Il suffit de lire la presse tous les jours ou d'ouvrir son poste de radio chaque matin pour entendre que les médias, en France, sont libres et que leur expression est tout sauf uniforme ou soumise au contrôle de je ne sais quel allié présumé du pouvoir – j'en sais quelque chose ! (Sourires et approbations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Les lecteurs de la presse, les téléspectateurs, les auditeurs des radios et les internautes font un choix lorsqu'ils lisent tel quotidien, regardent telle émission, visitent tel site internet ou écoutent tel programme. Ils savent très bien, en achetant Libération, qu'ils n'y trouveront pas le même angle de vue sur l'actualité que dans les pages du Figaro. Faisons confiance à leur esprit critique, à leur sens de l'analyse et à leur capacité de discerner et de disséquer l'information ! Il faut donc veiller au pluralisme des expressions ; le public en a besoin et notre démocratie aussi. Or laissez-moi vous dire que, pour ce faire, il faut donner à nos entreprises de médias les capacités économiques pour se développer et investir dans leur métier, qui est d'informer.
Votre proposition de loi est donc idéologique et, pour tout dire, passablement archaïque. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Regardez le monde autour de vous ; considérez nos entreprises de médias dans l'univers numérique mondialisé. Pensez-vous franchement que ceux qui les menacent le plus, ce sont des actionnaires entrepreneurs ou je ne sais quel grand patronat ressuscité pour l'occasion par une opposition en mal de programme et de leader ? À l'heure d'internet, ce qui fait peur, c'est de voir l'ensemble de notre économie des contenus et de l'information piratée, formatée et dévaluée par le leurre d'une gratuité fondamentalement marchande. Mon engagement et la politique que j'entends mener visent à préserver la valeur des biens culturels que la France produit, qu'il s'agisse de la musique, du cinéma, de la création audiovisuelle ou des livres. Il en va de même pour les expressions et les opinions que transmettent et défendent les médias.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la proposition de loi que vous présentez aujourd'hui, car elle ne ferait qu'affaiblir les entreprises qui participent à la vitalité du débat démocratique et à la défense de la diversité culturelle. J'évoquais, en commençant, le mot de Voltaire sur le vrai danger que représentent les faux amis, expression qui, chez les linguistes, désigne aussi des mots similaires dans deux langues mais de sens différent. De fait, j'ai un peu l'impression que, sur le sujet dont nous débattons, nous ne parlons pas tout à fait la même langue. Pour des raisons qui sont à l'évidence idéologiques, vous appelez indépendance et liberté ce qui n'est, en réalité, qu'une forme d'isolement : celui de médias coupés de réelles possibilités de financement, donc de développement. À faux amis, faux arguments et fausses raisons.
En somme, je crois qu'en faisant mine de lutter contre la « société du spectacle », vous en faites vous-mêmes le jeu, et que cette proposition de loi n'est, à bien des égards, qu'une opération de communication destinée à répandre le soupçon et à décrédibiliser le Gouvernement en prétendant aider la presse. Or ce n'est pas le Gouvernement que votre texte mettrait en danger, mais l'économie de la presse française et sa place dans la mondialisation.