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Intervention de Christian Kert

Réunion du 4 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert, rapporteur :

Je commencerai par présenter brièvement les crédits de l'audiovisuel pour 2010 avant de porter un « focus » sur le marché publicitaire télévisuel, question majeure cette année alors que la publicité connaît une crise historique au moment même où entrent en vigueur les réformes très importantes prévues par la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, discutée au sein de notre Assemblée à la charnière des années 2008 et 2009. Le présent projet de loi de finances nous donne l'occasion d'établir un premier bilan d'application de ses dispositions.

Les crédits de la politique publique en faveur de l'audiovisuel dans le projet de loi de finances s'élèvent à 3 778,1 millions d'euros toutes taxes comprises (TTC), ce qui représente une augmentation de 3,1 % par rapport au montant pour 2009, à périmètre constant. En ce qui concerne l'audiovisuel, le projet de loi de finances respecte le plafond global fixé par la loi de programmation des finances publiques pour 2010. Ce montant de 3 778,1 millions d'euros inclut l'ensemble des crédits demandés pour France Télévisions, ARTE France, Radio France, l'Institut national de l'audiovisuel (INA), la société AEF et à travers elle les sociétés RFI, France 24 et TV5 Monde.

Les crédits en faveur de l'audiovisuel public sont répartis entre :

– la mission « Avances à l'audiovisuel public », à hauteur de 3,122 milliards d'euros ;

– et la mission « Médias » du budget général, à hauteur de 655,4 millions d'euros qui comporte trois programmes relatifs à l'audiovisuel : « Soutien à l'expression radiophonique locale », « Contribution au financement de l'audiovisuel » et « Action audiovisuelle extérieure ».

La mission « Avances à l'audiovisuel », pilotée par le ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, retrace les crédits du compte de concours financier qui répartit entre les différents organismes affectataires le produit de la redevance, désormais dénommée contribution à l'audiovisuel public ainsi que les dégrèvements de contribution à l'audiovisuel public pris en charge par le budget général.

En vertu d'un amendement sénatorial à la loi de finances rectificative pour 2009 du 20 avril 2009, le groupement d'intérêt public (GIP) France Télé Numérique est exclu du champ des bénéficiaires de la contribution à l'audiovisuel public à compter de 2010, ce dont nous pouvons nous réjouir et qui est conforme à la finalité de cette contribution qui est bien, comme l'indique sa nouvelle dénomination, de financer la télévision et la radio publiques.

S'agissant de la contribution à l'audiovisuel public, comme vous le savez, elle n'augmente pas mais elle est indexée, nuance qui a son importance puisque l'engagement avait été pris de ne pas l'augmenter. L'article 97 de la loi de finances rectificative pour 2008 a prévu, à compter du 1er janvier 2009, l'indexation de son montant sur l'indice des prix à la consommation hors tabac, tel qu'il est prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. Le montant est arrondi à l'euro le plus proche ; la fraction d'euro égale à 0,50 est comptée pour 1. Cette indexation a ainsi porté pour 2009 le montant de la redevance audiovisuelle à 118 euros en métropole (contre 116 euros en 2008) et à 75 euros dans les départements d'outre mer (contre 74 euros en 2008). L'article 31 de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision a prévu par ailleurs une augmentation de 2 euros du montant de la contribution à partir duquel la règle d'indexation sera appliquée pour 2010. Au total, l'application au montant « rehaussé » de 120 euros en métropole et 77 euros dans les départements d'outre mer d'une hypothèse d'inflation de 1,2 %, retenue pour la construction du projet de loi de finances 2010 conduit à retenir un montant de contribution à l'audiovisuel public de 121 euros en métropole et 78 euros dans les départements d'outre mer en 2010.

S'agissant du principal bénéficiaire de la contribution à l'audiovisuel public, c'est-à-dire le groupe France Télévisions, le montant global de la dotation publique qui lui est attribuée par le présent projet de loi de finances s'établit au total à 2 507,08 millions d'euros HT, soit une augmentation de 2,4 % par rapport à 2009. Ce montant est conforme au plan d'affaires 2009-2012 présenté au conseil d'administration de France Télévisions en juin 2009, et qui se substitue au volet financier du COM 2007-2010.

Je crois que nous pouvons saluer ici le volontarisme avec lequel le groupe France Télévisions s'est engagé dans une réforme sans précédent depuis 1974. Je salue également le travail réalisé par l'équipe dirigeante de France Télévisions pour conduire cette réforme et le sérieux des personnels face à une restructuration qui s'apparente à une véritable révolution en interne. Car rappelons que le groupe France Télévisions, qui était auparavant constitué de quarante-neuf petites entités, est devenu une société unique.

