Je profiterai de l'examen de l'article 1er pour réagir à quelques-unes des explications que nous a données ce matin M. le rapporteur après la discussion générale.
Nous avons débattu sur la façon dont il fallait lire la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 sur la dignité et vous nous avez indiqué, monsieur le rapporteur, que deux lectures presque opposées pouvaient être faites. Je ne suis pas de cet avis, permettez-moi de vous le dire. La décision du Conseil constitutionnel de 1994 consacre, de mon point de vue, la dignité humaine comme un élément absolument déterminant de la personne. La dignité humaine n'est pas consacrée par le Conseil constitutionnel comme un droit qui serait l'objet d'un choix de la part des personnes. Dans la décision du Conseil constitutionnel de 1994, la dignité est une qualité inséparable des sujets humains. Ce n'est pas quelque chose sur quoi les sujets humains pourraient exercer eux-mêmes un droit ou un choix.
Je voudrais dire à ce propos – vous l'avez évoqué ce matin, monsieur le rapporteur, en filigrane, quoique pour d'autres raisons – que la loi de 1975, dite loi Veil, rappelle dans son article 1er l'absolue nécessité du respect de la vie, avec une telle force que certains considèrent que cela pourrait être un article transversal de toute notre législation.
La décision de 1994 ne permet donc pas de considérer la dignité comme pouvant faire l'objet du libre choix possible des personnes. C'est au contraire une chose qui fonde tous leurs droits et sur laquelle ils ne peuvent pas avoir de prise, faute de quoi notre système de droit serait complètement fragilisé.
Je souhaite aussi revenir sur la compatibilité entre cette proposition de loi et la pratique des soins palliatifs. Depuis ce matin, vous nous dites, monsieur le rapporteur, que ces deux aspects sont compatibles. Je pense exactement le contraire. Je crois qu'il existe une contradiction flagrante entre votre proposition de loi et la pratique des soins palliatifs, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique.
Sur le plan théorique, le fait d'inscrire dans la législation ce que l'on peut appeler un droit de mourir ou un droit de demander à quelqu'un de mettre fin à ses jours est évidemment en totale contradiction avec la philosophie selon laquelle on ne peut que se contenter d'assister activement à une vie qui se termine selon l'ordre naturel des choses, qu'elle soit accompagnée ou non de pratiques à caractère médicamenteux.
Sur le plan pratique, j'évoquerai trois points dont a parlé ce matin Mme la ministre.
Premièrement, s'agissant de l'organisation clinique dans les hôpitaux, je ne vois pas comment on pourrait faire autrement que ce qui ce se passe dans les pays voisins.
Deuxièmement, s'agissant de la formation des personnels, il est difficile d'aborder la question de la fin de vie en prônant l'accompagnement quoi qu'il arrive, quoi qu'il coûte et quelle qu'en soit la durée, et d'imaginer en même temps les conditions de mettre fin à cette vie.
Troisièmement, la loi de 2005 vise en particulier à modifier l'attitude du personnel soignant vis-à-vis de la douleur. Nous savons que c'est une oeuvre de longue haleine. Je ne prétends pas que les personnels aient été rétifs, mais les médecins savent mieux que nous, simples néophytes, que le traitement de la douleur n'allait pas de soi dans le corps médical. Il faut que les équipes apprennent à accompagner, que les familles admettent cette réalité et que, d'une certaine façon, les patients s'y fassent. Aujourd'hui encore le corps médical ne sait pas très bien comment interpréter cette loi, ce qu'elle l'autorise ou non à faire. Il faut du temps pour cela.
L'adoption de cette proposition de loi serait un contre- signal extrêmement violent alors même que nous n'avons pas fini, loin s'en faut, d'appréhender les contours de la loi de 2005 et de la mettre en pratique dans nos établissements de santé. Il s'agit en effet non pas de compléter une offre de santé publique ou d'ajouter une case qui manquerait à un dispositif général de santé, mais de changer la conception de la fin de vie telle qu'elle est décrite dans les textes qui régissent nos établissements de soins et la pratique de leurs équipes.