Je me demande si M. Bloche se complaît dans l'angélisme ou s'il s'amuse à jouer à contre-emploi. Il semble ignorer que les récents États généraux de la presse ont conclu qu'une transparence accrue sur l'actionnariat des entreprises de presse était souhaitable, mais que le dispositif anti-concentration n'appelait pas de modification substantielle par voie législative.
Ce n'est pas parce que cette proposition de loi est propulsée au carburant du socialisme que je la combats. En 2000, alors que Mme Catherine Trautmann était ministre de la culture et de la communication et que notre excellent collègue Didier Mathus était rapporteur, une suggestion de même nature avait été jugée excessive. Que dire aujourd'hui, alors que des progrès considérables ont été accomplis dans le numérique terrestre, que nous avons assisté à l'arrivée des chaînes gratuites sur la télévision numérique terrestre (TNT) et que nous disposons de plusieurs chaînes d'information continue ?
Le dispositif anti-concentration français est déjà l'un des plus contraignants au monde : outre les limitations à la participation au capital des sociétés de télévisions nationales rappelées par le rapporteur, notre législation prévoit également des limites au cumul d'autorisations de télévisions et de radios, la séparation des activités de production et de diffusion – imposée par les décrets Tasca, le contrôle des autorités de régulation et de concurrence sur toutes les opérations de concentration. N'est-ce pas suffisant ?
La loi précise également que doivent être fournies au CSA, à sa demande, toutes les informations sur les marchés publics et délégations de service public pour l'attribution desquels des personnes détenant directement ou indirectement un service de télévision ou de radio dont les programmes contribuent à l'information politique et générale ont présenté des offres. En outre, chargé d'assurer le respect du principe du pluralisme, le CSA se montre particulièrement rigoureux dans l'exercice de cette mission, au travers des recommandations qu'il adresse aux chaînes de télévision et de radio.
De fait, c'est moins sur les dangers de la concentration que sur la capacité de nos médias à faire face aux évolutions technologiques qu'il convient de s'interroger. À cet égard, la concurrence des grands groupes internationaux, qui se rient des frontières nationales, représente une menace. Pour affronter cette concurrence, alors que la plupart des pays ont multiplié la concentration de leurs médias, la meilleure solution pour la France est-elle vraiment de choisir l'éparpillement de ses groupes ? En outre, si ce texte était adopté, il risquerait d'être invalidé par la Cour de justice des Communautés européennes, qui a affirmé dans une jurisprudence récente qu'une telle interdiction de principe est contraire au droit communautaire.
Enfin, l'adoption de ces dispositions serait dangereuse sur le plan économique car elles contraindraient nombre d'actionnaires de sociétés de médias à rétrocéder leur part de capital en raison de leurs liens avec la commande publique. N'oublions pas que les marchés publics représentent 120 milliards d'euros par an, concernent tous les secteurs de l'économie et sont assurés par nombre de sociétés dont une grande partie détiennent ou participent au capital des sociétés de presse, de radio et de télévision. L'application de la nouvelle réglementation envisagée les contraindrait dès lors à revendre leurs parts de capital de nos médias nationaux et cette rétrocession se ferait de facto au bénéfice de groupes ou de fonds de pension étrangers.
Monsieur Bloche, en prétendant garantir le pluralisme et l'indépendance, normalement assurés par les rédactions, vous risquez de provoquer à terme la disparition de titres déjà en proie à des difficultés conjoncturelles. En affichant la carte de la modernité, vous dévoilez en fait celle du conservatisme. Et en affirmant défendre les libertés, vous ne proposez que la contrainte.
Pour notre part, nous souhaitons des groupes de médias forts et plus libres, capables de s'adapter aux mutations technologiques et de résister à la concurrence étrangère, ne nous laissant pas isolés dans le concert européen. Ce n'est pas le moment de présenter cette proposition, qui risque de fragiliser encore davantage ce secteur.