Avec la transformation du groupe France Télévisions en une entreprise unique, les obligations des différentes chaînes de France Télévisions sont désormais regroupées au sein d'un unique cahier des charges qui reprend de nombreux points qui nous ont tenu à coeur au cours de l'examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision :

− l'accent est mis sur l'offre culturelle du groupe ;

− le soutien de France Télévisions en faveur de la création est réaffirmé;

− la collégialité des instances de sélection artistique est garantie, comme le prévoit la loi du 5 mars 2009, ce qui permet de répondre aux inquiétudes de ceux qui redoutaient un « guichet unique » ;

− les obligations de service public sont clairement réaffirmées ;

− la stratégie de « média global » de France Télévisions est consacrée, ce qui signifie que le groupe France Télévisions doit être présent sur tous les supports de diffusion, existants ou à venir : chaînes actuelles, Internet, télévision mobile personnelle (TMP), télévision de rattrapage, vidéo à la demande.

L'État met donc plus d'argent mais il le place mieux, sur un audiovisuel plus contemporain, qui prouve sa capacité à se réformer. Cet aspect financier est d'autant plus important que la crise entraîne une baisse historique des recettes publicitaires. Grâce à la réforme, l'audience n'est désormais plus une exigence mais une ambition pour France Télévisions. Cependant, la crise du marché publicitaire est particulièrement préoccupante pour les chaînes privées dont la santé est pourtant indispensable à l'équilibre du paysage audiovisuel mais aussi au secteur de la création dans son ensemble car la diminution des ressources de ces chaînes, c'est aussi une diminution des commandes de programmes.

Comme je l'ai indiqué précédemment, la crise qui touche le marché publicitaire est historique. Pour l'ensemble des médias, la baisse des recettes publicitaires nettes atteint 18,1 % au premier semestre 2009 par rapport au premier semestre 2008, ce qui représente une diminution en valeur de 915 millions d'euros. S'agissant de la télévision (écran et parrainage), elle enregistre une diminution de 19,4 % de ses recettes publicitaires nettes, qui sont en recul de 352 millions d'euros par rapport au premier semestre 2008.

À quoi le doit-on ? À la crise économique bien évidemment, la corrélation étroite entre l'évolution du produit intérieur brut (PIB) et celle des recettes publicitaires étant clairement établie, mais pas seulement. Rappelons tout d'abord que la France est traditionnellement un peu « publiphobe » et que le cadre juridique de la publicité dans notre pays est particulièrement contraignant. S'agissant de la publicité télévisée, pour des raisons historiques, tenant notamment à l'interdiction de l'accès de certains secteurs (grande distribution jusqu'en 2007, livre, presse) et aux limitations plus strictes de la diffusion sur les antennes (durées, interruptions), le marché publicitaire télévisuel s'est moins développé en France que dans d'autres pays. Il est ainsi inférieur de 50 % au marché publicitaire de la télévision au Royaume-Uni. Nous avons allégé en partie ces contraintes mais nous ne l'avons fait qu'à moitié : si nous avons par exemple autorisé la publicité pour la grande distribution, la publicité pour les campagnes de promotion de cette dernière demeurent interdites. Mais la crise à laquelle nous assistons est également le reflet de mutations structurelles et profondes du paysage médiatique. Avec l'entrée dans l'économie numérique, Internet capte une part croissante des investissements publicitaires alors même que la publicité est « en liberté » sur Internet. La concurrence d'Internet entraîne un manque à gagner pour l'ensemble des chaînes de télévision, y compris pour les petites chaînes de la TNT.

C'est dans ce contexte qu'entrent en vigueur d'importantes réformes du cadre juridique de la publicité à travers trois mesures.

Il s'agit tout d'abord de la suppression en deux étapes de la publicité sur les chaînes du groupe France Télévisions. La suppression partielle de la publicité est intervenue depuis le 5 janvier 2009 entre 20 heures et 6 heures sur les services nationaux de France Télévisions (France 2, France 3, France 4, France 5 et France Ô). À compter de l'extinction de la diffusion par voie hertzienne terrestre en mode analogique des services de télévision édités par France Télévisions sur l'ensemble du territoire métropolitain, c'est-à-dire novembre 2011, il est prévu que la publicité soit également supprimée entre 6 heures et 20 heures.

Deuxièmement, nous avons assoupli le cadre juridique de la publicité sur les chaînes privées pour faciliter le report de la publicité vers ces dernières par un allongement de la durée maximale par heure en moyenne quotidienne de 6 à 9 minutes, le passage de la méthode de comptabilisation « par heure glissante » à celle, plus souple, dite « par heure d'horloge » et la seconde coupure publicitaire dans les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.

Enfin, la loi du 5 mars 2009 a prévu la taxation du « report » vers les chaînes privées de la publicité supprimée sur le service public. Rappelons que le projet de loi initial prévoyait une taxation, pour l'ensemble des chaînes et pas seulement les chaînes privées, au taux de 3 %. Le processus de baisse de la publicité étant enclenché au cours du débat, j'ai proposé un amendement qui permet de limiter le taux de cette taxe à 1,5 % cette année.

Le présent projet de loi de finances est l'occasion de tirer un premier bilan d'application de ces mesures. Je rappelle que des clauses de revoyure ont été prévues par la loi avant la suppression totale de la publicité sur les chaînes du service public pour tenir compte des évolutions constatées sur le marché publicitaire et proposer les adaptations nécessaires.

Non seulement le report attendu des investissements publicitaires des chaînes de télévision publiques vers les chaînes privées historiques n'a pas eu lieu mais les chaînes privées accusent des pertes de recettes publicitaires sans précédent. Il n'y a donc eu aucun effet d'aubaine, on pourrait plutôt parler d'un « effet de guigne ».

