Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, chère Michèle Tabarot, monsieur le rapporteur, cher Patrick Bloche, mesdames et messieurs les députés, vous connaissez tous cette phrase célèbre attribuée à Voltaire : « Gardez-moi de mes amis ; quant à mes ennemis, je m'en charge ». Ce que veut dire le philosophe, ce qu'il nous rappelle dans cette formule aussi lapidaire que paradoxale, c'est qu'il y a des amis qui manquent parfois un peu d'adresse ou d'à-propos – ce sont d'ailleurs souvent les plus démonstratifs – et qu'ils s'avèrent parfois même plus dangereux, bien plus dangereux que des adversaires !
Pourquoi cette phrase me vient-elle à l'esprit ? Vous vous en doutez, je pense. Et pour commencer, vous imaginez bien que ce n'est pas des amis ou des ennemis de Voltaire qu'il s'agit, ni des miens d'ailleurs, mais bien des vrais-faux amis des médias. Oui, car je crois qu'aujourd'hui, les grands amis ostentatoires des médias et de la liberté d'expression lui préparent, en voulant bien faire sans doute et montrer leur bonne volonté, un vrai-faux cadeau, voire un cadeau empoisonné. L'enfer, même le plus laïque, peut être pavé de bonnes intentions.
Sur les principes, nous sommes d'accord : bien sûr, nous sommes, en quelque sorte, des « amis ». La nécessité de sauvegarder le pluralisme des courants de pensées et d'opinion est clairement « une des conditions de notre démocratie » et c'est, en droit, un « objectif de valeur constitutionnelle », comme le rappelle régulièrement le Conseil constitutionnel. C'est pourquoi le législateur a défini, dans les lois relatives à la presse et à la liberté de communication, un ensemble de règles qui visent à limiter la concentration des médias et à assurer leur indépendance. Ces règles sont d'ailleurs largement issues de décisions du Conseil constitutionnel qui a guidé le législateur dans la détermination de normes pertinentes.
Or, comme si ces garanties n'étaient pas déjà savamment construites par nos plus hautes législations, vous nous proposez aujourd'hui de compléter ce dispositif – désir d'amélioration toujours légitime, après tout. Il conviendrait, selon vous, d'empêcher tout acteur privé qui entretient des relations économiques avec la puissance publique de bénéficier d'une nouvelle autorisation de diffusion par voie hertzienne terrestre ou d'acquérir une publication imprimée d'information politique et générale. L'intention peut évidemment sembler louable.
Eh bien, je ne vous cache pas que je suis en total désaccord avec cette proposition. Je le suis pour des raisons techniques et économiques que je vais vous exposer, mais aussi et surtout, je dois le dire, pour des raisons éthiques. L'enfer, certes relatif, mais bien réel, que vous préparez pour les médias, est fait, plus que de bonnes intentions, de « pavés dans la mare » que vous croyez jeter au Gouvernement, mais que vous jetez en fait contre la presse et la liberté d'expression.
Techniquement, votre proposition soulèverait d'importantes difficultés, sur lesquelles je ne m'attarderai pas, comme la collecte de l'information, qui nécessiterait des investigations approfondies. Pour l'audiovisuel, cela impliquerait un alourdissement de la tâche du Conseil supérieur de l'audiovisuel au détriment de ses autres missions. Pour le secteur de la presse, qui n'est pas doté d'une instance de régulation, qui devrait se charger de ces lourdes recherches ? Votre proposition de loi est muette sur ce point.
Quant aux difficultés liées au contrôle du respect du dispositif, pour l'audiovisuel, il appartiendrait au CSA d'y veiller mais, pour la presse, cela devrait-il relever du juge pénal ? La proposition de loi ne comporte, là non plus, aucune précision.