Sauf que j'ai entendu à plusieurs reprises parler de burqa et que les lieux communs véhiculent un certain imaginaire collectif.
Monsieur Myard, vous m'avez qualifiée d'intellectuelle. J'admets que ce soit un compliment dans votre bouche mais, bien souvent, quand on qualifie une personne d'intellectuelle, c'est pour la disqualifier, en fait, de son expertise du terrain. Or, j'ai une telle expérience. J'ai été professeur des écoles dans ce que vous appelez les quartiers sensibles, à la Courneuve.
Concrètement et dans l'objectif de cette audition, j'ai essayé, avec mes maigres moyens, de faire le tour de la burqa, dans les territoires « perdus de la République » comme disent certains qui usent d'une rhétorique basée sur le choc des civilisations : Trappes, Nanterre, la Courneuve, Dugny, etc. Je confirme donc mon propos précédent – et je l'assume – à savoir que le port du voile intégral constitue un épiphénomène. Les renseignements généraux estiment à 367 le nombre des femmes concernées ; on peut aller jusqu'à 2 000 comme le font les sociologues. Mais quand j'utilise le terme d'épiphénomène, ce n'est pas pour diminuer la portée des violences que subissent les femmes qui sont contraintes au port de ce voile, mais pour « détricoter » et déconstruire ce que l'on veut présenter comme une menace qui serait à nos portes, une contamination, voire une pandémie.
Je suis d'accord avec vous : il n'y aurait qu'une femme concernée qu'il faudrait poser le débat. Mais faut-il aller jusqu'à la loi ? Faut-il dépenser autant d'énergie laïque, féministe et invoquer les doits de l'homme devant cet épiphénomène, alors que se posent d'autres questions sociales cruciales, notamment celles des femmes victimes de violences ? Je vous rappelle tout de même qu'une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, qu'à compétence égale les femmes reçoivent un salaire inégal et qu'à raison du genre, elles sont cantonnées dans des fonctions subalternes. Tout cela me paraît aussi insupportable que le port du voile intégral.
Traitons les questions sociales qui concernent les femmes, mais de manière responsable, en mettant en place des politiques sociales, d'action publique, qui nous prendraient tous en compte, à l'aune de ce que nous sommes et de notre appartenance à ce projet commun qu'est la République, fondée sur les principes de liberté, égalité et fraternité. Je parle, en effet, beaucoup de la liberté, parce que c'est ce qui se joue ici. Je n'ai pas de leçon à donner à qui que ce soit, surtout pas à vous, mais j'estime ne pas avoir à en recevoir non plus. Le féminisme et la lutte pour le droit des femmes ne sont pas des discussions de salon. Concrètement, sous le voile intégral, il y a des êtres humains. Et j'oserai qualifier le débat que nous sommes en train de mener de « non débat », car il me semble orienté par l'idée de mission civilisatrice.
Traitons les questions sous-jacentes à la question du port du voile intégral, auquel je ne suis d'ailleurs pas favorable. Mais n'oublions pas ce qui, dans l'inconscient collectif, ressort de nos débats sur les questions de société : des peurs et des représentations – car nous n'avons pas à faire, comme ici, à des intellectuels ou à des gens de terrain.
Peut-on parler d'une loi de stigmatisation ? Tout à fait, et je l'assume d'autant mieux que j'ai travaillé sur le livre intitulé Les filles voilées parlent. Je peux vous assurer que, pour le coup, il y aurait un continuum dans la stigmatisation d'une certaine catégorie de population : la population des femmes, au-delà même de toute appartenance religieuse.
Il y aurait là une double peine pour les femmes que l'on contraint à porter le voile intégral – qui existent, je n'en doute pas et pour lesquelles je suis prête à me mobiliser…