La taxe sur les recettes publicitaires des chaînes de télévision a été fondée sur des prévisions de recettes supplémentaires évaluées à environ 300 millions d'euros pour TF1 et M6. Or, ce sont en réalité 400 millions d'euros de pertes qu'ont subies ces deux chaînes, un résultat qui diffère de près de 700 millions d'euros par rapport aux prévisions ! Au premier semestre 2009, le chiffre d'affaires publicitaire de TF1 a diminué de 23 % (205 millions d'euros) par rapport au premier semestre 2008, celui de M6 de 14 % (soit près de 52 millions d'euros). Ces constatations doivent nous conduire à revoir temporairement le principe même de la taxe par un moratoire ou tout le moins à mettre en place un mécanisme d'atténuation pour 2009, qui consisterait à ramener le taux de la taxe à 1 % ou à 0,5 %.

Il est important de souligner que les difficultés des chaînes de télévision privées hypothèquent le financement de la création française. France Télévisions représente aujourd'hui 50 % de la commande de production. L'ensemble du secteur privé, toutes chaînes confondues, représente les 50 % restants.

Ironie ou ambiguïté supplémentaire : France Télévisions enregistre des recettes publicitaires très supérieures aux prévisions. Les recettes publicitaires (issues de la publicité avant 20 heures) de France Télévisions pour 2009 devraient ainsi être supérieures d'un montant estimé actuellement entre 105 millions d'euros et 120 millions d'euros aux prévisions qui s'élevaient à 260 millions d'euros.

Ce résultat inattendu explique d'ailleurs en partie l'absence de transfert vers les chaînes privées. L'État a décidé de prélever 35 millions d'euros sur cet excédent. Il ne serait pas illégitime qu'il « rétrocède » cette somme aux chaînes de télévision privées, sous forme d'un allègement de la taxe, dans la mesure où elle correspond à une partie de l'effet d'aubaine dont elles n'ont pas bénéficié.

L'« effet d'aubaine » inattendu de la suppression de la publicité entre 20 heures et 6 heures sur France Télévisions conduit à s'interroger sur la nécessité d'abandonner toute publicité sur le service public. La clause de rendez-vous prévue par loi permettra en tout cas de reposer cette question et je serai peut-être amené à le faire en tant que rapporteur. Les analyses qualitatives font d'ailleurs ressortir que cette publicité diurne n'énerve pas le téléspectateur. Je souligne que paradoxalement les téléspectateurs, en l'absence de publicité, semblent percevoir davantage les messages de parrainage et les publicités pour des biens et services présentés sous leur appellation générique, qui ont été maintenus. En outre, en application de la loi du 5 mars 2009, le placement de produit sera bientôt autorisé. Cette nouvelle forme de communication commerciale permettra d'inclure ou de faire référence à des produits ou des marques dans les programmes moyennant paiement ou contrepartie. Nous n'y étions pas très favorable. Les bénéfices de cette nouvelle forme de publicité n'iront pas aux diffuseurs mais aux producteurs.

En conclusion, je souhaite évoquer les quatre priorités que ce rapport pour avis me permet de dégager quant au travail parlementaire qui attend la commission des affaires culturelles et de l'éducation dans les mois à venir, s'agissant de l'audiovisuel.

En ce qui concerne deux problèmes d'actualité :

- s'agissant de la situation de Radio France Internationale (RFI), le législateur ne peut pas rester indifférent au conflit qui s'enlise à RFI. Je souhaite que notre commission se saisisse de ce dossier et j'estime qu'une médiation pourrait être nécessaire en dernier ressort, même si la direction de l'Audiovisuel extérieur de la France n'y est pas favorable ;

- face aux difficultés rencontrées par les chaînes locales, je souhaite qu'une mission parlementaire établisse rapidement un état des lieux de l'audiovisuel local et puisse établir des propositions pour définir un modèle économique viable de ces chaînes.

En ce qui concerne l'impact de la réforme de l'audiovisuel public :

- je rappelle la nécessité de « corriger » l'impact de la taxe dite « d'effet d'aubaine » sur les chaînes privées. Je suggère que des dispositions complémentaires soient prises à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2009, sans me prononcer à ce stade, sur le choix de la solution : moratoire ou nouvel abaissement du taux ;

- je souhaite que le Gouvernement favorise ou impulse toute action destinée à aider la production audiovisuelle française, estimant que le Centre National de la Cinématographie (CNC) peut être un outil efficace pour le lancement d'un plan de soutien ou de relance, étant rappelé que le pôle audiovisuel public représente actuellement à lui seul 50 % de la commande en production française ;

- je tiens à rappeler à la commission la nécessité de tenir les clauses de rendez-vous qui permettront de faire un véritable point sur les baisses de ressources publicitaires et de se déterminer sur l'abandon ou pas de la publicité diurne sur France Télévision.

Enfin, je me réjouis de la création du club parlementaire « Publicité, économie et société » que j'ai l'honneur de coprésider. Voilà ce que j'appelle un placement de produit.

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