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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 29 octobre 2009 à 9h00
Commission élargie des affaires économiques, de l’environnement et du territoire et des finances

Bruno le Maire :

ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Toutes les interventions l'ont montré, chacun est conscient que nous sommes à un moment charnière de l'histoire de l'agriculture française et européenne. Dans le contexte que nous connaissons, celui de crise la plus grave qu'ait connue l'agriculture au cours des trente dernières années, la question qui nous est posée est de savoir si nous voulons conserver une agriculture en France et en Europe. Toutes nos décisions – et pas seulement les décisions financières et le budget – doivent être analysées à cette aune.

J'ai constaté au cours des discussions avec mes homologues européens une ligne de fracture très nette. Certains estiment qu'il est de l'intérêt stratégique européen de réduire les crédits de la PAC pour les rediriger vers la recherche, l'éducation, la science, le spatial et, pour ce faire, d'importer les produits agricoles d'Amérique du Sud, d'Asie ou des États-Unis. D'autres, conduits par la France, considèrent au contraire que les moyens de la PAC doivent être maintenus pour assurer la sécurité alimentaire des 500 millions d'Européens. Là est le débat de fond, et c'est dans cette perspective que je répondrai aux questions qui m'ont été posées.

Vous m'avez interrogé, monsieur Forissier, sur les objectifs du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Le premier est de fixer une nouvelle mission à notre agriculture – celle de garantir la sécurité alimentaire de tous les Français. Je veux que ce texte nous donne l'occasion de définir une politique publique de l'alimentation en regroupant les moyens jusque-là éclatés de la sécurité sanitaire, de la qualité nutritionnelle, de recommandations nutritionnelles à l'adresse notamment des services collectifs. La démarche est identique à celle qui a prévalu en matière de sécurité routière : après nous être pendant longtemps limités à deux préceptes – le port de la ceinture de sécurité et la restriction de l'imprégnation alcoolique au volant –, nous avons considéré que cela ne suffisait pas et nous avons défini une politique de sécurité routière complète, qui a donné des résultats. Nous souhaitons procéder de la même manière pour ce qui concerne la sécurité alimentaire, en rassemblant des recommandations aujourd'hui éparses.

Le second objectif, c'est de donner un élan nouveau à l'agriculture française au moyen de décisions stratégiques, structurelles, mais limitées, dont nous devons débattre le plus largement possible. Et mes portes sont grandes ouvertes pour poursuivre la discussion avant la discussion au Parlement.

Il s'agit tout d'abord de la compétitivité de l'agriculture française qui passe par l'organisation des filières, le coût du travail, les liens entre producteurs et industriels qu'il faut clarifier par le biais de la contractualisation. L'obligation de contractualisation n'existe pas aujourd'hui dans certaines filières, et l'absence de contrat, c'est-à-dire d'engagement financier et de garantie des volumes, nuit aux producteurs qui n'ont pas de revenu défini sur plusieurs années.

Il faut également veiller à la préservation des terres agricoles. La France – première puissance agricole européenne, première puissance exportatrice agricole mondiale – est paradoxalement l'un des seuls pays à n'avoir aucun système national de gestion de ses terres agricoles. Ce n'est pas acceptable. Il faut donc bâtir ensemble un dispositif.

Et, pour faire la transition avec les questions techniques posées par le rapporteur, les systèmes assuranciels sont, à mes yeux, insuffisants dans l'agriculture. Or leurs carences mettent les exploitants en difficulté dès qu'une crise se produit.

Plus précisément, je suis favorable à la généralisation de l'assurance récolte et aux autres outils que nous pourrions mettre en place. Nous avons porté le taux de subvention de l'assurance récolte de 30 % à 40 %, et même à 45 % pour les jeunes agriculteurs. Nous avons réussi à introduire dans le premier pilier de la PAC la couverture des risques climatiques et sanitaires. Et nous avons obtenu 100 millions supplémentaires de crédits communautaires au titre de l'assurance récolte. Cela porte le taux de subvention à 65 %. À un tel niveau, il est possible d'étendre le dispositif de façon significative, en particulier au secteur viticole. Si nous voulons être efficaces, nous ne pouvons nous contenter de l'assurance récolte : elle ne répond pas forcément aux attentes de tous les exploitants ciblés et ne concerne pas, par définition, tous les agriculteurs.

