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Intervention de Francis Vercamer

Réunion du 28 octobre 2009 à 10h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer, rapporteur pour avis sur les crédits du travail :

En tant que rapporteur pour avis de la Commission des affaires sociales, pour les crédits des programmes n° 111 « Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail », et n° 155 « Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail », de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2010, je souhaite, tout d'abord, présenter, de manière synthétique, les crédits alloués à ces deux programmes, puis faire quelques réflexions sur le thème que j'ai choisi, dès juillet dernier, pour mon rapport : la santé au travail.

Au sein de la mission budgétaire « Travail et emploi », les crédits des programmes n° 111 et 155, qui relèvent, tous deux, du ministre du travail, constituent une part modeste. Dans le projet de loi de finances pour 2010, ils s'élèvent à 890,8 millions d'euros, sur 11,4 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 14,3 millions d'euros par rapport à 2009. Les crédits proposés pour 2010, s'inscrivent pleinement dans la programmation pluriannuelle 2009-2011 : ils correspondent aux montants annoncés l'an dernier.

Dans le détail, le programme n° 111, qui vise à améliorer la qualité de l'emploi et des relations de travail, se voit doté de 78,2 millions, soit une diminution de 7,8 millions d'euros, principalement imputable au solde des dépenses exceptionnelles, liées à l'organisation des élections prud'homales de décembre 2008. En effet, les autres postes de financement augmentent significativement : les crédits dédiés à la santé et à la sécurité au travail, s'accroissent de 25,4 %, et ceux consacrés au développement du dialogue et de la démocratie sociale de 24,6 %.

Quant au programme n° 155, le programme support de la mission, qui regroupe les moyens en personnel, fonctionnement et investissement des politiques publiques du travail et de l'emploi, ses crédits augmentent de 22,1 millions d'euros. Dans le cadre de ce programme, trois grandes réformes seront finalisées l'an prochain :

– le plan de modernisation et de développement de l'inspection du travail, qui a permis la création de 700 emplois entre 2006 et 2010, dont 160 en 2010 ;

– la fusion des trois corps d'inspection du travail, issus de l'agriculture, des transports et du travail ;

– la mise en place des directions régionales de l'entreprise, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

Je souhaite maintenant faire part des travaux que j'ai menés sur la santé au travail. J'avais choisi ce sujet, en juillet dernier, car le premier Plan santé au travail 2005-2009 arrive à terme à la fin de l'année. Il me semblait donc important d'en dresser un bilan. Au fil des quarante-trois auditions, et au vu de l'actualité, en particulier de la dramatique série de suicides de salariés chez France Télécom, dont on a beaucoup parlé, mais aussi dans d'autres entreprises, j'ai élargi ma réflexion à trois thèmes :

– l'amélioration de la gouvernance de la prévention des risques professionnels ;

– la lutte contre les risques psychosociaux, même si ce terme n'est pas très porteur, comme cela a été souligné par certains commissaires, il s'agit de l'expression utilisée par les professionnels ;

– l'avenir des services de santé au travail.

La santé au travail constitue un défi central pour l'avenir proche de notre marché du travail, en raison notamment du phénomène de vieillissement de la population. Elle affecte directement la qualité de vie des quelque 15,9 millions de salariés et a des répercussions importantes sur la compétitivité des entreprises. Tant les accidents du travail et les maladies professionnelles, que le mal-être physique et psychologique au travail, représentent de réels coûts pour les entreprises. En 2008, les accidents du travail ont occasionné plus de 37 millions de journées perdues et les maladies professionnelles plus de 8 millions, selon les calculs de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale.

Le premier Plan santé au travail, a été adopté en février 2005, sous l'impulsion de M. Gérard Larcher, alors ministre délégué aux relations du travail. Il a accompli un changement d'échelle dans le traitement de la santé au travail : il s'agit du premier plan d'action d'envergure nationale, proposant une démarche globale et intégrée.

De l'avis général des personnes que j'ai auditionnées, le premier Plan santé au travail a, tout d'abord, contribué à développer la recherche et la connaissance sur les risques professionnels. Il a conduit à la création de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET), dès septembre 2005. Celle-ci fournit aux pouvoirs publics une expertise indépendante et pluridisciplinaire, sur des thèmes de santé au travail. L'idée qui a présidé à sa création, était de séparer les fonctions de recherche et de prise de décision, pour éviter la répétition de drames de santé publique, comme celui de l'amiante.

Le premier Plan a permis, également, une réelle sensibilisation du monde du travail à la question des risques professionnels. Ainsi, selon un sondage européen de juin 2009, 15 % des Français se considèrent comme « très bien informés » sur les risques liés à la santé et à la sécurité sur leurs lieux de travail, et 54 % comme « plutôt bien informés ». Toutefois, il convient de distinguer une sensibilisation réussie, de la mise en oeuvre concrète d'actions de prévention des risques dans les entreprises.

