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Intervention de Michel Herbillon

Réunion du 4 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Herbillon, rapporteur pour avis :

Pour ce premier avis spécifiquement consacré aux crédits en faveur de la presse fait au nom de notre commission, j'ai décidé de centrer mon propos sur un sujet particulièrement capital pour l'avenir de ce secteur : les jeunes et la presse.S'agissant des crédits en faveur de la presse pour 2010, je rappelle seulement que les crédits du programme « Presse » enregistrent une hausse exceptionnelle de près de 51 %. Ils atteignent ainsi un niveau historique alors que la presse traverse la crise la plus grave de son histoire.

Plus encore que les autres catégories de la population, les jeunes lisent peu la presse écrite et la lisent de moins en moins, malgré une « hyperconsommation médiatique ». Cette évolution est d'autant plus inquiétante pour l'avenir de la presse et de ces jeunes qu'un jeune qui ne lit pas la presse ne se met pas brutalement à la lire à l'âge adulte. La question posée est donc finalement la suivante : y aura-t-il encore un lectorat pour la presse demain ?

Le nombre de lecteurs de journaux chez les 15-24 ans aurait chuté de près de 20 % depuis 1994 pour atteindre 1,2 million en 2007, soit 17 % de cette tranche d'âge. Les études montrent que l'érosion de la lecture de la presse n'est pas un phénomène récent mais qu'elle s'accentue de façon inquiétante sur la dernière génération.

Selon un rapport de M. Bernard Spitz de 2004, la lecture par les jeunes de la presse quotidienne d'information politique et générale se heurte en France à un triple problème de prix, de distribution et de contenu.

C'est sur fond de ces faiblesses structurelles que la presse quotidienne payante doit affronter auprès des jeunes la concurrence des magazines, des quotidiens gratuits, de l'audiovisuel et celle, croissante, des nouveaux médias.

Je souligne que les quotidiens gratuits (qui sont les plus lus par les 15-24 ans) ont su séduire un public plus jeune, d'actifs urbains notamment, majoritairement non lecteurs de presse payante, par la gratuité et un mode de distribution plus adapté (dans les transports en commun, les lieux d'activité, de loisir, les campus universitaires…) mais aussi par leur concept éditorial qui repose sur la mise à disposition d'informations brutes sans mise en perspective ni parti pris idéologique. La presse gratuite a donc su remédier aux trois handicaps structurels que je viens de mentionner.

La prise de conscience progressive des enjeux de la diminution du lectorat jeune a conduit à la mise en place d'initiatives diverses mais qui apparaissent aujourd'hui insuffisantes pour inverser ou à tout le moins enrayer la tendance.

À travers l'action du CLEMI (Centre de liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information), qui est chargé, en partenariat avec le Ministère de l'éducation nationale, de l'éducation aux médias dans l'ensemble du système éducatif, la France a été un précurseur en matière d'éducation aux médias. Le CLEMI, forme depuis 25 ans environ 30 000 enseignants chaque année.

L'action phare du CLEMI est depuis 20 ans la semaine de la presse et des médias à l'école, une opération unique au monde, conduite en partenariat avec des journalistes et des médias locaux et nationaux, qui permet à plus de 4 millions d'élèves mobilisés dans 15 000 établissements de mieux connaître les techniques et le langage des médias. Les éditeurs se mobilisent en fournissant gratuitement des titres (environ 2 millions à chaque opération).

Le travail du CLEMI est cependant loin de concerner la majorité des établissements et le caractère événementiel de la semaine de la presse et des médias, malgré un succès incontestable, agit comme une piqûre de rappel là où un véritable traitement de fond est nécessaire.

