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Intervention de Dalil Boubakeur

Réunion du 28 octobre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris :

Mesdames, Messieurs, en tant que recteur de la Mosquée de Paris, je vais vous faire part de mon analyse sur le voile intégral sous l'angle de l'islam.

Depuis sa construction en 1922 sur un budget voté par le Parlement français, la Mosquée de Paris s'est engagée dans la construction et la promotion d'un islam de France fidèle à sa tradition des Lumières et en accord avec l'esprit des institutions françaises en matière de législation, de culture et de société.

Les représentants de cet islam de France sont périodiquement interrogés sur la compatibilité de cette religion – la deuxième de France – avec soit la laïcité française, soit la modernité de la société occidentale.

Devant les réactions suscitées par l'apparition récente des femmes intégralement voilées au nom de l'islam, le lien avec une résurgence du fondamentalisme musulman est vite établi. L'irruption du voile intégral dans la population française des villes et des cités pose le problème de l'acceptation ou non de ce qui est jugé comme : une atteinte à la laïcité de notre société ; une insulte à la dignité de la femme, à sa liberté et au principe fondamental de l'égalité des hommes et des femmes ; une résurgence archaïque contraire à la modernité ; une attitude de provocation guidée par les fondamentalistes en France et dans le monde, puisque ce phénomène se répand un peu partout chez les musulmans.

Devant l'émotion suscitée en France par cette pratique vestimentaire, M. le Président de la République, Nicolas Sarkozy, affirmait fermement le 22 juin 2009 devant le Congrès du Parlement réuni à Versailles : « Le problème de la burqa n'est pas un problème religieux, c'est un problème de liberté [et] de dignité de la femme. La burqa n'est pas un signe religieux, c'est un signe d'asservissement, d'abaissement. Je veux le dire solennellement : la burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. »

Pour notre part, nous pouvons affirmer trois choses.

Premièrement, du point de vue religieux, ni la burqa ni le niqab – ou voiles intégraux – ne sont des prescriptions religieuses de l'islam.

Dans le Coran, le voile féminin est invoqué dans les Sourates 24-31 (la Lumière), 33-53 et 33-59 (Les Coalisés). Il y est question de voile – appelé en arabe jilbab –, de pudeur et de respect dû aux femmes qu'il faut préserver. Cependant, les termes de burqa ou de niqab n'y sont mentionnés nulle part.

Mieux, l'un des plus grands traditionalistes de l'islam, Mohamed El Bokhari, cite le témoignage de la propre épouse du Prophète, Aïcha, la plus érudite des croyantes de son temps, qui précisa sans équivoque (Sahih, chapitre XXIII) qu'au cours du Pèlerinage elle ne se couvrait « ni la partie inférieure ni la partie supérieure du visage » durant le rite sacré. Ainsi, le rite du pèlerinage (ihram) ne s'opère-t-il qu'à visage découvert jusqu'à nos jours.

Récemment, le 3 octobre 2009, le très savant Cheikh Al Tantawi, Recteur de l'Université d'Al Azhar en Égypte, a interdit le port de la burqa ou niqab aux enseignantes et étudiantes dans les écoles relevant de son université, disant que cette tenue vestimentaire n'est qu'une simple coutume et non un acte de dévotion – en arabe : « Ada laïssa'ibada ».

Deuxièmement, d'autres éléments plaident contre le port du voile intégral.

Si le voile intégral est souvent mis au compte d'une extension du fondamentalisme dans le monde, il faut noter que c'est l'organisation islamiste des Frères Musulmans qui, en Égypte, s'éleva le plus fortement contre l'interdit du port de ce vêtement, interdit préconisé par le Cheikh de l'Université islamique d'Al Azhar.

Ces fondamentalistes-là invoquent volontiers les positions radicales et littéralistes de la quatrième école de l'islam, le hanbalisme, dont l'un des juristes, Ibnu Taymiyya – dont s'inspirent tous les fondamentalistes de la planète – aurait, au XIIIe siècle, recommandé dans ses fatwas le voile intégral, aujourd'hui porté sous le nom de burqa en Afghanistan chez les Pachtounes, et de niqab dans certains pays arabes. Ce terme de burqa existe bien dans la littérature antéislamique arabe (Antar Ibn Shadad), mais c'est un archaïsme qui n'a rien à voir avec l'avènement de l'islam.

Ce vocable de niqab – qui signifie couvrir ou voiler en arabe – est utilisé sous le terme de n'gueb dans le Sahara où les Touaregs se couvrent le visage, sauf les yeux, pour se protéger des ardeurs du soleil ou des vents de sable. Cela, à l'évidence, n'est pas le cas de la France !

Il est donc clair que ce vêtement, limité dans son espace géographique et historique, est à tort érigé aujourd'hui comme une tradition de l'islam.

Cette pratique vestimentaire se répand néanmoins en Europe et dans le monde musulman avec une volonté manifeste des tenants de la quatrième école de l'islam. Elle est amplifiée dans le monde par l'effet contagieux des télévisions satellitaires moyen-orientales, d'Internet et de tous les modes de communication modernes.