Je propose donc de nous appuyer sur le développement de la dotation pour aléas – la DPA – afin de répondre aux besoins de couverture du risque économique auquel sont soumis les agriculteurs. C'est aujourd'hui l'instrument le plus efficace. Et il a le mérite d'exister. Ses défauts font qu'il est peu employé car il ne répond pas aux attentes des producteurs.

Ma proposition – et elle figurera dans le projet de loi – est double.

D'une part, étendre la dotation pour aléas aux aléas économiques. Et je réponds directement à la proposition de Nicolas Forissier : c'est une bonne idée. C'est l'instrument le plus simple et le plus rapide. Or nous n'avons pas un mois à perdre.

D'autre part, modifier les règles de fonctionnement de la dotation pour aléas en jouant sur deux curseurs, dont la position n'est pas encore arrêtée et sera discutée au Parlement. Premier curseur : le montant de la cotisation annuelle défiscalisée ouverte aux producteurs. Il est pour le moment de 23 000 euros et il doit être possible de faire évoluer ce plafond. Second curseur : le plafond global, qui est pour le moment limité à 150 000 euros. Il serait bon de le remonter de manière significative pour faire en sorte que la dotation pour aléas élargie aux aléas économiques soit plus attractive pour les exploitants, et devienne un vrai instrument de couverture du risque économique. Le dispositif actuel se limite aux risques mineurs et ne couvre pas les risques majeurs de variation des prix, donc des revenus.

Telles sont les propositions sur lesquelles nous pouvons travailler dans le cadre de la préparation de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche.

S'agissant de l'assurance de la sylviculture, le problème est simple, mais la solution compliquée. Ce problème vient notamment de la faible rentabilité du secteur, qui explique les fortes réticences des assureurs à s'engager, et celles, encore plus fortes, de l'État à servir de garant en dernier recours. La couverture offerte est pour l'instant tout à fait insuffisante. J'ai demandé, après la tempête Klaus, d'examiner la possibilité d'une assurance couvrant toute la sylviculture. Le rapport me sera remis fin novembre. Je souhaite que la loi de modernisation soit, quelles que soient les difficultés, l'occasion de mettre en place une assurance sylvicole spécifique et de répondre ainsi aux attentes du secteur.

En ce qui concerne les annonces du Président de la République, et les modalités de financement, il est prévu que les mesures figurent en loi de finances rectificative. Cette option reste en débat au niveau interministériel, mais elle est la plus probable.

M. Herth m'a posé des questions très concrètes sur le plan de performance énergétique. Nous avons prévu 38 millions d'euros en AE et 28 millions en CP. Les financements nécessaires s'étaleront sur cinq ans.

Le plan Ecophyto 2018 vise à réduire de 50 % l'usage des produits phytosanitaires, si possible en dix ans. À charge pour le ministre de l'agriculture de définir année après année la liste des produits utilisés, ou non. Ce sont 216 millions d'euros qui ont été prévus pour financer le programme sur la période. Le programme national annuel sera arrêté chaque année au 31 décembre.

La PHAE est un sujet majeur et je mesure l'inquiétude des producteurs d'après les remontées qui nous sont parvenues de partout en France. Sont aujourd'hui en cours 63 000 contrats herbagers, pour un montant moyen de 4 100 euros, soit 76 euros par hectare avec un plafonnement à 100 hectares par département. Le montant total est de 260 millions d'euros en 2010. Vous avez dans le PLF pour 2010 les crédits nécessaires au versement de la PHAE, conformément aux engagements qui ont été pris. La seule difficulté, je la reconnais, ce sont les contrats qui arrivent à échéance en 2010. L'obstacle est à la fois budgétaire et réglementaire au regard de la Commission européenne. Je n'ai pas encore la solution mais j'ai pris l'engagement auprès des exploitants concernés de trouver une solution compatible avec les règlements communautaires et qui maintienne le même niveau de financement. Je ne suis pas sûr que la PHAE sera conservée en l'état, mais nous trouverons un dispositif similaire car il est indispensable à la poursuite de l'activité des exploitations.

En ce qui concerne le crédit d'impôt remplacement, nous avons préparé, pour le prolonger, un amendement au projet de loi de modernisation. Ce serait une bonne chose, mais je ne peux pas garantir que l'arbitrage nous sera favorable.

Le programme 215 « Observatoire des prix et des marges » constitue une vraie avancée. Mais il faut en mesurer les limites pour l'améliorer. Nous devons d'abord être capables de tirer toutes les conséquences des constats qu'il aura dressés. Je vous ferai une proposition pour durcir le fonctionnement de cet observatoire dans le secteur des produits agricoles. C'est la condition sine qua non pour faire évoluer les pratiques. Les résultats recueillis doivent encore être clarifiés, mais les conséquences pratiques de son travail ne sont pas suffisantes.

