La simplification est en effet un exercice délicat, et d'autres articles de cette proposition auraient peut-être mérité notre attention, mais je m'en suis bien évidemment tenu au cadre de notre saisine.
Le premier des trois articles que nous avons à examiner, l'article 55, réclame d'autant plus notre vigilance que c'est de surcroît un article complexe – il ne compte pas moins de 137 alinéas – qui touche à un sujet important pour notre économie : la TVA immobilière.
Les deux autres articles sont réellement des articles de simplification. L'article 56 vise à assouplir, en faveur des entreprises d'investissement, les modalités de l'option pour la taxation sur la valeur ajoutée et, surtout, de la dénonciation de cette option. Quant à l'article 57, il réduit de trois à une le nombre des procédures applicables aux entreprises ayant des activités de stockage ou de transformation en vue de l'exportation ou de l'importation. Cette simplification du régime dit des « entrepôts fiscaux » – une particularité au sein du droit communautaire – sera neutre du point de vue fiscal, mais sans aucun doute économiquement bénéfique.
J'insisterai donc sur l'article 55, le plus « consistant », tout en déplorant que nous ayons disposé de peu de temps pour l'examiner – au surplus, je viens d'être informé qu'il sera modifié par un amendement visant à prendre en compte les remarques du Conseil d'État, dont je n'ai pu prendre connaissance. La Commission des lois n'examinera cet amendement que demain et nous aurons donc à nous prononcer sur le texte en l'état, mais l'économie de celui-ci ne devrait pas être substantiellement modifiée.
En quoi consiste la simplification en l'espèce ? Dans le régime traditionnel de TVA, c'est le producteur de la valeur ajoutée finale qui reverse la TVA lorsqu'il vend son bien, à charge pour lui de déduire éventuellement la part afférente aux différentes prestations et fournitures auxquelles il a recouru. Dans le régime de la TVA immobilière, pour des raisons historiques, c'est dans un certain nombre de cas l'acquéreur du bien qui procède à ce reversement. Cette particularité est à peu près neutre du point de vue économique : que ce soit l'acheteur qui acquitte la TVA après avoir acheté à 100, ou qu'il achète à 119,6 et que ce soit le vendeur qui reverse 19,6, la différence n'est pas grande en termes de flux. Il n'en va pas de même si l'on considère la chaîne de la production de valeur ajoutée et de la récupération de TVA : l'État peut être exposé à devoir rembourser la TVA au producteur d'un bien immobilier sans être assuré que l'acquéreur de ce bien a acquitté cette TVA. C'est d'ailleurs afin d'éviter de telles entorses au principe même de la TVA que la directive est intervenue pour réglementer l'ensemble du processus au niveau communautaire ; il est apparu que la France ne s'écartait de ces règles que sur ce seul point, comme me l'a confirmé la Direction de la législation fiscale, mais cette anomalie, signalée par la Communauté, a entraîné l'ouverture d'un contentieux et il était donc urgent de nous mettre en conformité avec cette directive.
Cependant, cette mise en conformité n'est pas, en l'occurrence, le seul élément qui doive retenir notre attention. Ce qu'il faut aussi considérer, ce sont les « biais » dont souffre notre législation fiscale en raison de la sédimentation des dispositions au fil du temps. L'articulation entre TVA et droits de mutation ou entre immobilier et foncier pose ainsi des problèmes complexes. Si l'on construit sur un champ de betteraves, il y a sans aucun doute création de valeur, mais y a-t-il valeur ajoutée au sens économique, et si oui, faut-il la fiscaliser sachant qu'une plus-value l'est déjà ? Il s'agit là de questions classiques en matière de fiscalité immobilière, mais l'introduction de la TVA nous oblige à mettre de l'ordre dans ce domaine, et à simplifier. La production immobilière est une production de biens comme une autre, dans un champ marchand soumis à fiscalisation, avec une chaîne de production de la valeur ajoutée qui va du terrain à construire – l'une des novations du texte réside d'ailleurs dans la définition du terrain à bâtir – à l'acquisition du bien. C'est tout au long de cette chaîne que sont opérées des simplifications. Actuellement, il existe trois régimes distincts, applicables respectivement aux promoteurs, aux marchands de biens et aux acquéreurs, particuliers ou mutuelles qui font construire – ou qui construisent eux-mêmes : c'est le cas par exemple de tout le secteur social, dont un « coeur d'activité » consiste précisément à produire pour lui-même. Désormais, il n'existera plus que deux régimes, selon qu'on est ou non assujetti à la TVA, ce qui aura pour effet de supprimer l'anomalie que je mentionnais à l'instant.