S'agissant de la place de la presse dans les enseignements, alors même que l'éducation aux médias figure désormais explicitement dans le socle commun de connaissances et de compétences et que les programmes recommandent assez largement d'introduire les médias dans les pratiques de classe, comme supports pédagogiques, comme outils d'apprentissage ou comme objets d'étude, les obstacles structurels et les résistances culturelles apparaissent multiples : les objectifs sont mal définis, la formation des enseignants est insuffisante, les horaires d'enseignement sont rigoureusement contraints. Le support privilégié, pour ne pas dire exclusif, et la référence de notre enseignement, demeure donc le livre.

Enfin, en dehors de la Semaine de la presse à l'école à laquelle s'associent chaque année plusieurs centaines de titres de la presse écrite qui proposent des exemplaires gratuits aux établissements inscrits pour l'opération, il n'a encore pas été trouvé de solution généralisable pour permettre aux établissements de disposer en nombre suffisant de magazines et de journaux gratuits pour leurs élèves.

Des moyens financiers ont également été mobilisés par l'État à partir de 2005 pour accompagner les éditeurs, sur l'enveloppe du fonds de modernisation de la presse (FDM), à hauteur d'environ 3 millions d'euros par an.

Ces crédits ont permis de soutenir des projets individuels destinés à attirer le lectorat jeune, à l'initiative de diverses entreprises de presse (telles que Play Bac Presse, L'Humanité, La Croix) qui ont proposé des abonnements à tarifs préférentiels, cherché à adapter le contenu éditorial aux attentes des jeunes, à les faire participer à l'élaboration du journal, ou encore à développer un site internet. Cependant, le montant des subventions accordées aux projets « jeunes » n'épuisait pas complètement jusqu'à aujourd'hui l'enveloppe destinée à ces projets, ce qui montre combien les éditeurs peinent à proposer des projets réellement nouveaux et mobilisateurs pour le jeune lectorat.

Des projets collectifs ont également été mis en place.

Dans certaines régions ont été mis en place des kiosques dans les lycées diffusant gratuitement des titres de presse quotidienne nationale, régionale et départementale afin d'éveiller les jeunes à la lecture de la presse, financés d'une part par les conseils régionaux et l'État (à hauteur de 25 % chacun), et d'autre part par les éditeurs (à hauteur de 50 %). Le premier projet de ce type a été conduit en région Aquitaine en 2005 puis dans d'autres régions (Bourgogne, Poitou-Charentes et Pays de la Loire, Rhône-Alpes). Si ces opérations se poursuivent et se développent dans d'autres régions, ce qui témoigne d'un intérêt certain des établissements et des lycéens, il serait souhaitable de généraliser les enquêtes de satisfaction auprès des lycéens et des documentalistes.

Un projet collectif plus ambitieux a été lancé par le syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) qui a lancé en 2005, pour le compte de 41 de ses titres, un abonnement hebdomadaire en faveur 18-24 ans.

Le SPQR dresse un bilan positif de cette action : le succès de cette formule a permis d'abonner gratuitement 70 000 jeunes en 2006 et 65 000 jeunes en 2007, et de fidéliser jusqu'à 18 % des jeunes ayant bénéficié d'un abonnement gratuit l'année précédente pour certains titres.

Les quotidiens régionaux participant à l'opération ont adapté leur contenu éditorial en privilégiant par exemple les informations sur l'emploi des jeunes, les sorties, les loisirs, la culture ou la vie du campus. Les journaux ont aussi développé l'interaction entre le papier et le web de façon à favoriser les échanges avec les jeunes lecteurs C'est en s'appuyant sur l'expérience menée avec succès par le SPQR, que le Président de la République a proposé un abonnement gratuit pour les jeunes.

Toutes ces mesures sont intéressantes mais apparaissent aujourd'hui insuffisantes au regard de l'enjeu. Une prise de conscience, stimulée par les États généraux de la presse écrite qui ont conduit une réflexion sur ce sujet, a permis la mobilisation plus grande des éditeurs, autour de l'opération « Mon quotidien offert » et j'ai souhaité faire diverses propositions de mesures plus ambitieuses pour inverser la tendance.

