L'opposition semble ignorer l'évolution qu'a connue le paysage audiovisuel ces dernières décennies, avec, notamment, l'arrivée des chaînes de la TNT, des chaînes du câble et du satellite, et bientôt, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, le passage à la télévision numérique pour tous – je rappelle à ce propos que Coulommiers a été la première ville de France à passer à la télévision tout numérique.
Nous nous opposons à cette proposition de loi pour trois raisons principales. D'abord, son adoption déstabiliserait complètement le secteur des médias au moment où il s'adapte à la révolution numérique. Elle contraindrait aussi nombre d'actionnaires de sociétés de médias à rétrocéder leurs parts de capital en raison de leurs liens avec la commande publique. Alors que les chaînes historiques traversent une période délicate, alors que les nouveaux entrants de la TNT n'ont pas encore atteint l'équilibre, alors que plusieurs types de presse voient leur existence menacée, peut-on se passer de grands groupes sous prétexte qu'ils investissent près de 120 milliards d'euros par an via des marchés publics ? Peut-on se priver ainsi de leur soutien capitalistique ? Il est bien évident que non.
Vous faites valoir, cher Patrick Bloche, que ce texte n'aurait pas d'effets rétroactifs. Dont acte. Mais regardons l'avenir. Quelles en seraient les conséquences ? Cette proposition de loi empêcherait tout groupe français d'obtenir de nouvelles autorisations d'émettre et rendrait impossible le rachat d'une chaîne de télévision en difficulté par un groupe français qui répondrait à des marchés publics. Ce serait nécessairement donner un blanc-seing aux groupes ou aux fonds de pension étrangers pour qu'ils s'emparent de nos médias nationaux. Est-ce bien cela que vous souhaitez ? J'ose espérer que non.
En prétendant défendre la démocratie et les libertés, le groupe socialiste nous propose un texte rétrograde et contre-productif. Pour notre majorité, le pluralisme est d'abord garanti par une pluralité d'acteurs qui ont besoin de financements pour exister.
En second lieu, nos collègues de l'opposition semblent ignorer que notre pays dispose déjà des règles d'anti-concentration parmi les plus contraignantes au monde : d'une part, la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, prévoit en effet un ensemble de mesures destinées à assurer le pluralisme. Ainsi, la participation au capital des sociétés de télévision nationales ne peut-elle être supérieure à 49 % pour un même groupe. La loi prévoit également des limites au cumul d'autorisations de télévisions et de radios, la règle dite des « deux sur trois ». Les décrets Tasca, dans leur traduction législative, prévoient encore une séparation des activités de diffusion et de production.
D'autre part, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, le CSA dispose des pouvoirs nécessaires pour veiller au respect du pluralisme et des règles d'anti-concentration. Il en fait régulièrement usage en adressant des recommandations aux chaînes de télévision ou aux stations de radio. Il dispose, en outre, de pouvoirs d'enquête qui lui permettent d'obtenir toutes les informations sur les marchés publics et délégations de service public pour l'attribution desquels des personnes détenant directement ou indirectement un service de télévision ou de radio dont les programmes contribuent à l'information politique et générale ont présenté des offres.
Par ailleurs, cette proposition de loi oublie de mentionner que l'indépendance des médias repose avant tout sur l'indépendance des rédactions. Notre majorité ne partage pas cette vision manifestement réductrice du métier de journaliste. Qu'advient-il de la clause de conscience et de la clause de cession, ces deux droits emblématiques garantis par la convention collective nationale de travail des journalistes ? Les journalistes auraient-ils perdu leur esprit critique ? Seraient-ils, comme vous le dites, soumis aux desiderata d'actionnaires ? Auraient-ils abandonné toute déontologie ? Bien sûr que non ! Les journalistes sont des hommes libres, indépendants, et qui méritent tout notre respect. Les conclusions des états généraux de la presse écrite ont d'ailleurs rappelé l'importance de ces fameuses clauses de conscience et de cession.
En définitive, comme l'a rappelé M. le ministre, c'est notre majorité qui, depuis deux ans et demi, apporte les garanties que le groupe socialiste appelle de ses voeux. Pour veiller au respect du pluralisme des médias d'abord : je rappelle que le pluralisme est un objectif à valeur constitutionnelle depuis la réforme constitutionnelle de 2008. La loi du 5 mars 2009 institue ensuite un véritable service public audiovisuel indépendant, bénéficiant de ressources pérennes et proposant une ligne éditoriale de service public renforcée. Que dire enfin des aides versées par l'État à la presse, en hausse de 51 % dans le projet de loi de finances pour 2010, afin d'accompagner la mutation du secteur vers le numérique ?
Nous avons également le souci d'apporter davantage de transparence dans le fonctionnement des entreprises de médias. À ce titre, les états généraux de la presse préconisent un renforcement de l'information sur l'actionnariat des entreprises de presse par mise à disposition du public de la liste complète des actionnaires sur le site internet de l'éditeur. Le renforcement des exigences déontologiques de la profession constitue une priorité et passera par la rédaction d'un projet de code de déontologie.
Mes chers collègues, renforcer les outils de régulation existants ne reviendrait qu'à fragiliser l'économie du secteur des médias. C'est pourquoi le groupe UMP ne votera pas cette proposition de loi. Je rappelle d'ailleurs que la commission des affaires culturelles et de l'éducation l'a rejetée la semaine dernière. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)