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Intervention de Henri Pena-Ruiz

Réunion du 12 novembre 2009 à 9h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Henri Pena-Ruiz, philosophe :

Je le maintiens, Monsieur Raoult : dire que « la burqa n'est pas la bienvenue en République » n'est pas une formulation heureuse. La phrase a certes eu l'effet positif d'appeler l'attention sur le caractère aliénant de cette tenue mais l'on n'a pas à poser le problème en termes de déplacement géographique, d'accueil. Ce n'est pas un problème de Français à étranger qui se pose mais de relations d'homme à homme, ou d'homme à femme. Je ne veux pas que l'on en arrive à ce qui pourrait apparaître comme une condamnation d'une pratique culturelle au nom d'une autre culture. C'était la raison de ma critique… voilée…

Comme vous, je me demande pourquoi le Gouvernement n'a retenu qu'une seule des vingt-trois préconisations de la Commission Stasi. Nous avions en particulier beaucoup insisté sur la nécessité du volet social d'accompagnement de la loi afin que les grands principes républicains soient parfaitement compris, la République se montrant capable de garantir la présence des services publics dans les quartiers déshérités. Cela n'a pas été fait, ce qui a rendu la décision bancale. Selon le rapport Chérifi sur la mise en oeuvre de la loi du 15 mars 2004, l'application de cette préconisation a toutefois été très positive, en permettant de mettre fin à des bras de fer locaux. Le Gouvernement a donc eu raison de retenir la proposition de dispositif législatif qui lui était faite, mais il aurait été bon que le caractère global de l'exigence laïque soit pris en compte par l'application des autres mesures préconisées par la Commission Stasi. Nous appelions notamment l'attention sur ce qui se passait dans les hôpitaux ; je crois savoir que vous avez à nouveau été saisis de cette question et j'espère que votre mission reprendra l'ensemble du chantier qui avait été celui de la Commission Stasi.

Pourquoi le religieux ferait-il l'objet d'un enseignement spécifique ? À l'époque où l'école enseignait les humanités, elle enseignait naturellement la connaissance des oeuvres inspirées par la religion une Annonciation de Fra Angelico comme la teneur du débat sur la grâce dans Les Provinciales de Pascal. C'était le contenu même de l'enseignement, et je regrette que l'école, au nom d'une certaine modernité, ne mette plus assez l'accent sur les humanités. D'autre part, dans la sphère spirituelle, le religieux ne doit pas faire l'objet d'un privilège. L'expression « enseigner les religions » est toujours ambivalente et les religieux sont toujours prêts à se dire les mieux placés pour cela, alors que les professeurs de l'Éducation nationale sont parfaitement capables de le faire. L'enseignement du religieux n'a pas à être dissocié du reste de la culture. On peut, en effet, enseigner la connaissance des doctrines religieuses, mais pourquoi pas aussi celle des humanismes athées ou agnostiques ? Montaigne, Diderot et Hume n'ont-ils pas joué un rôle au moins aussi important dans l'émergence des valeurs qui constituent notre socle culturel ? Je ne voudrais pas d'un enseignement qui privilégie le fait religieux même si, j'en suis d'accord, l'école publique et laïque doit intégrer tout ce qui compte dans la culture.

Il est exact, Monsieur Myard, que des femmes sont consentantes pour porter le voile intégral et que certaines souhaitent ainsi, de manière quelque peu provocante, affirmer leur identité face à un monde qu'elles jugent mauvais. Mais si la personne est consentante, cela signifie qu'elle a un libre arbitre. Pourquoi, alors, ne pas miser sur ce statut de sujet capable de réflexion pour convaincre, pour expliquer que l'interdiction du port du voile intégral n'est pas une oppression mais qu'elle tend à mettre en avant ce qui constitue le « vivre ensemble » ? Soit la femme n'est pas consentante et la règle est émancipatrice puisqu'elle proscrit une violence qui s'exerce contre elle, soit elle est consentante et c'est le rôle des élus d'expliquer à la population ce que sont nos valeurs communes.

Selon moi, une règle qui ne prévoit pas de sanction en cas de manquements est inopérante. Dans le même temps, on ne peut s'en tenir au seul langage répressif, et un travail éducatif doit être fait. En proposant une loi prohibant les signes religieux ostentatoires à l'école, la Commission Stasi avait beaucoup insisté pour que le texte s'accompagne de toute la pédagogie nécessaire. Qu'est-ce à dire ? Que si une jeune fille se présente voilée dans ma classe, je ne lui dirai pas d'emblée : « Mademoiselle, dehors ». J'engagerai un entretien avec elle, puis avec ses parents, pour expliquer la raison de cette règle. Il faut d'abord déployer tous les trésors de pédagogie possible, et ne sanctionner qu'en dernier lieu.

