Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Dominique Baert

Réunion du 29 octobre 2009 à 17h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Baert, Rapporteur spécial :

Au préalable, je veux vous inviter à relativiser la portée de ce travail – comme la portée du vote sur ces crédits – puisqu'aucun des chiffres contenus dans ce rapport ne peut tenir compte du futur « grand emprunt ».

La mission Engagements financiers de l'État, dotée de 44,2 milliards d'euros, est la troisième mission du budget général. Elle comporte quatre programmes : le programme Appels en garantie de l'État, avec 247,8 millions d'euros, décroît régulièrement depuis 2007 ; le programme Épargne est d'une assez grande stabilité avec 1 150 millions d'euros ; le programme Majorations de rentes n'appelle pas de commentaire particulier.

Le programme Charge de la dette et trésorerie de l'État représente, avec 42,5 milliards en 2010, 96 % des crédits de la mission. Il est le plus important du budget général après les Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État. C'est un programme en constante augmentation – 39,2 milliards d'euros en 2007, 40,8 milliards en 2008, 43 milliards en loi de finances initiale pour 2009. Compte tenu de son poids, les crédits de la mission varient parallèlement aux siens. C'est donc à l'examen de son évolution que je consacrerai l'essentiel de mon propos.

Je n'insisterai pas sur la stratégie associée au programme, qui n'a pas subi de grandes modifications. Les principes de la politique d'endettement de l'État n'ont pas changé, ni sur la nature des titres, ni sur les principes d'émissions. Une précision cependant : en 2009, la banque Santander a rejoint le « club » des établissements bancaires spécialistes en valeurs du Trésor. Je n'insisterai pas davantage sur la performance du programme, mesurée par des objectifs et indicateurs à la fois éprouvés et solides : celle-ci est globalement satisfaisante.

L'observation des chiffres m'amène à formuler trois constats. Le premier est que la charge de la dette sera en forte augmentation en 2010. Nous assistons à une spectaculaire dégradation des comptes publics, qui présente plusieurs caractéristiques.

Le besoin de financement de l'État – constitué du déficit budgétaire et du montant des amortissements de titres arrivés à échéance – atteint des montants historiques. Pour 2009, il est de 252,8 milliards, un montant supérieur à la somme des besoins de financement des trois années 1998, 1999 et 2000.

Ce besoin de financement, 2,5 fois supérieur à celui de 2007 – 252,8 milliards contre 111 milliards –, est en croissance rapide pour chacune de ses composantes, qu'il s'agisse du déficit budgétaire, 3,5 fois supérieur à celui de 2007 –141 milliards contre 42 milliards –, de l'amortissement de la dette à long terme, qui a doublé – 62,8 milliards contre 31,9 milliards –, ou de l'amortissement de la dette à moyen terme, qui a augmenté de 30 % – 47,4 milliards contre 37,2 milliards.

Le besoin de financement ex ante annoncé n'est plus jamais le besoin de financement ex post constaté. Ainsi, le projet de loi de finances pour 2008 annonçait un besoin de financement de 145 milliards ; 164 milliards ont été réalisés. Pour 2009, 191,7 milliards étaient annoncés ; 252,8 milliards seront réalisés. Dès lors, faut-il considérer comme sincère la prévision gouvernementale pour 2010 – 212 milliards – qui ne prend même pas en compte le grand emprunt ?

Le besoin de financement n'est pas prêt de décroître. D'après les projections, il convient de s'attendre pour 2011 et 2012 à un besoin de financement supérieur à 200 milliards.

Enfin, dernière caractéristique, le déficit budgétaire en 2009 et en 2010 – 141 milliards puis 116 milliards – est plus important que les remboursements des emprunts arrivant à terme.

