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Intervention de Henriette Martinez

Réunion du 4 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenriette Martinez :

J'ai été nommée parlementaire en mission pour six mois au début de l'année et chargée par le Premier ministre et le secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie d'un rapport sur l'analyse des contributions multilatérales de la France en matière d'aide au développement. Ce travail m'a amenée à auditionner près de 200 personnes et à effectuer des déplacements à Bruxelles, à Rome, à Genève ainsi qu'au Niger. Le rapport est axé sur la Déclaration de Paris et sur les principes d'Accra et sur les questions de division du travail entre bailleurs dans une perspective de recherche d'efficacité.

Avant toute chose, j'ai souhaité faire un état des lieux de l'APD, dans la mesure où, pour parler du multilatéralisme, il est d'abord important de connaître le cadre général. Il a été très difficile de reconstituer de façon exhaustive le montant de ces contributions car les chiffres ne coïncident pas toujours selon les sources, ce qui a bien sûr des incidences sur la façon dont on calcule l'effort d'aide publique au développement.

Le montant total net de l'APD française en 2008 était de 7,546 Md€, soit 10,9 Md$, ce qui représente près de 10 % de l'APD nette mondiale, dont le montant total est de près de 120 Md$. La France apparaît au 4ème rang mondial. Ce montant d'APD équivalait à 0,39 % du RNB français en 2008, encore en dessous de l'objectif de 0,7 % à atteindre d'ici 2015.

Cela étant, il est très difficile d'y voir clair dans la répartition entre l'aide bilatérale et l'aide multilatérale. Il faut savoir en effet qu'il y a trois bases de calcul différentes de l'aide publique au développement : l'APD brute, l'APD nette et l'APD programmable. Selon que l'on part d'une base ou d'une autre, la proportion de l'aide multilatérale par rapport à l'aide bilatérale n'est pas du tout la même et par conséquent la réalité est différente et l'analyse comme l'interprétation qui en découlent, en sont modifiées. J'ai fait le choix de présenter et d'expliquer le plus clairement possible les différents modes de calcul de l'APD, ainsi que les critères retenus pour les obtenir. L'APD brute représente 8,45 Md€ ; elle intègre la totalité de l'APD, y compris les remboursements de prêts, à l'AFD et au Trésor, comptabilisés en APD l'année précédente, qui représentent 854 M€. L'APD nette se monte à 7,596 Md€. Cette somme est obtenue en déduisant ces remboursements de prêts. Enfin, l'APD programmable est égale à 5,584 Md€. Elle est calculée en déduisant de l'APD nette l'aide non programmable au sens du CAD de l'OCDE. C'est-à-dire, concrètement, en ôtant les annulations de dettes, les coûts d'écolage et de prise en charge des réfugiés, les coûts administratifs de mise en oeuvre de l'APD, les opérations humanitaires et d'aide alimentaire, les opérations militaires à des fins civiles.

La part de l'aide multilatérale varie selon la base de calcul de 36 % à 55 % de l'APD française. Depuis 1990, l'aide multilatérale a augmenté au fil des ans, alors que l'aide bilatérale a reculé. Il apparaît clairement que, sur un volume d'APD plus ou moins constant, l'aide bilatérale a servi de variable d'ajustement pour respecter nos engagements multilatéraux. La question du recul de l'aide bilatérale est au coeur du débat : elle pose en effet le problème du respect de nos engagements bilatéraux, tant dans la continuité des programmes engagés que dans les réponses à apporter aux Etats, qui attendent de la France un partenariat direct, incluant son expertise ainsi que son rayonnement politique et culturel.

En ce qui concerne l'aide multilatérale, au niveau global, la France contribue aujourd'hui à 75 organismes multilatéraux et en 2008, l'ensemble des contributions à ces organismes s'est chiffré à 3,072 Md€. Notre effort se répartit pour 57 % vers les financements communautaires européens (FED et autres instruments) ; pour 19 % vers les fonds verticaux et les financements innovants ; pour 18 % vers les institutions financières internationales de développement et pour 6 % pour le système des Nations Unies. Le canal européen se divise en deux contributions différentes : d'une part, celle au Fonds Européen de Développement (FED), qui représente 777 M€ en 2008 à laquelle s'ajoute la contribution au budget communautaire, pour 975 M€ en 2008. Dans l'APD totale déclarée au CAD en 2008, l'Union européenne reste de loin le principal pourvoyeur d'aide au développement au monde en fournissant 57,9 Md€, soit 63 % du total. Notre pays, après avoir été le 1er contributeur de l'aide au développement de l'UE jusqu'au 9ème FED, a obtenu une baisse de son effort contributif de 24,3 % à 19,5 %, ce qui le place désormais en 2ème position derrière l'Allemagne (20,5 %). La sur-contribution de la France au budget du FED tient à des raisons historiques et la baisse de notre clef de répartition ne se fera sentir que plus tard, dans la mesure où, actuellement, se produisent les décaissements concernant encore des actions engagées dans le 9ème FED. Nous sommes donc en période de sur-contribution, ces décaissements se cumulant avec ceux du 10ème FED.

