encontre.

En outre, il convient de se référer au principe de symétrie afin de s'assurer du respect de l'égalité : connaissez-vous des hommes exigeant de porter la burqa, le tchadri ou le niqab ? Quant à celles qui en revendiquent le port au nom d'une pratique religieuse jugée plus pure, sont-elles conscientes de ce qu'a coûté au monde la revendication de la pureté ? Pensons également à la pression morale que subissent certaines jeunes filles dans des quartiers difficiles ! Lors des discussions qui ont eu lieu à l'occasion de la loi de 2004, nombre d'entre elles disaient à leurs professeures : « Surtout, Madame, n'acceptez jamais le port du voile à l'école, sinon nos familles nous obligerons à le mettre ! ». Allons-nous aujourd'hui les abandonner ? N'ont-elles pas le droit de s'habiller comme elles le souhaitent ?

Cette provocation qu'est le port du voile intégral a plusieurs objectifs : dénoncer publiquement les « mauvaises musulmanes » ; faire croire que l'islam est discriminé ; entretenir la confusion entre politique et religion ; revendiquer une exigence confessionnelle au sein de l'espace public national – ce qui constitue un véritable coup de boutoir contre nos valeurs démocratiques ; afficher une certaine forme de religiosité dans la vie civile et civique qui est contraire au principe constitutionnel de laïcité ; refuser de se faire connaître aux yeux des autres ; revendiquer, enfin, une liberté contre la liberté et un droit à la différence qui aboutit à une différence des droits – comportement contraire à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 selon laquelle nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

Ne laissons donc pas les intégristes et les fondamentalistes défier les lois de la République ! Ne laissons pas les droits des femmes se déliter dans une attaque contre le pays de la liberté, de l'égalité et de la fraternité ! Ne laissons pas les jeunes filles qui se dévoilent se faire attaquer et souiller au nom d'une religion qui donne tout pouvoir aux hommes sur notre sol national ! De plus, ces manoeuvres cachent mal un nouveau danger de banalisation du port du foulard pour les femmes et les jeunes filles alors que l'école les a émancipées d'une telle obligation.

La déclaration de principe de la GLFF proclame, quant à elle, sa fidélité à la patrie ainsi que son indéfectible attachement aux principes de liberté, de tolérance, de laïcité, de respect des autres et de soi-même, lesquels ont valeur universelle. Le devoir de les faire rayonner nous incombe d'autant plus que la République, l'État de droit et la laïcité sont attaqués ! Ne laissons donc pas les porteuses de voile intégral confondre des slogans pavloviens avec la liberté de penser ou l'examen critique de la raison ! Ne les laissons pas devenir hors la loi par un comportement qui trouble l'ordre public et menace la sécurité ! Nous avons le devoir de travailler au changement de mentalité de certains hommes issus de sociétés patriarcales !

Enfin, la mise en avant de revendications communautaires constitue un obstacle à l'exercice d'une citoyenneté pleine et entière à laquelle toutes les femmes ont droit : les droits et devoirs ne constituent-ils pas les deux conditions de l'épanouissement citoyen ? Un consensus fort doit nous rassembler autour de principes inaliénables tels que la liberté d'opinion, la liberté de croire ou de ne pas croire, la possibilité de se convertir à une religion et de la renier, l'égale dignité des êtres humains, le droit des garçons et des filles à l'instruction. C'est ainsi que la nation, selon la formule de Renan, demeurera un « plébiscite de tous les jours pour une communauté de destins. »

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