– Le rapport « Vers une meilleure prise en compte du genre dans nos politiques de coopération » reflète la volonté de la France de mener et de soutenir des projets de développement qui bénéficient aux femmes comme aux hommes et de prendre en compte le genre dans les dispositifs de coopération.
Je souhaiterais d'abord remercier le Premier Ministre et le Secrétaire d'État de m'avoir confié cette mission, ainsi que les ONG et tous ceux qui m'ont accompagnée dans ce travail.
L'approche genre est relativement neuve en France notamment parce que ce terme qui s'impose dans les relations internationales ne se traduit pas bien dans notre langue. Elle a pour finalité de faire prendre systématiquement en compte l'égalité entre hommes et femmes par les politiques de développement. Aujourd'hui, alors que ces politiques sont conduites depuis très longtemps, les trois-quarts des personnes les plus pauvres au monde sont des femmes, elles représentent les deux tiers des analphabètes et sont spécialement victimes de violences aussi bien en temps de guerre que de paix. Donc si l'on veut qu'il y ait une véritable égalité, il faut que les femmes puissent profiter du développement et qu'elles soient pleinement prises en compte dans l'ensemble de ces politiques.
La France est très impliquée dans l'aide publique au développement (APD) avec la volonté de soutenir les états démocratiques et se soucier du bien-être de leurs populations. L'APD en France est centrée surtout sur les domaines sociaux, l'éducation et la santé. Les intervenants sont nombreux : l'Agence française de développement (AFD), le Ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) et le Ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. De ce fait, l'aide est dispersée, mais le MAEE a pris un certain nombre de directives en s'appuyant sur des accords internationaux. Ces dernières années, l'aide multilatérale a considérablement augmenté et représente plus de 40% de l'APD.
La France a décidé de se consacrer aux pays des zones de solidarité prioritaire. C'est ainsi que l'Afrique reçoit 57% de notre aide bilatérale qui va essentiellement vers les quatorze pays africains les plus pauvres et les moins avancés.
Cette coopération passe par quatre pôles : le pôle diplomatique, qui comprend le développement, la francophonie et le MAEE ; le pôle économique formé par le Ministère de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi ; l'AFD, qui est l'opérateur pivot et le Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du développement solidaire, nouveau participant depuis ces trois dernières années.
Les volumes de l'APD de la France sont très importants. Au niveau mondial, la France est le quatrième pays donateur et le deuxième pays du G7 en termes de ratio aide au développement sur revenu national brut. La France contribue à hauteur de 20% des fonds réunis par l'Union européenne (UE) qui elle-même représente 60% de l'aide mondiale.
Le contexte de l'harmonisation des aides est très évolutif. L'APD doit, depuis 2005, valoriser des programmes d'envergure plutôt que d'intervenir par petites touches, pour renforcer son efficacité. Il est à craindre que cette aide centrée sur de grands programmes n'affaiblisse l'aide aux associations de femmes qui sont souvent de petites entités davantage investies sur les microcrédits et qui sont pourtant essentielles.
Plusieurs étapes importantes ont eu lieu dans la lutte contre les inégalités hommes femmes.
Il s'agit, en particulier, de la Déclaration du Millénaire et les Objectifs du Millénaire pour le développement, de 2000 qui a fait suite a la conférence de Pékin de 1995. Cette conférence mondiale sur les femmes a fixé des objectifs stratégiques pour mieux prendre en compte la condition des femmes. Ces douze objectifs, parmi lesquels lutter contre la pauvreté, favoriser l'égal accès à l'éducation et aux soins et lutter contre les violences envers les femmes, sont inclus dans les politiques de développement de nos ministres.
Ensuite le Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et du développement économique (OCDE) a lancé dès 2000 des recommandations pour accroître les efforts en faveur de l'égalité hommes femmes. Pour cela, le CAD a mis en place un marqueur « genre » sur chaque action de développement, afin de relever ce qui peut favoriser ou pas le développement des femmes et l'égalité hommes femmes dans toutes les opérations menées par l'AFD, les ministères et les ambassades. La France pourrait cependant mieux communiquer afin que la cohérence de ses actions par rapport au marqueur genre soit mieux reconnue. Selon le CAD, il est nécessaire d'admettre que l'intégration du genre coûte cher :il faut rendre les dirigeants et le personnel des agences de développement redevables des résultats des politiques, embaucher plus de conseillers genre, c'est-à-dire des sociologues ayant pris en compte avec l'analyse précise de la situation du pays, et que le personnel des agences et des ambassades soit mieux formé.
Le Secrétaire d'État français de la Coopération et de la Francophonie, M. Joyandet, s'est engagé fortement dans l'intégration du genre au sein de ses politiques et soutient particulièrement les actions des femmes africaines.
À côté de l'OCDE, l'Union européenne (UE) s'est aussi engagée sur l'égalité hommes femmes dans les politiques de développement, comme dans la Communication de la Commission au Conseil sur l'égalité entre les hommes et les femmes et l'émancipation des femmes dans la coopération au développement de mars 2007.
Enfin, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) s'est engagée depuis 2000 sur ce sujet, via la Conférence des femmes de la Francophonie « Femmes, pouvoir, développement », avec pour but de favoriser la responsabilité des femmes. Monsieur Abdou Diouf est personnellement très engagé dans la prise en compte de l'éducation des femmes. Il reconnaît qu'il a du mal à faire prendre conscience de l'importance de cette question à l'ensemble des partenaires de la francophonie. Mais l'OIF a aujourd'hui un programme qui vise à prendre en compte le genre dans ses actions.
