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Intervention de Caroline Fourest

Réunion du 12 novembre 2009 à 9h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Caroline Fourest, journaliste et sociologue :

Finalement, ce qui m'est demandé, c'est pourquoi je ne veux pas interdire l'intégrisme que je décris pourtant comme représentant un grave danger. C'est tout simplement parce que l'on ne peut pas interdire l'intégrisme !

Nos angles d'analyse ne sont pas les mêmes : vous tenez compte, et c'est légitime, de la psychologie de ceux qui vous ont élus et qui vous éliront demain ; je travaille en fonction de ce que je sais de la psychologie des groupes islamistes. Je connais la façon dont ils opèrent et je suis convaincue qu'ils instrumentaliseront ce qui sortira de cette mission parlementaire en le simplifiant à l'extrême, comme ils l'ont fait des propositions complexes et variées de la commission Stasi.

Si la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l'école était la meilleure solution en la matière, je crains qu'elle ne se trouve fragilisée par une loi qui restreindrait les libertés individuelles au-delà de cet espace. En tant qu'intellectuels, nous ne cessons de défendre cette loi, y compris à l'étranger, en expliquant sans relâche la conception française de l'école publique : un lieu d'apprentissage de la citoyenneté, qui suppose l'égalité sur les bancs, où les signes ostentatoires n'ont pas leur place. Si l'on élargit l'interdiction, cette ligne subtile de démarcation tombera, en même temps que notre argumentaire.

L'idée d'une grande loi nationale positive, avec toute sa charge rituelle, est sans aucun doute plaisante, mais la nuance intelligente imaginée ici entre légalisation négative et législation positive ne sera pas ressentie à l'extérieur. En revanche, peut-être peut-on réglementer positivement le devoir de s'identifier dans certains lieux publics. Le résultat sera à mon avis plus efficace en ne donnant pas du grain à moudre aux groupes qui attendent, avec une impatience que vous n'imaginez pas, de se proclamer arbitres de l'espace public ou de se poser en victimes.

Je n'en conclus pas pour autant qu'il faille céder à la tyrannie du refus de la stigmatisation. La liste des comportements que j'observe dans l'espace public et qui me posent problème en tant que féministe et laïque est longue, mais je refuse simplement que l'on interdise l'intégrisme parce que c'est une idée, une valeur, une idéologie. Or je ne veux pas que l'on interdise les idées – nous ne sommes ni en Iran, ni en Arabie saoudite, mais dans une grande démocratie –, même si c'est épuisant, car cela signifie qu'il faut se confronter aux idées des autres tout le temps et répondre argument après argument.

Aussi le législateur doit-il être suffisamment intelligent pour permettre aux militants des droits des femmes et de la laïcité de poursuivre la bataille. Il ne doit pas voter des lois qui donneraient l'avantage à la propagande intégriste sur leurs arguments. Les comportements et les valeurs intégristes ne peuvent, je le répète, être tous mis hors la loi. C'est un combat d'idées qu'il faut mener. Si je me bats pour ne pas être taxée d'« islamophobe », terme qui permet de confondre la critique intellectuelle de la religion avec un comportement raciste illégal, ce n'est pas pour souhaiter que l'on interdise les idées intégristes. Laissons intervenir la loi ou, dans ce cas précis, le règlement quand, à la marge, des problèmes très concrets se posent, en l'occurrence des problèmes de sécurité et d'identification qui ne concernent pas seulement le voile intégral.

Notre République doit être cohérente et traiter le problème dans son ensemble. Ainsi, si la priorité était de « sanctuariser » l'espace de l'école par une loi, il fallait ensuite s'attaquer aux causes du port du voile. Mais qu'a-t-on fait pour lutter contre le recul de la mixité sociale et l'apparition de communautarismes religieux ? Pourquoi n'améliore-t-on pas le taux d'encadrement dans certains établissements de quartiers populaires ? S'il y avait dix élèves par classe dans certains d'entre eux, pensez-vous que les problèmes actuels se poseraient dans les mêmes proportions ? Est-ce en réduisant les moyens consacrés à l'école publique que l'on favorise la mixité scolaire, l'éducation, la culture ? Or, on a préféré voter une loi-cadre qui autorise les communes à faciliter la scolarisation de leurs élèves dans des écoles privées religieuses qui favorisent le communautarisme religieux. Il est vrai qu'il est plus coûteux d'organiser la mixité scolaire et sociale... Mais si l'on ne s'attaque pas aux racines du problème, on ne s'en débarrassera pas.

Pour autant, je ne dis pas que le fait de subir des discriminations ou d'appartenir aux classes populaires est une voie automatique vers l'intégrisme. Mais de la même manière qu'il faut combattre, sur le plan des idées, le militantisme intégriste, il faut, par l'action politique, supprimer les facteurs structurels qui participent à l'extension du phénomène.

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