Thierry Benoit m'a interrogé sur l'équarrissage. La libéralisation du service public de l'équarrissage, qui a été engagée à l'issue des marchés publics en juillet 2009, ne concerne pas l'outre-mer. Au regard des coûts qui sont beaucoup plus élevés qu'en métropole, il serait raisonnable de ne pas envisager d'évolution avant 2012, pour se laisser le temps de trouver le moyen de limiter le risque d'augmentation des coûts à l'occasion du transfert de responsabilité.

En ce qui concerne la fièvre catarrhale ovine, le choix que j'ai annoncé à Cournon, au sommet de l'élevage, part du constat que cette maladie a eu une incidence désastreuse sur l'économie des filières ovine et bovine. Elle leur aura coûté en 2008 de l'ordre de 530 millions d'euros. L'État est intervenu pour compenser, mais ce n'est pas la meilleure façon de procéder.

Nous avons lancé une première campagne de vaccination obligatoire par les vétérinaires entre le 15 décembre 2008 et le 30 avril 2009. Elle a été l'occasion de dénombrer 73 foyers infectieux, contre 24 000 en 2008. La conclusion est claire : ce type de campagne est efficace. Du coup, j'ai décidé, même si les réactions sont souvent mitigées, de poursuivre la vaccination obligatoire. À partir du moment où elle obtient des résultats, il est de la responsabilité de l'État de garantir la vaccination obligatoire.

J'ai décidé ensuite, ce qui n'était pas facile non plus, que la vaccination serait faite par les vétérinaires. Pourquoi ? Parce que, sinon, il n'y a pas de certification à l'exportation des bovins, et surtout des veaux, ce qui leur fait perdre entre 30 % et 50 % de leur valeur, déjà amputée par la crise. Quant à l'idée de ne vacciner que les veaux destinés à l'exportation, elle n'est pas praticable car il y aura toujours un soupçon. Je souhaite que l'on s'engage dans des modifications réglementaires qui permettront petit à petit aux éleveurs de pratiquer eux-mêmes la vaccination. Mais une responsabilité aussi lourde ne peut pas être transférée du jour au lendemain. S'agissant d'une campagne obligatoire, il est préférable que ce soit les vétérinaires qui vaccinent. Pour les autres campagnes, on pourrait envisager de faire appel aux éleveurs, mais il faut agir avec méthode et en discuter. Ce sera l'objet des assises que je réunirai en janvier.

Enfin, le coût global de la campagne est de l'ordre de 96 millions d'euros pour le budget de l'État – sachant qu'une partie du coût des vaccins est prise en charge par la Commission européenne –, c'est-à-dire qu'elle ne coûtera rien aux éleveurs.

Sur la fusion entre l'AFSSA et l'AFSSET, j'ai eu l'occasion de rapporter à la Commission des finances en 2007 et 2008. Il existe entre ces deux agences des synergies véritables : sur les produits chimiques et les pesticides, sur l'eau – celle que l'on boit est du ressort de l'AFSSA et celle des piscines de celui de l'AFSSET… C'est pourquoi la fusion est prévue pour 2010, sans réduction d'effectifs.

Monsieur Guédon, la pêche est trop souvent négligée. J'ai donc souhaité que le projet de loi de modernisation de l'agriculture, présenté comme tel en février, devienne une loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. L'une va avec l'autre. De la même façon que je suis convaincu qu'il faut conserver une agriculture forte, je suis convaincu qu'il faudra se battre pour maintenir une pêche vivante sur tout notre littoral. C'est un objectif essentiel.

Nous avons aujourd'hui une opposition encore trop forte entre, d'un côté, les scientifiques, les défenseurs de l'environnement et, de l'autre, les pêcheurs. Je pense, quitte à surprendre, que leurs intérêts sont communs. Les pêcheurs n'ont aucun intérêt à piller la ressource halieutique, non plus que les scientifiques à voir la pêche disparaître de nos côtes. Le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche proposera donc la création d'un conseil d'orientation scientifique qui amènera les pêcheurs, les scientifiques et les responsables d'association à travailler ensemble à la définition de la ressource halieutique et à son évaluation. Il faut dépasser les procès d'intention qu'ils se font les uns aux autres. La position du ministre n'est d'ailleurs pas confortable, entre les pêcheurs qui lui expliquent que la ressource en cabillaud a explosé, que c'est un poisson vorace qu'il faut continuer à pêcher pour limiter ses dégâts, et les scientifiques qui font état d'une diminution drastique de la ressource en cabillaud et déclarent qu'il est urgent d'arrêter la pêche. Cette présentation est un peu sommaire mais il faut à tout prix sortir des antagonismes frontaux en discutant dans un cadre défini par l'État.