Le premier Plan, qui était avant tout un plan institutionnel, visait à fédérer tous les acteurs de la santé au travail. Pour ce faire, une réorganisation du pilotage, national et régional, du système de prévention des risques professionnels, a été opérée.

Au niveau national, a été créé, en novembre 2008, le Conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT), qui a remplacé le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels. Le COCT a vocation à être l'institution pivot en matière de santé au travail, qui regroupe l'ensemble des acteurs du secteur, à l'instar du Conseil d'orientation des retraites (COR).

Au niveau régional, ont été mis en place, comme déclinaison du COCT, les comités régionaux de prévention des risques professionnels (CRPRP).

Quant à l'impact concret du premier plan sur l'évolution des accidents du travail et des maladies professionnelles, il demeure difficile de le mesurer exactement. Néanmoins, on peut souligner, pour 2008, une diminution du nombre d'accidents du travail avec arrêt, et un recul des accidents graves ou mortels. Il faut cependant se garder d'adopter une logique exclusivement comptable en matière de santé au travail. En effet, au fil des auditions, je me suis rendu compte que la prévention de nouveaux risques professionnels peut se trouver freinée par la peur de faire jurisprudence, et de créer un nouveau poste d'indemnisation, dans l'idée que prévenir implique en soi la reconnaissance du caractère réparable d'un risque.

Si le premier plan a conduit à créer de nouvelles instances dans le domaine de la santé au travail, la gouvernance du système de prévention des risques professionnels demeure perfectible. La coordination et la délimitation des compétences, des nombreux acteurs du domaine, doivent être améliorées, pour développer une politique unifiée de prévention. Le système français de prévention semble encore trop complexe.

Le deuxième Plan santé au travail 2010-2014, doit impérativement donner des objectifs communs aux structures opérationnelles nationales car, jusqu'à présent, elles produisent chacune leur propre programme d'actions prioritaires, sans véritable concertation. Cette mission de coordination devrait être assurée par le COCT, mais il ne dispose pas de moyens suffisants pour l'accomplir : il n'a pas de budget propre et seuls 3 personnes ont été mises à sa disposition.

Par ailleurs, ce conseil n'a pas encore établi de contact avec son réseau régional, et l'Observatoire de la pénibilité, chargé, en son sein, d'apprécier la nature des activités pénibles, n'a pas encore été mis en place. Or, il me paraît essentiel que cet observatoire soit très rapidement installé, au plus tard en janvier 2010, au vu du rendez-vous mi-2010 sur les retraites. En effet, la question de la pénibilité ne concerne pas seulement les retraites, mais touche d'une manière globale les conditions de travail. Le COCT doit d'abord définir la notion de pénibilité, avant que celle-ci soit abordée dans les discussions sur la réforme de l'assurance vieillesse, ce qui permettrait de réfléchir à d'autres formes de compensations et éviter ainsi d'accentuer encore le déséquilibre du régime des retraites.

Au niveau national, les moyens de la recherche doivent aussi être rassemblés. À cet égard, la fusion entre l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET) et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), appelle quelques commentaires : je m'interroge, en effet, sur la capacité de la nouvelle agence à traiter des problématiques spécifiques au milieu du travail, tels que les risques psychosociaux ou les troubles musculo-squelettiques, qui n'ont pas vraiment de lien avec la sécurité sanitaire.

Un fléchage des crédits, dédiés aux investigations sur les risques professionnels, me paraît extrêmement nécessaire. On aurait pu aussi réfléchir, avant de choisir de fusionner l'AFSSA et l'AFSSET, à regrouper autrement les organismes de recherche sur la santé au travail, pour créer un pôle national de recherche sur les risques professionnels.

Au niveau régional, la coordination des acteurs peut aussi être améliorée : on pourrait, par exemple, étudier le rapprochement entre les observatoires régionaux de santé au travail, gérés par les partenaires sociaux, et les comités régionaux de prévention des risques professionnels, qui viennent d'être créés. Des représentants des services de santé au travail devraient, de plus, être intégrés aux structures de concertation.

Au final, la multiplicité des acteurs en présence et leur manque de coordination, ne permettent pas une diffusion suffisante des politiques de prévention jusqu'aux entreprises, qui sont pourtant le niveau concret d'application des mesures visant à réduire les accidents du travail et les maladies professionnelles. C'est le reproche principal que l'on peut formuler contre le premier Plan santé au travail : son caractère opérationnel a été limité. Le développement de la recherche ne s'est ainsi pas assez traduit par la diffusion d'outils innovants aux entreprises.

Outre l'amélioration de la gouvernance du système de prévention des risques professionnels, l'un des défis majeurs du futur deuxième plan réside dans le traitement et la prévention des risques psychosociaux.