Le but de l'opération lancée le 27 octobre dernier est d'offrir à 200 000 jeunes de 18 à 24 ans un abonnement à un quotidien de son choix, qu'il recevra un jour par semaine, financé à 50 % par les éditeurs de presse et à 50 % par l'enveloppe « Jeunesse » du FDM. 15 millions d'euros supplémentaires seront mobilisés par le ministère de la culture et de la communication sur trois ans.

L'offre est fondée sur le volontariat des éditeurs (59 journaux quotidiens y participent) et celui des jeunes qui souhaitent en bénéficier.

Il y a un certain nombre de conditions à réunir pour que cette opération soit un succès. L'expérience menée par le SPQR montre que la réussite de l'opération implique parallèlement des efforts des éditeurs sur le contenu et des offres novatrices mêlant Internet et papier.

Il serait également souhaitable, sur le modèle des expériences réussies menées par la presse régionale, que les éditeurs veillent à aménager une transition entre l'abonnement gratuit et l'offre payante pour aider à fidéliser le jeune lecteur (par une offre à tarif préférentiel l'année suivante).

Une évaluation fine de l'impact du dispositif est nécessaire afin que l'on puisse éventuellement en ajuster les modalités.

Par ailleurs, je souhaite que soit rapidement étudiée la possibilité d'ouvrir le champ de l'opération à la presse en ligne dans la mesure où l'avenir de la presse écrite notamment avec les jeunes se joue en grande partie sur Internet. Comme vous avez pu le constater, un nombre croissant de journaux commence à proposer des abonnements payants à des contenus dits « premium » en ligne.

Plus généralement, si l'ensemble des réformes structurelles que doit conduire la presse écrite (notamment pour faire baisser ses prix et améliorer sa distribution) est susceptible d'aider à reconquérir le public jeune, j'insiste sur l'importance des mesures destinées à favoriser le développement de la presse en ligne. Un important volet législatif a déjà été adopté dont je me félicite avec la création d'un statut d'éditeur de presse en ligne qui permettra à ces derniers de bénéficier de mesures fiscales et du nouveau fonds d'aide aux services de presse en ligne et la mise en place d'un nouveau cadre juridique pour la gestion des droits d'auteur des journalistes. Aujourd'hui, la baisse du taux de TVA sur la presse en ligne (qui est à 19,6 % contre 2,1 % pour la presse papier) demeure un chantier majeur des pouvoirs publics car la presse en ligne, qui peine à trouver son modèle économique, s'accommode difficilement d'une fiscalité alourdie par rapport à la presse papier.

Je crois beaucoup à l'idée de renforcer la place de la presse à l'école qui semble faire l'unanimité : les jeunes eux-mêmes sont majoritairement convaincus que la lecture de la presse écrite est nécessaire pour comprendre en profondeur ce qui se passe, qu'elle développe l'esprit critique et qu'elle est utile pour se faire une opinion mais qu'elle nécessite un apprentissage préalable. J'ajoute que des études ont révélé que les jeunes qui lisent un journal ont commencé à lire lorsqu'ils avaient moins de 11 ans.

Pour renforcer la place de la presse dans les établissements scolaires, il importe d'abord qu'une variété suffisante de journaux et d'exemplaires y soit disponible gratuitement. Les États généraux de la presse écrite, tout comme le rapport de M. Bernard Spitz, ont proposé de mettre en place des abonnements gratuits qui impliquent un financement partagé entre l'État et les éditeurs. Afin de remédier à cette insuffisance tout en surmontant le problème de financement, je propose que soit étudiée la possibilité pour les établissements scolaires d'utiliser gratuitement les invendus des diffuseurs de presse destinés à être détruits, la « fraîcheur » de l'information n'étant pas un impératif pour l'usage qui en est fait au sein de l'école.