J'ai moi-même, Monsieur Bataille, été accusé de stigmatiser l'islam alors que, défendant la loi issue des préconisations de la Commission Stasi, j'étais interviewé par Radio Beur. J'ai rappelé que la République française s'est installée sur un territoire, celui de la France, qui était dite « la fille aînée de l'Église », et que le 9 décembre 1905, la République a décidé que les emblèmes du christianisme devaient quitter tous les lieux publics pour regagner les seuls lieux où ils sont légitimes : la maison commune des croyants – l'église ou le temple – et la sphère privée – leur maison. La République ne vise pas une religion particulière, elle a des motifs généraux d'affirmer la laïcité. C'est en rappelant notre histoire républicaine que l'on peut montrer que la volonté n'est pas de stigmatiser l'islam mais de faire que toutes les religions, islam compris, soient soumises à la même règle.

Je suis tout à fait d'accord avec Madame Badinter, la règle doit être formulée de manière positive. Une photo de carte d'identité doit être une photo du visage non couvert. Il doit être possible d'expliquer que pour les raisons déjà dites mais aussi pour des raisons de sécurité il est essentiel que tous les citoyens et toutes les citoyennes de la République se présentent le visage découvert. Madame Badinter a tout à fait raison de dire qu'une norme peut être présentée de manière positive – même si elle signifie évidemment en creux « il ne faut pas porter un voile intégral ».

J'en suis d'accord, Monsieur Glavany, la question du port du voile intégral n'est pas réductible à un malaise social, mais l'on peut reconnaître qu'une personne, même si elle n'en est pas directement victime, peut être affectée par la tournure que prend le « vivre ensemble », par le fait que subsistent des pratiques discriminatoires – ces discriminations au logement et à l'emploi que l'on veut combattre par les CV anonymes. Ces personnes peuvent avoir là des raisons de chercher une compensation identitaire, laquelle peut prendre la forme d'une provocation, d'une interpellation de la puissance publique. C'est une raison supplémentaire pour que les sanctions envisagées soient globales, et que l'on prévoie les trois volets complémentaires que j'ai évoqués.

Je serais tout à fait d'accord avec la démarche consistant à combattre globalement les violences faites aux femmes. Je rappelle que l'islam n'est pas la seule religion qui, dans son interprétation intégriste, stigmatise les femmes. Relisez l'Ancien Testament : « Tes désirs se porteront vers ton mari mais il dominera sur toi » ! Relisez saint Paul : « Femme, sois soumise à ton mari » ! En d'autres termes, les trois religions du Livre ont une approche sexiste et hiérarchisante des sexes, ce qui n'est pas étonnant puisqu'elles font référence à des sociétés patriarcales où les mâles dominaient – ce qui dessaisit ces propos de leur éternité d'inspiration supposée et permet de les soumettre davantage à la critique… Relisons, à ce sujet le Discours décisif d'Averroès : « Lorsque un verset du Coran heurte la raison, il faut l'interpréter au second degré ». Il y a là un principe d'émancipation, contraire, donc, à ce qu'affirment les intégristes qui cherchent à maintenir une interprétation littéraliste du Coran.

Il est vrai, Madame Poletti, que les militantes laïques qui, partout dans le monde, veulent renforcer les droits des femmes, attendent de la France qu'elle réaffirme les principes de la laïcité. Au demeurant, ce n'est pas tant la laïcité qui semble en cause que les droits des femmes et leur dignité. Vous proposez de revitaliser la spiritualité ; soit, mais pour moi la spiritualité ne se réduit évidemment pas à sa dimension religieuse ; le théorème de Pythagore, les pyramides d'Egypte, La Rose et le réséda d'Aragon sont aussi des actes spirituels. C'est donc toute la culture spirituelle qu'il faut réhabiliter et non, seulement, le religieux. On a besoin de la vie de l'esprit, qui ne peut avoir lieu aussi longtemps que subsistent des injustices qui créent des abîmes entre les hommes, les pays, les cultures. C'est pourquoi je juge nécessaire une action en trois volets complémentaires.

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