Plusieurs remarques sont à faire quant au FED. D'une part, une gestion complexe tant pour les donateurs que les récipiendaires. La question se pose donc d'une contractualisation, qui garderait la zone ACP comme bénéficiaire, compte tenu de ses spécificités. Depuis plusieurs années est en débat la budgétisation du FED, qui permettrait un meilleur contrôle parlementaire. L'idéal serait en fait qu'il n'y ait pas de 11ème FED.

La Facilité alimentaire mondiale est d'un montant de 1 Md€ dont la répartition pose problème : plus de 550 M€, soit les deux tiers de la Facilité, sont attribués à la FAO ; 200 M€ financent des projets portés par les ONG, les agences de développement et les collectivités territoriales, mises en concurrence, et 165 M€ viennent sous forme d'appui budgétaire aux pays bénéficiaires.

En 2008, les principales contributions françaises internationales représentaient 548,7 M€, soit l'équivalent du tiers de l'aide passant par le canal européen avec, selon les dernières données 378,52 M€ attribués à la Banque Mondiale. Le Fonds africain de développement reçoit 121,6 M€, le Fonds asiatique de développement, 30,45 M€, le Fonds Monétaire International, 28,84 M€.

Il faut signaler que, en ce qui concerne les institutions financières internationales, la France renégocie actuellement sa stratégie, vis-à-vis de la Banque mondiale en premier lieu. Les fonds verticaux s'intéressent à des thématiques particulières, c'est le cas du Fonds mondial pour la lutte contre le sida ou bien d'Unitaid, où notre contribution est en baisse en 2008, à cause de la crise économique. J'estime d'ailleurs qu'il y a un problème de gouvernance d'Unitaid : non seulement il n'est pas sain que la France assume seule 65 % de son financement, ni que ce soit la Fondation Clinton seule qui soit l'interlocuteur d'Unitaid au motif que les ONG françaises ne sont pas assez puissantes. La question de l'intégration d'Unitaid dans les comptes de l'APD se pose également : Philippe Douste Blazy veut que cet apport reste additionnel mais en cours de rédaction de mon rapport, et conformément aux recommandations du CAD, Unitaid a été intégrée. Le débat est donc tranché.

La question de la contribution française au Fonds Mondial de Lutte contre le Sida, le Paludisme et la Tuberculose, FMSPT, pose le problème de l'équilibre de nos contributions dans la mesure où nos financements aux agences onusiennes ont la portion congrue, face aux 300 M€ annuels que l'on verse à celui-ci.

Quant au système des Nations Unies, on doit souligner une prolifération de structures et une réelle complexité du système. Une réforme est nécessaire, qui n'avance pas vraiment. Sur le terrain, le PNUD est le chef de file de la coordination entre bailleurs. Je crois qu'il conviendrait de négocier avec le CAD de l'OCDE la part de nos contributions qui est considérée comme de l'APD. En effet, en 2008, la France a contribué à une trentaine d'agences et de programmes de l'ONU relevant pour tout ou partie de l'APD pour un montant total de 659,8 M€ sur lesquels 28 % seulement, soit moins 190 M€, sont déclarés au CAD au titre de l'APD.

La France est au 5ème rang mondial pour ses contributions obligatoires, mais elle est en revanche bien moins bien placée par la faiblesse et la dispersion de ses contributions volontaires : le PNUD reçoit un peu moins de 31 M€, ce qui nous place au 13ème rang mondial. Ensuite, dans l'ordre d'importance, ce sont l'UNDPKO, (opérations de maintien de la paix), pour 26,8 M€ ; l'OMS, avec 18,2 M€, soit le 10ème rang mondial ; le HCR, qui reçoit de la France 15,7 M€, pour lequel nous sommes au 17ème rang mondial ; l'UNICEF, qui bénéficie de 12,7 M€ (14ème rang mondial) et la FAO, qui reçoit 10,8 M€ (22ème rang mondial). Sur ces questions, le problème des personnels détachés dans les organisations multilatérales, et notamment onusiennes est essentiel : actuellement, ils sont comptabilisés dans l'aide bilatérale, car leurs salaires sont payés par la France, alors qu'ils participent à des activités multilatérales. Cela n'est pas satisfaisant. Une révision permettrait une vision plus fiable de la réalité.