Le deuxième constat est que l'État finance de plus en plus ses besoins à court terme. Le programme d'émission de titres à moyen et long terme (BTAN et OAT) atteint des niveaux sans précédent : 165 milliards d'euros en 2009, puis 175 milliards en 2010, après 128,5 milliards en 2008. Mais cela n'empêche pas l'encours de la dette à court terme (les bons du Trésor à taux fixe, ou BTF) de s'envoler : après une très forte augmentation en 2008 (+ 59,8 milliards d'euros), il continuerait de progresser en 2009 et 2010 (+ 69 milliards et + 30 milliards). À la fin 2010, la dette à court terme de l'État s'établirait à environ 237 milliards, contre 78 milliards à la fin 2007.

Certes, la signature de la France est toujours respectée sur les marchés et, en dépit de l'importance croissante de son besoin de financement, notre pays n'éprouve aucune difficulté à se financer. Il nous faut pourtant formuler trois remarques : dorénavant, l'État finance de plus en plus ses déficits structurels – de moyen et long terme – sur du court terme ; ce faisant, il assume un risque de rupture de liquidité de ses sources de financement ; enfin, l'État finance à court terme, voire à très court terme, la totalité de ses charges d'intérêt et une bonne part de son fonctionnement courant, ce qui est loin d'être vertueux.

Si l'État était un particulier ou une entreprise, il se trouverait en situation critique de surendettement et il est fort à parier que son banquier, s'il n'avait déjà dénoncé son concours, serait mis en cause pour soutien abusif ! Mes chers collègues, les comptes que je vous présente sont ceux d'un État surendetté !

Troisième constat : si la charge de la dette est contenue grâce à des taux d'intérêt encore bas et à une faible inflation – d'un montant de 38,4 milliards, elle serait inférieure d'environ 4,5 milliards aux crédits votés en loi de finances initiale –, cela ne durera pas. Selon les prévisions du Gouvernement, la charge de la dette augmentera de presque 4 milliards pour atteindre 42,2 milliards en 2010, puis encore de 4 à 6 milliards en 2011.

J'entrevois trois conséquences à cela. Quand bien même les taux d'intérêt demeureraient modérés, l'effet « volume » lié aux émissions massives de dette de 2008 à 2010 risque d'obérer l'essentiel des marges de manoeuvre budgétaires de l'État. Celui-ci devra consacrer de plus en plus d'argent au financement des intérêts de sa dette.

Par ailleurs, les titres à court terme représentant aujourd'hui environ 18 % de l'encours total de dette, la hausse des taux se répercutera très rapidement sur la charge de notre dette. À titre indicatif, une hausse des taux globale et pérenne d'un point entraînerait, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation des intérêts de la dette d'environ 2,5 milliards dès la première année, de 4,2 milliards l'année suivante, de 6,3 milliards la troisième année, jusqu'à environ 15 milliards à un horizon de dix ans.

Enfin, nos conditions d'emprunt risquent de se dégrader, ce qui creuserait l'écart avec l'Allemagne en cas de divergence des stratégies budgétaires suivies à la sortie de crise.

Au-delà de la question de la charge de la dette, c'est, plus généralement, le problème de l'emballement de l'endettement public qui est aujourd'hui posé. La question clé des années qui viennent sera celle de la soutenabilité de nos comptes publics. Après 63,8 % du PIB en 2007 et 67,4 % en 2008, le ratio d'endettement public devrait, selon les prévisions du Gouvernement, atteindre 77,1 % en 2009, puis 84 % en 2010. Le chiffre de 100 % en 2012 n'est plus impossible.

Il ne faut pas négliger cette perspective, ne serait-ce que du point de vue macroéconomique. Un endettement incontrôlé peut être source de multiples effets d'éviction : il limite, au sein des dépenses publiques, les marges de manoeuvre des pouvoirs publics ; il détourne l'épargne privée du financement de l'économie, au détriment de l'investissement des entreprises ; il encourage une épargne de précaution chez les ménages anticipant de futures augmentations des prélèvements obligatoires, ce qui entraîne un affaissement de la demande intérieure ; enfin, il peut conduire à l'augmentation des taux d'intérêt à long terme, dissuadant l'investissement du secteur privé. Pour l'heure, les politiques monétaires sont expansionnistes et l'inflation est basse. Mais lorsque s'engagera un relèvement des taux courts et que le trésor public ne se financera plus à court terme, les besoins cumulés pousseront mécaniquement à la hausse les taux longs.