Sur le plan de l'enseignement, il convient tout d'abord que soit régulièrement rappelé le caractère obligatoire de l'éducation aux médias par une circulaire aux recteurs et inspecteurs d'académies.

Sur ce sujet majeur qu'est l'éducation aux médias, un groupe de travail interministériel réunissant des représentants du ministère de l'éducation nationale et du ministère de la culture et de la communication devrait être mis en place prochainement, afin d'étudier la possibilité de mise en oeuvre de diverses recommandations formulées par les États généraux de la presse écrite. L'objectif est de s'appuyer largement sur l'expérience et l'engagement reconnus du CLEMI en ce domaine.

Si l'idée d'introduire un temps spécifique consacré à l'éducation aux médias durant la scolarité dès l'école primaire (en incluant par exemple, comme l'ont proposé les États généraux, dans le cadre de l'heure de lecture obligatoire, 10 minutes de lecture de la presse le matin, en CM1 et CM2) apparaît séduisante et sera peut-être incontournable à plus long terme, dans un premier temps, compte tenu des contraintes de programmes et d'emploi du temps, les actions de formation des enseignants doivent être privilégiées. L'objectif est d'inciter ces derniers à introduire de façon plus systématique la presse comme support pédagogique et objet d'étude.

Ce point pourrait faire l'objet d'un groupe de travail spécifique organisé autour du CLEMI, de la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) et de l'École supérieure de l'éducation nationale (ESEN) et qui serait chargé de concevoir des modules de formation des enseignants et des chefs d'établissement.

En complément, les États généraux de la presse écrite ont proposé d'offrir des abonnements aux professeurs stagiaires durant leur première année de stage probatoire. Le financement d'un tel dispositif reste à déterminer mais il pourrait être partagé entre les éditeurs et l'État.

Une autre piste proposée par les États généraux sera mise à l'étude : la création d'un label « reconnu d'intérêt pédagogique » pour les magazines de connaissance et la presse éducative sur le modèle de la « liste des livres de jeunesse recommandés par le ministère de l'éducation ». L'objectif est de favoriser leur entrée et celle de leurs représentants dans les établissements scolaires. Je souhaite ici souligner que la presse jeunesse éducative est une exception culturelle française et qu'elle accomplit un travail remarquable pour préparer les lecteurs et citoyens de demain en proposant des titres adaptés à chaque tranche d'âge, à des âges où la presse « adulte » n'est adaptée ni dans son format ni dans son contenu.

Le groupe de travail interministériel pourrait également travailler, en liaison avec le CLEMI, à la mise en place d'une opération « 100 actions pour 1 000 euros » à chaque rentrée scolaire. 100 initiatives d'enseignant recevraient 1 000 euros pour encourager l'utilisation des quotidiens et magazines d'information politique ou générale ou éducative dans l'école, par le biais d'une subvention du Ministère de l'Éducation. Le jury pourrait être organisé par le CLEMI.

Enfin, il me semble que si la presse ne souhaite pas devenir un produit de niche qui vieillira et disparaîtra avec son lectorat, elle ne peut faire l'économie d'innovations sur ses contenus, ses formats, ses modes de rédaction mais aussi d'efforts pour améliorer la diversité des rédactions pour s'ouvrir à de nouveaux publics. L'offre actuelle ne semble en effet pas adaptée à la conquête de nouveaux lecteurs. Le succès des gratuits a le mérite de prouver qu'une nouvelle approche éditoriale peut séduire un lectorat que l'on croyait perdu. Dans ce domaine, l'État ne saurait être un moteur mais un accompagnateur.

En tout état de cause, un effort substantiel sera nécessaire dans le domaine de la recherche et du développement. Dans cette optique, le ministère de la culture et de la communication encourage actuellement la création d'un centre de recherche et d'innovation pour les nouveaux médias, un « médialab » à dimension européenne, dont la mission serait d'offrir une « boîte à outils » ouverte à la profession, afin qu'elle réussisse sa transition vers le numérique.

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