L'examen du budget de l'agriculture pour 2010 se fait dans un contexte très particulier, celui d'une crise agricole sans précédent, et avec une chronologie remarquable puisque notre réunion se tient deux jours après que le Président de la République a prononcé à Poligny un discours axé sur la régulation. Mes collègues du groupe SRC vous interrogeront, monsieur le ministre, sur la baisse des moyens alloués à l'enseignement agricole, sur les restrictions demandées à l'Office national des forêts, sur le devenir de la prime herbagère agro-environnementale et sur l'avenir de la pêche.
Pour ma part, je m'attarderai sur le discours fait à Poligny, qui marque en effet une sorte de revanche pour nous qui, depuis des décennies, demandions davantage de régulation mais qui, jusqu'à présent, nous heurtions à une fin de non-recevoir des tenants d'une approche extrêmement libérale de l'économie, selon lesquels le marché réglerait tout. Nous ne pouvons que nous réjouir que le Président de la République se rallie finalement aux idées que nous défendons depuis si longtemps. Seulement, on lit en creux dans ce discours la totale impuissance de celui qui l'a prononcé. De quels moyens de régulation dispose-t-on en effet dans un monde réglé par l'OMC, une organisation qui s'est précisément employée à démanteler tous les outils de régulation et qui continue de le faire, pour nous amener à un monde où n'existeront plus aucunes contraintes sociales et environnementales ni pratiquement aucune contrainte sanitaire ? Autant dire qu'il y a un grand écart entre ce discours qui se veut protectionniste et la politique de l'Union européenne, qui continue de privilégier la dérégulation.
Interrogé hier sur la crise agricole, vous avez souligné, Monsieur le ministre, que nous ne produirons jamais de la viande moins cher que l'Argentine ou le Brésil. Vous avez parfaitement raison, et cela signifie que nous sommes confrontés à un choix : soit nous continuons d'ouvrir notre marché comme nous le faisons actuellement et les trois quarts de l'agriculture française et européenne disparaîtront, soit nous nous efforçons de réorganiser le monde autrement, ce dont le réchauffement climatique nous donne l'occasion.
Le temps est venu de supprimer les déplacements inutiles. Il est absurde de faire faire un trajet de 22 000 kilomètres à de la viande de mouton pour l'importer en Europe alors que nos éleveurs crèvent ! Il en va de même pour les fruits que nous importons de Chine, d'Afrique du Sud ou du Chili.
La relocalisation des productions agricoles est une urgence environnementale ; elle est aussi nécessaire pour trouver une solution à la crise alimentaire mondiale. Depuis trente ans, on a voulu nous faire croire que l'ouverture des marchés agricoles internationaux permettrait de régler le problème de la faim dans le monde. On observe l'exact contraire puisque, loin d'avoir été résolu, le problème s'est considérablement aggravé. L'Afrique, qui était autosuffisante dans les années soixante-dix est désormais entièrement dépendante sur le plan agricole. Elle a en quelque sorte été recolonisée, les pays africains étant contraints, pour nourrir leur population, d'importer nos surplus de céréale ou de poudre de lait. Il est grand temps de suivre les recommandations de la FAO et de produire sur place pour permettre aux peuples d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Asie de vivre de leurs productions vivrières.
L'urgence est aussi celle de l'équilibre des territoires. La planète compte 2,5 milliards de paysans dont beaucoup trop sont obligés, poussés par la misère, de quitter leurs terres pour gagner les mégalopoles où, le plus souvent, ils viennent s'entasser dans des bidonvilles. Cela se voit au Mexique, en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Pour cette raison aussi, la relocalisation des productions agricoles s'impose.
À Poligny, le Président de la République a parlé d'instaurer une taxe carbone aux frontières de l'Europe. « Chiche ! », serais-je tenté de dire. Il faut, en effet, taxer les transports aérien et maritime qui ont, je le rappelle, été exclus du protocole de Kyoto. J'espère que la position de la France au sommet de Copenhague sera celle-là car, si cette approche n'est pas retenue, aucun budget, aucun emplâtre n'empêchera la disparition programmée de l'économie agricole en France.
J'en viens au plan de soutien annoncé par le Président de la République. Je m'interroge en premier lieu sur sa compatibilité avec la réglementation communautaire. En effet, si M. Sarkozy a pris soin de préciser que le remboursement des aides annoncées ne serait pas réclamé aux agriculteurs dans quelques années, la Commission européenne a indiqué qu'elle examinerait ce plan avec attention pour s'assurer que les mesures prévues sont compatibles avec les règles européennes. Un travail préalable à l'annonce du plan a-t-il eu lieu ? Les annonces faites pourront-elles être effectivement appliquées ?
Le Président de la République a annoncé l'allégement, à hauteur de 50 millions, des cotisations dues à la MSA. Quelle contrepartie est prévue pour la mutuelle, déjà endettée de manière quasiment irréversible ? Prévoit-on en fait une nouvelle autorisation d'endettement, ou une réelle aide de l'État ? Par ailleurs, il a été dit que l'État consacrerait 200 millions d'euros à l'allégement des charges d'intérêts d'emprunt et à l'aide à la restructuration en 2009 et en 2010, mais aussi que ces mesures seraient prise au cas par cas – selon quels critères ? La même question vaut pour l'allégement annoncé de la taxe sur le foncier non bâti. Autre chose : les allégements de TIPP et de TICGN (taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel), qui devraient porter sur 170 millions d'euros, seront-ils des allégements supplémentaires ou du « recyclage » ?
Permettez-moi de ne rien dire de l' « énorme cadeau » aux agriculteurs que représenterait le « remboursement » de 120 millions de taxe carbone ; la ficelle est si grosse que le procédé en devient risible. En réalité, les agriculteurs vont bel et bien payer la taxe carbone, mais ils n'en payeront que 25 %. Où est le cadeau ?
Un mot, d'autre part, sur les retraites agricoles. Les vieux agriculteurs nous réclame à ce sujet une lisibilité inexistante à ce jour. Il en résulte une très forte frustration des intéressés, mis dans l'incapacité de savoir à quoi ils doivent s'attendre. L'année dernière, 155 millions sur trois ans avaient été annoncés, mais ce montant a été dilué au point d'en devenir invisible. Sans nul doute, il est temps d'étendre le régime de retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aux aides familiales.
Ma conclusion portera sur la filière tabac, dont la survie est en jeu. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir accordé un rendez-vous à M. Antoine Herth et à moi-même, qui suis président du groupe d'études sur le tabac. L'Union européenne a décidé de réduire de moitié l'aide à la tabaculture, qui représente 3 000 entreprises en France et qui est à l'agonie. La filière ne survivra pas sans cette aide. Au moment où le Gouvernement décide d'augmenter de 6 % le prix des cigarettes, ne pourrait-on trouver le 0,4 % de fiscalité nécessaire à sa survie ? L'Europe ne produit que le quart du tabac qu'elle consomme. On peut certes prendre des mesures telles que l'on réduira la production locale à néant, mais qui peut croire que l'on réglera ainsi le problème du tabagisme ? Dans le même temps, tous les tabaculteurs seront au RSA, et ce sera un mauvais coup porté à la France.