Dans cet ordre d'idées, la question du bilatéralisme et du multilatéralisme est également en partie faussée par celle du « bi-multi » : le PAM reçoit par exemple 3,2 M€ de contributions obligatoires de la France, qui servent à son fonctionnement et sont comptées en multilatéral. En revanche, les contributions volontaires, que la France lui donne pour qu'il mette en oeuvre des actions spécifiques, d'un montant de 26 M€, sont considérés comme une contribution bilatérale ! Il y a un problème de cohérence et de connaissance des chiffres exacts. D'autant que tous les ministères contribuent peu pou prou au multilatéralisme. Bercy ne reçoit qu'à posteriori les données, sans qu'il y ait de stratégie politique initiale, si ce n'est de la part du MAEE. Il est à espérer que la direction générale de la mondialisation sera utile sur ce plan.

Je ferai plusieurs recommandations, pour terminer : en premier lieu, la France doit être vigilante quant à la répartition de ses crédits et avoir une influence sur les organisations internationales (OI). Elle devrait pouvoir mettre en concurrence, via des appels à partenariats, les OI et les ONG qui peuvent répondre de manière agile, efficace et économique. Il nous faut exiger que les évaluations techniques et financières des projets des organisations internationales soient réalisées par des organismes indépendants, pour une meilleure transparence du système. Il faut aussi être exigeant quant à l'usage du français qui doit être utilisé dans les organisations que l'on finance. Ce n'est pas le cas au FMSPT ou au GAVI, à la différence d'Unitaid. Quant au FED, en attendant la réforme, il faudrait au moins qu'un rapport annuel soit soumis au parlement qui soit objet d'un débat. Sur la qualification des contributions de l'UE, bilatérales ou multilatérales, nous n'avons pas de prise.

Cela m'amène au problème de la division du travail : je crois que l'Europe a vocation, de par sa surface et ses capacités, à intervenir dans les politiques régionales et à coordonner la division géographique de la coopération bilatérale entre ses Etats membres. L'UE pourrait ainsi développer des politiques régionales : pourquoi pas une PAC de l'Afrique de l'ouest, par exemple ? Les Etats ont plutôt à intervenir sur ce qu'ils savent faire, des politiques publiques. Il y a des vocations différentes et il faut engager une réflexion sur cette répartition des tâches, à l'instar de ce que l'on fait ici vis-à-vis des collectivités locales.

Le mandat de coordination attribué aux ambassadeurs doit permettre de renforcer la coopération de notre aide avec celle de la Banque mondiale et de toutes les IFIs. La coordination se passe d'ailleurs plutôt bien sur le terrain, c'est en revanche au niveau central qu'il y a plus de difficultés, entre Bercy, le MAEE, l'AFD et les autres. Je propose dans mon rapport de créer un comité de coordination des acteurs de cette politique, que je propose d'appeler la CORDEE (Coordination des Organisations pour la Recherche d'un Développement Efficace et Equitable), à savoir : les représentants de la coopération décentralisée, des grandes ONG, de la Croix- Rouge française. Il faut associer la représentation nationale, les ONG, et développer les opérateurs français pour réussir à avoir plus de visibilité et à accroître la mise en oeuvre de leur compétences : à chaque fois au l'on peut confier la mise en oeuvre sur le terrain à la société civile française pour une valorisation réciproque de nos engagements, confier un travail à des partenaires francophones, c'est positif.

Par ailleurs, je suis convaincue que l'assistance technique française a un rôle déterminant à jouer pour assister les pays récipiendaires dans la coordination des aides bilatérales et multilatérales et pour valoriser la présence de la France. Le bilatéralisme doit être le levier pour le pilotage stratégique de nos contributions multilatérales.

Sur les financements innovants enfin, plusieurs sont en discussion actuellement : une taxe mondiale de 0,005 % sur les transactions financières, pour financer la lutte contre la pauvreté et les maladies dans le monde, comme l'a proposé le Ministre des Affaires Etrangères, Bernard Kouchner ; un jeu à gratter sur le territoire français ou un jeu en ligne dont une partie des recettes seraient affectée à des actions de développement dans les pays africains, proposée par Alain Joyandet, Secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie ; une contribution mondiale volontaire sur les clics Internet lors de l'achat d'un billet d'avion, proposée par Philipe Douste-Blazy, Président d'Unitaid ; une contribution volontaire de 0,5 € sur les trains internationaux, que je propose ou une contribution volontaire de solidarité de 0,2 € par manuel scolaire payée par collectivités locales. Tout cela est en cours de réflexion.

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