L'histoire complexe de la fiscalité immobilière a souvent conduit à des confusions, en raison notamment d'une double taxation, la TVA s'étant à un moment substituée en partie aux droits de mutation lorsque ceux-ci ont été abaissés. C'est toute cette histoire qui est balayée et cette législation nettoyée : d'après le tableau comparatif que nous avons établi, nous passerions d'une trentaine de cas de figure à seulement six ou sept. Non seulement nous ferons ainsi l'économie de contentieux communautaires, mais nous éviterons l'évasion fiscale due à la séparation étanche entre producteur et acquéreur, chacun pouvant se prévaloir d'une législation, dans un cas pour exercer un droit à déduction d'une taxe qu'il n'a pas collectée, dans l'autre pour ne pas l'acquitter.
Nous nous sommes assurés auprès de Bercy que toutes les professions concernées avaient été consultées, ce que je n'ai pu faire moi-même, faute de disposer du temps nécessaire pour organiser des auditions. Nous avons également vérifié qu'il n'y avait pas de biais, s'agissant de la récupération de TVA, par rapport à la législation actuelle : ce point est particulièrement important pour les organismes HLM qui sont assujettis à la fois à la taxe sur les salaires et, pour la partie « livraison à soi-même », à la TVA, ainsi que pour les opérations d'aménagement dans la mesure où, le terrain à bâtir étant désormais défini – de façon à mon avis pertinente – comme terrain pour lequel des droits à construire sont ouverts dans un plan d'occupation des sols, se posait la question de savoir où faire commencer la chaîne de la valeur ajoutée – ce sera à la viabilisation : auparavant, il y a une plus-value, mais non une valeur ajoutée.
L'article 56 est plus simple : les entreprises d'investissement peuvent opter entre la taxe sur les salaires et la TVA pour un certain nombre de leurs activités, et renoncer à la TVA si elles le jugent plus avantageux. Mais cette renonciation les obligeait à un véritable parcours du combattant, et c'est à quoi remédie cet article, sans aucune incidence sur les comptes de l'État.
L'article 57 traite des entrepôts fiscaux, c'est-à-dire des entrepôts qui relèvent de la Direction générale des douanes et droits indirects, où se déroulent des opérations économiques d'importation, d'exportation ou de transformation, qui appelaient toute une série de déclarations dès qu'on passait d'un lieu à un autre. Désormais, plusieurs lieux pourront être considérés comme un entrepôt unique dès lors qu'ils figurent sur une même déclaration d'un acteur économique et que l'administration fiscale a tous les moyens de procéder à des contrôles.
Il faut aujourd'hui remplir une déclaration dès qu'un bien transite d'un endroit à un autre. On perd donc un temps considérable en paperasserie. Pour y remédier, cette proposition de loi tend à placer dans une même enveloppe fiscale les différentes opérations réalisées pourvu qu'elles soient bien localisées et bien identifiées. L'administration fiscale et l'administration des douanes disposeront ainsi d'éléments tangibles pour effectuer des contrôles sur les opérations de transit et de transformation à l'intérieur des nouveaux « abris » fiscaux.
Il s'agit donc bien d'une mesure de simplification : dans le cadre du nouveau « régime national fiscal suspensif », il n'existera plus qu'un seul type d'entrepôt fiscal, lequel remplacera les actuels entrepôts d'exportation, d'importation et de transformation dans une parfaite neutralité fiscale en matière de TVA intracommunautaire.