J'interviens ici au titre de mon expérience professionnelle : je travaille à l'évaluation des politiques publiques, notamment la politique de la ville et je me rends régulièrement dans les quartiers populaires. Mais j'interviens aussi et surtout au titre de mon expérience d'engagement. J'ai fait partie des femmes qui ont pratiqué des avortements clandestins et qui ont été à l'origine de la création du Mouvement pour la libération de l'avortement et de la contraception (MLAC) et du Mouvement de libération des femmes (MLF). Ce que je retire de cette expérience-là c'est qu'au fond, on a très facilement tendance, dans nos sociétés, à punir les victimes.
En l'occurrence, ou les femmes qui portent le voile intégral le portent librement et c'est un débat autour de l'exercice de la liberté que nous devons avoir. Ou ce n'est pas le cas et ce sont des victimes – ce que vous pensez souvent – et je ne vois pas pourquoi elles devraient être punies. Souvenez-vous de ce qui s'est passé s'agissant du viol, pour la pénalisation duquel j'ai combattu : les femmes violées étaient posées comme étant la cause première de ce viol.
Il faudrait donc mener, au nom de la République, une réflexion sur la façon dont l'action publique regarde les femmes qui sont ou seraient victimes de telle ou telle forme d'oppression.
Si l'on considère que les femmes qui portent le voile intégral sont victimes d'une forme d'oppression patriarcale liée à un groupe particulier, il faut que nous nous interrogions sur les dispositifs d'aide mis à leur disposition. Nous avons une lourde histoire et les acquis des femmes – qui ne sont pas ceux que la République nous a octroyés mais qui résultent de nos luttes – sont infiniment précieux. Nous devons nous battre pour les conserver.
La laïcité peut constituer un deuxième champ de réflexion. Sur cette question, nous avons toujours eu deux approches : la première assimile laïcité et athéisme ; auquel cas, on articule l'exercice de la laïcité à la non croyance. La seconde garantit l'exercice du débat public et mobilise tous les outils dont nous disposons pour que toutes et tous y participent autant que faire se peut, tant que la sécurité et la liberté de chacune et de chacun ne sont pas menacées.
Ma conception de la laïcité suppose ouverture et mobilisation des outils du dialogue et de la conviction. Je ne préconise pas le port du voile intégral. Mais je me suis demandé comment faire pour que les femmes qui le portent sortent de cet enfermement choisi ou subi : en utilisant les outils de culture et de connaissance qu'offre notre société.
Qui sont les groupes qui préconisent le port du voile intégral ? Comment les caractériser ? Si ce sont des sectes, nous avons les outils pour les identifier et les combattre. Auquel cas, cela relève de l'action publique. Si ce sont des groupes qui pratiquent un prosélytisme, il faut aussi les combattre, en adoptant une forme d'action qui ne soit pas forcément répressive. A moins que l'on ne réprime ceux qui font ce prosélytisme ? Mais dans ce genre d'affaires, les hommes s'en tirent très bien, au point que – et il y a de quoi s'en étonner – ceux qui appartiennent à des groupes menaçant la République sont absents de vos préoccupations !