Pour ce qui est de l'organisation des professionnels, oui, je suis favorable à une réorganisation. Les professionnels eux-mêmes s'y sont attelés depuis plusieurs mois et ils ont accompli un travail remarquable, conduit notamment par le président du Comité national des pêches et des élevages marins, Pierre-Georges Dachicourt. Il faut améliorer les relations entre les comités locaux, départementaux et régionaux en simplifiant les échelons.

L'exonération de taxe carbone n'est pas de 100 %, elle est de 75 %. Mais le produit de la taxe acquittée par les pêcheurs et les agriculteurs leur sera reversé pour les aider à investir dans les économies d'énergie, en particulier, s'agissant des pêcheurs, dans la motorisation de leurs bateaux. Sous réserve des arbitrages qui seront rendus, j'ai demandé qu'une partie des fonds levés par le grand emprunt soit fléchée vers les économies d'énergie dans le secteur de l'agriculture et de la pêche. Nous devons passer d'une flotte puissante et polluante à des bateaux moins polluants et moins puissants, mais adaptés à la pêche. La moitié du prix du poisson payé à l'étal couvre le coût du carburant.

Autre question technique, la pêche au chalut sur laquelle nous avons demandé un rapport à Philippe Boënnec. Celui-ci doit nous aider à trouver les moyens de maintenir une pêche au chalut conforme aux exigences du développement durable, c'est-à-dire qui ne racle pas trop les fonds marins. Je suis hostile à une interdiction.

Quant au label « Pêche France », j'y suis favorable. Il faut que les professionnels lui donnent une existence, et nous soutiendrons toutes leurs initiatives en ce sens. Il faudrait, à mon sens, que son introduction s'accompagne d'un meilleur étiquetage. Aujourd'hui, chez le poissonnier, il n'y a aucune indication précise qui permette de savoir si le poisson a été congelé ou non. Il est simplement marqué qu'il ne doit pas être congelé. Je préférerais que soit précisé si le produit a été congelé, éventuellement la date de congélation et la provenance.

Pour la conchyliculture, se posent deux questions vitales.

Première question : les pathologies virales qui se sont développées depuis plusieurs mois dans certaines régions, notamment en Normandie. Nous devons faire le maximum pour éviter la surmortalité des naissains et des jeunes huîtres de moins d'un an. Nous avons demandé à l'Ifremer et au groupement de recherches conchylicoles, que nous avons mis en place à cette occasion, d'examiner les raisons de la surpathologie virale chez les naissains et les juvéniles dans certains bassins conchylicoles français, et d'apporter des solutions concrètes, qui, sans vouloir anticiper sur les conclusions, pourraient passer par l'implantation d'une nouvelle souche.

Seconde question majeure : la sécurité sanitaire des coquillages et les tests que nous pratiquons sur eux. Invariablement, ces tests donnent lieu à un débat animé au mois d'août entre les ostréiculteurs du bassin d'Arcachon, qui défendent légitimement leur intérêt, et le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, qui est d'abord celui de l'alimentation, et qui, à ce titre, est soucieux de la sécurité sanitaire des consommateurs, tout en veillant à l'intérêt économique de la filière. Il est temps de passer d'un test qui ne permet pas d'identifier clairement la raison de la toxicité, c'est-à-dire celui de la souris, à un test chimique, plus précis. Cela fait des années que l'on en parle.

J'ai organisé une première réunion à Bruxelles de tous les scientifiques responsables de la sécurité sanitaire des coquillages pour qu'ils examinent la mise en place d'un nouveau test chimique en remplacement de celui de la souris. Je suis déterminé à aboutir dans les meilleurs délais possibles. Mais il ne faut pas se cacher les difficultés. Elles sont d'ordre scientifique – même s'il semble que le test chimique soit pratiquement disponible –, mais surtout d'ordre politique et réglementaire. Certains États membres préfèrent ne pas se soumettre à un test chimique, plus précis et plus contraignant. Il faut lever ces obstacles le plus vite possible. J'ai pris l'engagement auprès des ostréiculteurs du bassin d'Arcachon que le test chimique serait disponible au début de l'année 2010. Nous ferons tout pour qu'il en soit ainsi. Nous comptons ainsi mettre fin au feuilleton de l'huître du bassin d'Arcachon et du test de la souris, qui dure maintenant depuis plusieurs années.