Le Premier Ministre m'avait demandé de regarder ce qu'il se passait dans les « pays modèles », comme le Danemark et les Pays-Bas, ainsi que la Grèce et le Portugal qui ont été un peu en avance sur nous quant à la prise en compte du genre. On a constaté l'importance de la présence de conseillers genre dans les ambassades et au Ministère des Affaires étrangères de chacun de ses pays avec des exigences fortes sur le marqueur genre pour chaque programme.
La France a fait d'importants progrès depuis 2000. Dès 2003, Mme Girardin a lancé la prise en compte du genre au MAEE, avec le réseau « genre en action », action poursuivie et renforcée par M. Joyandet. En 2006, à l'occasion de Pékin + 10, la France a publié un document intitulé « Promouvoir l'égalité entre hommes et femmes – initiatives et engagements français en matière de genre et développement » qui a confirmé la volonté politique de la France d'intégrer l'égalité homme-femme au coeur de toutes les politiques de développement. C'est vraiment à partir de 2006 que cette intégration a eu lieu en France, alors qu'au niveau mondial, elle avait été un peu antérieure. L'adoption par le MAEE d'un Document d'Orientation Stratégique genre (DOS genre) en décembre 2007 précise des objectifs pour lutter contre les inégalités ainsi qu'un objectif de transversalité de l'approche genre dans tous les domaines de la coopération française.
En mai 2009, M. Joyandet a précisé que le DOS était entré en application. Antérieurement, il avait lancé en décembre 2008 le Plan d'action sur le genre et la valorisation de femmes, avec un budget spécifique et les « huit chantiers pour l'Afrique ». Il a ainsi été nommé une conseillère des affaires étrangères spécifiquement chargée des questions du genre. Le plan d'action consacre 20 millions d'euros au genre: 14 millions d'euros mis en oeuvre par l'AFD, dont 4 millions passeront par la voie des ONG et 10 millions pour deux projets, le centre mère-enfant de Kaboul et le projet d'adduction d'eau au Burkina Faso ; 3 millions d'euros d'enveloppes pour les ambassades afin qu'elles subventionnent des projets portés par des associations locales dans le cadre des crédits déconcentrés, fonds sociaux de développement ; 3 millions pour le Fonds de solidarité prioritaire mobilisateur « genre et développement économique », qui est un volet important car la participation complète des femmes et leur indépendance ne se feront qu'à partir d'un volet économique et de leur éducation.
L'AFD intègre le genre dans toutes ses politiques a nommé un correspondant genre, mais elle ne sait pas communiquer sur cet aspect de ses actions sur le terrain, si bien que les Français ne connaissent pas le « genre » dans les politiques de développement.
Lors de notre visite au Burkina Faso, j'ai bien vu que les femmes étaient bien invitées à participer aux projets, notamment à ceux d'adduction d'eau car elles étaient intégrées à la fois par les maires, par les chefs de village et par les nouvelles équipes municipales, grâce à un accompagnement sociologique fort. J'ai pu voir aussi sur un projet de coopérative agricole une main-mise des hommes : le microcrédit avait permis aux femmes de prendre un début d'autonomie financière, mais au moment où on arrivait à un projet plus important, les femmes étaient mises à l'écart. On constate un réel effort, mais il reste encore des opérations conduites par des ONG qui n'ont pas eu les moyens d'avoir un accompagnement sociologique de la prise en compte des femmes, très lourd en milieu rural. Mais comme la France est engagée, il y a dans tous les projets un renforcement de la capacité des ONG, du MAEE et des ambassades à prendre en compte la situation des femmes.
Je suis également allée au Cameroun. Dans un projet de développement local, les sociologues se sont rendus compte qu'on n'arrivait pas à faire participer les femmes parce qu'elles étaient installées en position de faiblesse par rapport aux hommes. Elles ne faisaient pas assez confiance aux ONG et n'osaient prendre la parole en public. Ainsi, les politiques de genre sont difficiles à mettre en marche sans la formation, sujet sur lequel travaillent beaucoup la Francophonie et les associations de femmes. L'AFD est en train de passer au-delà du microcrédit pour aider les entreprises conduites par des femmes, car en Afrique ce sont les femmes qui ont en charge la santé et l'éducation et l'accès à l'eau.
En conclusion de ce travail, des propositions ont été formulées :
Concernant les domaines d'intervention, il faudrait tout d'abord renforcer la présence et le discours français en faveur de l'égalité homme-femme et du genre dans les instances européennes et internationales. Ensuite, le discours des Droits de l'Homme devrait intégrer l'égalité homme-femme malgré les différences de civilisation, pour faire comprendre que le développement et l'équilibre d'un pays vont de pair avec l'égalité des sexes. L'autonomisation des femmes devrait également être un domaine d'intervention à part entière de la coopération française, notamment de l'AFD, le genre intégré de façon transversale et le partenariat entre l'AFD et la Plate-forme pour le Commerce équitable renforcé, les femmes jouant un rôle primordial dans l'agriculture et l'artisanat, domaines clés du commerce équitable.
En termes de ressources humaines, il faudrait que le MAEE crée une véritable « mission genre » car il y a trop peu de personnel disponible aujourd'hui et que les effectifs des correspondants genres dans les ambassades et les institutions de la coopération française soient augmentés, afin de permettre une meilleure évaluation de la situation en fonction du contexte culturel. Il est également important que les hommes soient inclus dans les projets et au sein des équipes de coopération.
Enfin, en ce qui concerne le marqueur politique genre nous devons communiquer autrement. L'OCDE reconnaît que la France mène des actions sur le genre, mais le terme en lui-même, d'origine anglo-saxonne, ne correspond pas à nos modes de fonctionnement. Monsieur Joyandet a annoncé que nous allions souscrire au marqueur genre aussi bien pour l'AFD et l'OCDE.