Je prends la parole au nom de la Gauche démocrate et républicaine pour montrer que le projet de budget de l'agriculture qui nous est soumis contredit le discours prononcé par le Président de la République à Poligny. Reprenons donc ce qui a été dit.
« La crise que traverse l'ensemble du secteur agricole n'est pas une simple crise conjoncturelle […] Cette crise est une crise structurelle. » Il en est bien ainsi ; mais, malgré cela, le projet de budget pour 2010 est identique au budget de 2009, dans un contexte de crise sans précédent. Le décalage est difficile à comprendre entre l'ampleur de ce qui est nécessaire pour sortir l'agriculture française de ses difficultés et le maintien de l'étiage budgétaire. On constate certes certaines hausses des crédits de paiement, pour la filière forêt par exemple, mais cela dissimule des baisses inacceptables, de 62 millions d'euros pour le programme « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires » et de 17 millions d'euros pour le programme « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation ». Est-ce ainsi que l'on compte agir sur les causes structurelles de la crise ?
Il faudrait, nous dit-on, « privilégier une agriculture de production respectueuse de l'environnement ». Or, qu'en est-il de l'action 11 « Adaptation des filières à l'évolution des marchés » ? Le projet de budget ne marque aucune volonté de garantir le maintien ou le développement de productions agricoles sur tous les territoires avec des prix rémunérateurs, et encore moins pour les productions sous signe de qualité, compte tenu des prix d'achat des productions. La part des superficies cultivées en agriculture biologique – c'est l'indicateur de performance retenu – prévoit 3,5 % de la SAU en bio en 2010, alors que l'estimation de la réalisation en 2008 n'est que de 2,12 %. Conformément aux conclusions du Grenelle de l'environnement, la cible est de 6 % en 2012 ; faute de moyens suffisants, comment croire que la SAU en bio doublera en deux ans ?
J'en viens au programme 154 « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires. « Nous allons engager » , a indiqué M. Sarkozy à Poligny « 1 milliard d'euros de prêts de trésorerie, de consolidation ou de restructuration d'encours », à quoi s'ajoutera la prise en charge « d'intérêts d'emprunt et de cotisations sociales ». Or le budget consacré à l'action 12 « Gestion des crises et des aléas de la production », fixé à 75 millions d'euros, n'évolue pas ! Toutes les mesures annoncées seront-elles donc financées hors budget , par des mesures d'urgence ?
Le montant de l'aide aux exploitations en difficulté est proprement ridicule au regard des besoins des dizaines de milliers d'exploitations concernées. Il en va de même du montant alloué au fonds d'allégement de charges.
La phrase : « Je souhaite préserver la priorité en faveur d'une politique d'installation sans laquelle il n'y aurait pas d'avenir pour notre agriculture » a une saveur particulière, sachant que les crédits de paiement prévus pour l'action 13 « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations » sont en baisse de 8 millions d'euros , alors même que les cessations d'activité se multiplient et que les charges liées à l'installation augmentent fortement. Les prix, catastrophiques, excluant toute possibilité de bon démarrage des exploitations, le décalage est total entre le projet de budget et les propos du Chef de l'État.
« Notre troisième ambition », nous a-t-il aussi été dit à Poligny, « sera le maintien de l'activité de production dans les territoires fragiles, en particulier dans les zones herbagères et de montagnes ». Or les crédits de paiement alloués à l'action 14 « Gestion équilibrée et durable des territoires » baisseront de 50 % en 2010 pour la PHAE, et aucune autorisation d'engagement n'est prévue ! Le précédent ministre s'était engagé à maintenir ce soutien, en plus de la création du soutien à l'herbe dans le cadre du premier pilier de la DPU herbe. Cette décision simplement comptable, alors que le cofinancement européen de la PHAE est porté à 75 %, va porter atteinte aux revenus des éleveurs de zones de montagne comme des éleveurs allaitants du grand Massif central, avec une perte sèche annuelle moyenne estimée à 2 600 euros par exploitation.
Et encore : « Notre premier objectif est d'affirmer une préférence communautaire renouvelée. La préférence communautaire, ce n'est pas un gros mot, elle repose sur le respect de normes sanitaires, sur le respect de normes environnementales. » Or le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation »est amputé de 17 millions d'euros, à la suite, notamment, du transfert de la charge de l'équarrissage aux producteurs. Ce programme est sous-doté au regard des enjeux sanitaires, et les moyens alloués à l'action « Lutte contre les maladies animales et protection des animaux » sont dérisoires au regard des crises à répétition.
La contradiction est totale entre la volonté affirmée de renforcer les contrôles sanitaires et la baisse de moyens sans précédent des services vétérinaires. À titre d'exemple, le ministère prévoit de ne remplacer que deux agents des directions départementales des services vétérinaires sur les 333 départs en retraite prévus pour la période 2009-2011 ! Comment ne pas voir dans ce chiffre le reflet d'une politique d'ajustement comptable, au mépris des enjeux sanitaires ?
J'en viens à la mission interministérielle « Enseignement technique et agricole », pour observer que la hausse de 1,2 % des crédits de paiement pour l'enseignement agricole public n'enrayera aucunement la diminution du nombre de postes d'enseignants, ni les effets des restructurations en cours. Ce budget entérine le déclin de l'enseignement agricole – alors même qu'en cette rentrée plusieurs centaines d'élèves ont été refusés dans les établissements de l'enseignement agricole public. Ce dernier connaît un recul sans précédent, ne scolarisant plus que 37 % des élèves de l'enseignement agricole contre plus de 40 % en 2002. C'est que près de 300 fermetures de classes ont eu lieu depuis cette date, dans une logique purement comptable, sans prise en compte des besoins. Le dogme du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a aussi rendu exsangues les services administratifs qui, dans nombre d'établissements, ne sont aujourd'hui plus en mesure de fonctionner. L'offre publique de formation est en recul, sur le plan quantitatif mais aussi qualitatif. Les nombreux enseignements facultatifs supprimés et les nombreux dédoublements non respectés entraînent une dégradation inacceptable des conditions de formation.
En conclusion, ce projet de budget n'est en aucun domaine à la hauteur des enjeux ; il est aussi en décalage total avec le discours prononcé par le Président de la République à Poligny, que je suis fortement tenté de qualifier de démagogique. Ce projet poursuit la dynamique de baisse généralisée des moyens de la politique agricole de l'État en maintenant un volume budgétaire étal. C'est aussi le support d'un grave jeu de yoyo entre les différents programmes et les différentes actions, consistant à donner un peu aux uns une année, un peu aux autres l'année suivante, sans perspective de long terme pour l'ensemble des filières.
J'en ai fait la démonstration, le budget qui nous est soumis ne peut relever les grands défis de l'agriculture. S'agissant de la régulation des marchés et des prix rémunérateurs pour les agriculteurs, il ne donne aucune réponse. Pour le maintien, l'installation et le développement des productions sur tous les territoires, aucune réponse non plus, et même une régression ; pas davantage de réponse pour ce qui est des défis environnementaux, sanitaires et alimentaires du XXIe siècle, ni pour ce qui concerne la promotion de l'enseignement et de la recherche.