Les risques psychosociaux progressent et recouvrent des risques professionnels d'origine et de nature variées, qui se situent à l'interface entre l'individu et ses conditions de travail. Selon le modèle de M. Karasek, le risque psychosocial résulte de la combinaison, dénommée « jobstrain », d'une forte charge mentale au travail, avec de faibles marges de manoeuvres. Cette situation peut être aggravée par le manque de soutien de sa hiérarchie ou de ses collègues.

En 2003, selon la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 23 % des salariés français se trouvent dans une situation de « jobstrain », mais l'exposition aux risques psychosociaux est inégalement répartie entre les sexes, les catégories socioprofessionnelles ou les métiers. Parmi les secteurs d'activité, l'hôtellerie-restauration, les transports, et les activités financières connaissent les proportions les plus élevées de salariés soumis au « jobstrain ».

Les risques psychosociaux mettent en jeu l'intégrité physique et la santé mentale des salariés. Ayant des répercussions sur le bon fonctionnement des entreprises, ils représenteraient, selon le bureau international du travail, un coût s'élevant à 3 ou 4 % du PIB dans les pays industrialisés.

La connaissance des risques psychosociaux demeure cependant encore parcellaire. En effet, le modèle de M. Karasek ne rend pas totalement compte du ressenti des salariés : seuls 23 % des salariés sont considérés en situation de « jobstrain », alors que 34 % jugent que leur travail est « très stressant ». D'autres éléments jouent en effet sur le développement de ces risques : la crainte de la perte d'emploi, ou la taille de l'entreprise, les salariés des petites structures étant moins soumis au stress selon les personnes auditionnées.

La création d'un indicateur national des risques psychosociaux est aujourd'hui à l'étude. Suite au rapport de MM. Nasse et Légeron, un collège d'experts vient de proposer une série de quarante indicateurs provisoires.

L'arsenal français actuel de lutte contre ces risques semble encore limité : c'est tout un système de prévention qui est à bâtir, à mon avis, autour de l'amélioration de leur évaluation, de la négociation sociale et de l'information des managers, des préventeurs et des salariés.

Le dernier axe de mon rapport porte sur l'avenir des services de santé au travail, après l'échec de la négociation menée par les partenaires sociaux, en septembre dernier. La médecine du travail se trouve dans une situation critique, en particulier en termes d'effectifs : en 2008, la diminution du nombre de médecins du travail s'est poursuivie : on en recensait 6 915 pour toute la France, contre plus de 7 300 en 2004. Cette tendance devrait s'accentuer dans les prochaines années à cause des nombreux départs en retraite attendus : en 2008, 75 % des médecins du travail ont plus de 50 ans. Or, dans le même temps, le nombre de places ouvertes à l'internat pour la médecine du travail n'a pas été spécialement relevé : entre 2008 et 2012 seront formés 370 nouveaux médecins.

La réforme de la médecine du travail, entamée depuis 2000, a permis deux avancées de taille. Elle a introduit une pluridisciplinarité, en transformant le dispositif de médecine du travail en services de santé au travail, et créant les intervenants en prévention des risques professionnels. Elle a également revalorisé l'action en entreprise. Mais cette réforme se trouve encore inégalement appliquée et n'est pas allée au bout de sa logique.

Il me semble que l'on pourrait étudier une évolution du statut des services de santé au travail, vers un système davantage fondé sur la mutualisation, qui garantirait mieux l'indépendance des médecins. On pourrait imaginer ainsi des structures indépendantes qui collecteraient les fonds versés par les entreprises pour les services santé au travail, et rémunéreraient les médecins et infirmiers du travail. Ces organismes pourraient se développer à une échelle territoriale ou par secteurs d'activité.

Il est indispensable de réaffirmer la place, au coeur des missions de ces services, de la prévention collective en entreprise. Pour mieux remplir cette mission et au vu de la démographie médicale, la question de la réforme de la procédure d'aptitude se pose. Deux options sont en débat :

– soit le transfert aux médecins généralistes de la charge de la visite individuelle, mais cela suppose qu'ils soient formés au droit du travail et qu'ils connaissent les problématiques de santé en milieu professionnel

– soit l'espacement des visites individuelles accomplies par les médecins du travail, accompagné de visites de mi-parcours, réalisées par les infirmières du travail.

Enfin, les services de santé au travail doivent trouver leur pleine place au sein du système de prévention des risques professionnels. À ce titre, une coordination accrue de leur action avec l'inspection du travail me semble fondamentale. On pourrait envisager le regroupement des documents actuels de prévention en un nouveau registre obligatoire de santé en entreprise, qui retrace les préconisations du médecin du travail, les actions mises en oeuvre par l'employeur, et dont l'application serait contrôlée par l'inspecteur du travail. Ce contrôle est déjà partiellement opéré aujourd'hui, mais la multiplicité des documents de prévention ne le facilite pas. Cette réforme, non coûteuse, garantirait une meilleure visibilité et continuité des recommandations des médecins du travail et apporterait une pierre supplémentaire à la construction de projets préventifs de santé au travail au niveau de l'entreprise.

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