Oui, je suis favorable au développement de l'aquaculture parce qu'elle constitue pour les pêcheurs un complément d'activité utile. Mais nous devrons veiller au respect du développement durable car il faut avoir en tête qu'un kilo de poisson d'élevage nécessite un kilo de farine de poisson. Cela étant, il y va de l'intérêt de la filière économique puisque les pêcheurs français ne peuvent pas se contenter de pêcher 100 ou 120 jours par an et, le reste de l'année, se tourner les pouces. Par ailleurs, aujourd'hui, nous n'assurons qu'entre 20 % et 25 % de notre consommation de poisson. Tout le reste est importé, et c'est la filière où le taux d'importation est le plus élevé. Inverser la tendance au nom de la sécurité alimentaire, que je considère comme un objectif stratégique, serait une bonne chose.

Vous m'avez longuement interrogé, monsieur Peiro, sur la régulation et la PAC. Je le répète avec force, l'avenir de l'agriculture française se joue en Europe, pas ailleurs. Nous devons vraiment avoir conscience des débats très vifs qui ont commencé dans les États membres et au sein de la Commission, sur l'avenir de la politique agricole commune – je vous renvoie à cet égard au rapport de la Commission – et sur le montant du budget alloué à la PAC. Avec ses 55 milliards d'euros, il représente aujourd'hui 32 % du budget total de l'Union européenne, donc de très loin la première politique intégrée de l'Europe. Je rappelle pour mémoire que ce pourcentage était de 64 % il y a encore une vingtaine d'années. En simplifiant à l'extrême, ce sont deux voies qui sont proposées et qui ouvrent sur deux options politiques. Nous pouvons nous retrouver, au-delà des étiquettes politiques des uns et des autres, sur un même choix pour l'agriculture européenne. C'est même indispensable si l'on veut gagner une bataille qui promet d'être longue et difficile.

Le premier choix est économique et financier. Une partie des États membres juge que la réforme de la PAC en 2013 doit obéir à une seule règle, qui est la réduction des subventions. En passant de 55 milliards d'euros à une quarantaine de milliards, on pourra redistribuer l'argent devenu disponible à d'autres politiques communautaires, comme les universités, la recherche, l'espace, qui revêtent une importance majeure. J'estime qu'il s'agit là du degré zéro du raisonnement politique, et je le dis avec force. Ce n'est pas parce que le spatial, les universités ou la recherche sont stratégiques que, tout d'un coup, la sécurité alimentaire des Européens devient moins stratégique. Ce n'est pas au moment où le G8 de L'Aquila, le G20 ensuite, débloquent 15 milliards pour la sécurité alimentaire et estiment que la faim dans le monde est une des questions géopolitiques majeures des années à venir que l'Union européenne doit réduire la voilure pour défendre son agriculture.

Ce n'est pas au moment où la faim dans le monde ne manquera pas de soulever des problèmes moraux de sécurité dans les pays en voie de développement que nous devrons réduire les budgets alloués à l'agriculture en laissant entendre que celle-ci serait une activité négligeable pour l'Europe ! J'estime, au contraire, que ce secteur est stratégique pour la vitalité économique du continent – au même titre que l'industrie – et pour sa sécurité : comment imaginer un projet politique commun sans que l'Europe puisse nourrir ses 500 millions de citoyens ?

L'autre option, quant à elle, tend à sécuriser les crédits de la PAC, quitte à envisager des ressources complémentaires.

Derrière ces grandes orientations financières, il y a deux objectifs.

Le premier : la concurrence totale par les prix et la domination des seules règles du marché considéré comme le laisser-faire. Nous devrions ainsi parvenir à fournir des productions aussi peu chères que celles d'Amérique latine ou d'Asie. Or, nous savons fort bien que cela ne sera jamais le cas, nos règles – si respectables soient-elles – étant contraignantes et coûteuses. Une telle option reviendrait bien évidemment à ruiner l'agriculture européenne. Comparez, par exemple, une exploitation laitière hors de l'Union avec une ferme française : serions-nous prêts à parquer 2 000 vaches en stabulation qui sont en fait de véritables « pis sur tréteaux » ? Ce n'est pas beau à voir, je vous le garantis, et ce n'est conforme ni à la sécurité sanitaire, ni au bien-être de l'animal, ni à la défense de l'environnement !

Le second : refonder la PAC en politique alimentaire et agricole européenne en ayant pour objectif une alimentation saine pour 500 millions d'Européens – je vous rappelle que de 20 à 30 millions d'entre eux, aujourd'hui, ne sont pas correctement nourris –, mais également la sécurité sanitaire – la crise de la « vache folle » a coûté 1 milliard par an à notre budget – et, enfin, la sécurité environnementale, l'agriculture devant participer au développement durable. Cela a naturellement un coût que nous nous devons d'assumer à travers la PAC, certes, mais aussi la taxe carbone aux frontières. Le véritable libre échange, en effet, c'est lorsque les mêmes règles s'appliquent à tous. Si nous ne voulons pas que nos agriculteurs disparaissent, nous devons accepter de compenser le surcoût qui leur incombe pour mettre aux normes leurs exploitations, respecter l'environnement, garantir la traçabilité des aliments ainsi que la sécurité sanitaire, ou aménager des zones rurales défavorisées.

Je considère, par ailleurs, que la compatibilité entre le plan du Président de la République et les règles européennes est totale – je ne prendrai quant à moi aucune décision qui ne serait pas conforme à ces dernières –, les mesures préconisées ayant par ailleurs fait l'objet d'une évaluation juridique très stricte. De surcroît, j'ai obtenu le doublement de l'aide de minimis dont le plafond était jusqu'alors de 7 500 euros par exploitation pendant trois ans.

Si l'expression « au cas par cas » figure à plusieurs reprises dans le discours du Président de la République, c'est qu'il s'agit de cibler les exploitations les plus fragiles, lesquelles, paradoxalement, sont souvent les plus dynamiques – les agriculteurs qui ont investi 250 000 euros dans la mise aux normes de leur exploitation sont aujourd'hui au bord du gouffre et nous devons les aider en priorité. Quoi qu'il en soit, l'essentiel est que la dépense publique se fasse à bon escient.

S'agissant de la TIPP et de la TICGN, je vous confirme que 270 millions ont d'ores et déjà été prévus.

Le retour des 25 % de la taxe carbone sera par ailleurs intégralement reversé aux agriculteurs sous forme d'aides à l'investissement dans les économies d'énergie.

Des avancées ont également eu lieu en ce qui concerne les retraites agricoles grâce à la garantie d'un montant minimum de retraite égal, au 1er avril 2009, à 639 euros mensuels pour les chefs d'exploitation et à 508 euros pour les conjoints et les aides familiaux. Parce que des améliorations sont encore possibles, nous examinons avec l'ensemble des représentants des retraités agricoles les actions qui pourrait être menées en ce sens.

La filière tabac, quant à elle, est importante ; nous aurons l'occasion d'en reparler.

Monsieur Chassaigne, je vous rappelle que le budget global pour 2010 comprend 491 millions supplémentaires en AE et 280 millions en CP par rapport à la programmation triennale.

Nous avons en outre réalisé des efforts considérables en faveur de l'agriculture biologique même si, ce marché étant très dynamique avec une croissance annuelle de 30 % environ, il importe de veiller à l'équilibre entre les différentes filières : nous avons ainsi déplafonné les aides à la reconversion – 7 600 euros par exploitation –, nous avons ajouté une enveloppe de 12 millions par an sur trois ans, mais également un crédit exceptionnel de trois millions pour 2009, et le crédit d'impôt, avec un plafond de 4 000 euros, a quant à lui été doublé.

Je continuerai de soutenir la filière bio car c'est une filière d'avenir. Je suis cependant soucieux de l'équilibre avec les autres filières, qui n'ont pas forcément les mêmes débouchés.

S'agissant de la lutte contre les maladies animales, 96 millions sont débloqués pour la vaccination obligatoire FCO. Par ailleurs, le bilan de santé de la PAC inclut désormais le fonds sanitaire européen qui dispose de 40 millions.

Enfin, j'ai obtenu de haute lutte le déblocage de 60 EQTP en faveur de l'enseignement technique agricole pour la rentrée de 2009, ce qui a permis d'accueillir 400 élèves supplémentaires. J'ai également lancé les assises de l'enseignement agricole public dont les conclusions seront rendues dans le courant du mois de décembre : elles permettront de fixer de nouvelles missions et de nouveaux objectifs pour un enseignement dont le malaise est patent alors qu'il est déterminant pour l'avenir de notre agriculture.

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