Ce voile intégral a été régulièrement mis en cause dans l'histoire lors de diverses actions de guerres, comme chez les premiers Abbassides où certains guerriers se voilaient. Plus récemment, il en a été question s'agissant du terrorisme en Irak et en Jordanie. En Iran, certaines personnes viennent même d'être accusées de l'utiliser pour des transports illicites de stupéfiants.

Beaucoup d'autres aspects sécuritaires sont invoqués pour critiquer la non-identification de femmes arborant le voile intégral. Par exemple, aux portes des écoles, dans les administrations, les douanes, les aéroports, les banques, les hôpitaux, où une personne doit être reconnue par son visage découvert. On a même assisté, paraît-il, à des intrusions masculines sous le camouflage de la burqa.

Troisièmement, la France est un état laïc, vecteur de valeurs humanistes, liées aux droits humains que sont la liberté, l'égalité, la parité entre les hommes et les femmes... Bref, cette modernité républicaine est garante de la diversité de notre société.

Le pacte social assurant cette laïcité est accepté par tous : citoyens ou résidents musulmans de France participent à ce consensus et à cet engagement de respecter la loi et les coutumes de notre pays. Ce fut, en 2003, l'une des conditions du contrat d'accueil et d'intégration des femmes immigrées, désireuses de venir vivre et s'installer en France.

Il faut le marteler : la République intègre les individus et refuse le communautarisme. N'excluant nullement le droit à la différence, la société française manifeste ses réticences lorsque des signes de démarcation trop ostensibles semblent prendre des significations heurtant la laïcité ou le sentiment du « vivre-ensemble ». C'est pourquoi nous nous rangeons à l'avis du Président de la République qui a fermement souligné l'urgence d'une prise de position au sujet du voile intégral.

N'étant pas juriste, il ne m'appartient pas ici de conseiller la mission parlementaire sur le plan de la législation. Cependant, une loi – qui serait d'exception, tout le monde le reconnaît – sur le port de cette tenue vestimentaire pourrait se heurter, dans son application, à diverses difficultés ou à des conflits d'intérêts qui concernent finalement un nombre incertain de porteuses de burqa. On n'en connaît pas le nombre exact.

Du reste, il n'y a pas, en Islam, de monachisme ni de tenue monacale (sourate 57 « al Hadid »). La Rahbaniyata Fil-Islam : il n'y a pas de tenue religieuse dans l'islam.

En France, toutes les personnes – hommes ou femmes – sont protégées par la loi. Et la modernité de la société confère à la femme – qu'elle soit musulmane ou non – toutes ses potentialités d'épanouissement, de dignité et de responsabilité, dans le respect de chacune et la diversité de toutes. Dans le cas du port du voile intégral, ces conditions ne peuvent être remplies que si l'on privilégie une attitude de sagesse, de dialogue et de pragmatisme plutôt que de contrainte.

Dans une démarche de compréhension plus directe, il y aurait lieu de s'informer – au cas par cas – sur les motivations familiales, maritales, sectaires, religieuses, voire psychologiques qui poussent ces femmes à arborer un tel vêtement, si peu conforme aux us et coutumes de l'Europe. Chaque cas repose, en effet, sur une problématique personnelle, une histoire personnelle ou, et je le dis en tant que médecin, un état clinique personnel. Sur un plan psychologique ou même psychanalytique, n'y a-t-il pas une sorte de fixation, de fétichisme ? Il faudrait aller assez loin dans l'exploration intellectuelle, psychologique et sociologique pour bien connaître ce problème qui me paraît, pour l'instant, ressortir d'une volonté personnelle, individuelle. On a même trouvé des femmes européennes qui revendiquaient le port de ce vêtement.

Par ailleurs, il serait nécessaire d'établir une statistique plus fiable des cas relevés en France et de noter dans la durée l'extension ou non du phénomène. Grâce à une connaissance beaucoup plus précise de cette nouvelle situation en France, on pourra observer, si ce phénomène dénote une véritable influence croissante du fondamentalisme musulman en Europe et s'il est la cause d'un certain nombre de dysfonctionnements administratifs, sociaux ou sécuritaires.

Dans le premier cas, si le fondamentalisme est à ce point invasif et contagieux dans notre pays, alors les moyens de lutte ne seraient que politiques : tout rapport de force sociétal – le fondamentalisme en est un – doit être traité politiquement, mais est-il encore temps de lutter sur ce plan ? Il s'agirait de mettre en place une nouvelle politique de soutien – au moins – à l'islam modéré, qui souffre tant de sa déshérence, et de veiller partout et avec vigilance à la non-prolifération du fondamentalisme. La société doit décider politiquement de quel islam elle veut.

Dans le second cas, il semble qu'il faudrait cibler les lieux et les circonstances où le port du voile intégral présente une incompatibilité avec l'exercice normal de la fonction publique, des règles de sécurité ou de la simple identification d'une personne, par exemple, à la sortie des écoles, et partout où l'identité est requise sur un plan administratif, douanier, policier, etc.

Le débat actuel sur l'identité nationale confère au problème de la burqa une résonance particulière. Il faut cependant raison garder. Il appartient au seul législateur de concilier les diverses exigences que sont le droit de chacun à la sécurité, l'égalité des hommes et des femmes, et la protection des droits et des libertés d'autrui, conformément à la tradition française d'humanisme et de tolérance, tout en tenant compte de l'état actuel de notre législation.

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