Le programme Appels en garantie bénéficierait de 247,8 millions d'euros de crédits en 2010. Les principales dépenses concernent des garanties de prêts de l'Agence française de développement et des garanties d'aides à l'exportation de la Coface. D'un montant de 86,1 millions, les crédits de l'action développement international de l'économie française progressent sensiblement depuis 2008, mais cette augmentation est essentiellement imputable à la modification administrative du champ des garanties. Cela dit, je me félicite de cette augmentation, qui traduit un plus grand effort de soutien à l'exportation.

Les crédits du programme Épargne sont affectés à des dépenses budgétaires et à des dépenses fiscales. Pour les dépenses budgétaires, les crédits s'élèveraient à 1 254,4 millions. Ils sont essentiellement destinés à assurer le financement des primes payées par l'État aux détenteurs de comptes d'épargne logement et de plans d'épargne logement, par l'intermédiaire du Crédit foncier de France.

L'occasion m'est donnée de revenir sur une vérité financière critiquable. Depuis 2006, les crédits ouverts par les lois de finances initiales se sont systématiquement avérés insuffisants. Les ouvertures complémentaires en lois de finances rectificatives n'ont pas permis de couvrir la totalité des appels de fonds du CFF. Il en est résulté une augmentation brutale du découvert de l'État auprès du CFF : de 96 millions fin 2005, il a, en trois ans, été multiplié par dix, atteignant 963 millions à l'issue de l'année 2008.

Si, en 2006, le Gouvernement pouvait plaider l'effet de surprise, il n'en va pas de même pour les exercices suivants. Il convient bien de parler de sous-budgétisation récurrente, comme l'a fait la Cour des comptes.

En 2009, les crédits permettront de réduire le découvert de seulement 100 millions. En 2010, l'augmentation des crédits proposée – 93 millions de plus qu'en 2009 – pourrait peut-être suffire à compenser l'augmentation attendue de la charge de l'État, mais non permettre de résorber le découvert de l'État auprès du CFF, qui reste un banquier non assumé de l'État.

Les dépenses fiscales afférentes au programme Épargne sont évaluées à 6,1 milliards en 2010. Elles ont augmenté ces dernières années, passant de 4,9 milliards en 2007 à plus de 6 milliards en 2009. Mais leur évaluation reste plus qu'approximative, malgré les dispositions de la loi de programmation des finances publiques. Nous recommanderons donc d'améliorer ce point.

Les années précédentes, c'est toujours mû par un esprit de responsabilité que j'exprimais mon avis de rapporteur spécial sur l'adoption des crédits de cette mission et donc que je vous appelais à les voter. Cette année, je ne le ferai pas. Pourquoi ?

D'abord, les chiffres que je viens de vous communiquer ne tiennent pas compte de l'incidence du grand emprunt, ce qui les rend tout à fait hypothétiques. Ensuite, l'évolution est préoccupante. Le contexte économique est certes aujourd'hui relativement favorable – liquidité des marchés, politique monétaire expansionniste et donc des taux d'intérêt bas, une économie ralentie et donc une capacité aisée du Trésor français à lever des fonds –, mais une hausse de 1 % des taux d'intérêt majorerait significativement la charge de la dette, à tel point qu'elle pourrait alors devenir en 2014 ou 2015 le premier poste budgétaire, devant l'enseignement scolaire – mission dont les crédits s'élèvent actuellement à 60,8 milliards d'euros. Les coprésidents de la commission sur le grand emprunt, MM. Juppé et Rocard, font eux-mêmes ce constat. Mais les pouvoirs publics ne semblent pas se soucier de cette réalité.

Présenter des crédits, c'est aussi susciter une prise de conscience, engager le débat. C'est la raison pour laquelle je vous propose, mes chers collègues, un vote négatif, qui se veut un cri d'alarme. J'espère qu'il sera entendu, par-delà l'hémicycle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion