Notre mouvement, qui existe depuis plus de cinquante ans, a ouvert des permanences au public, pour que les femmes se saisissent du dossier sur lequel nous nous battions : le droit à la contraception. Mais les femmes qui s'y rendaient venaient souvent aussi parler de violences. À l'époque, ces violences pouvaient être liées au fait qu'elles refusaient toute relation sexuelle, par peur d'être enceintes. Mais après que le droit à la contraception fut reconnu, nous avons constaté que les affaires de violences perduraient. La société, qui organise les rôles dévolus aux deux sexes, juge très mal une femme qui préfère travailler plutôt que d'avoir des enfants.
Les stéréotypes et les rapports de violences et de domination du masculin sur le féminin restent la toile de fond de notre société. Si nous ne nous y attaquons pas en affirmant, collectivement, qu'ils doivent disparaître, on pourra inciter les femmes à se protéger, à choisir leur mode de vie, etc. rien ne changera. Prenez l'exemple de la contraception : en dépit d'un arsenal très au point, une grossesse sur trois survient alors qu'elle n'est pas prévue, parce que de nombreuses femmes ne se sentent pas encore en situation de maîtriser leur corps et leur vie.
Certains hommes se voient assigner des rôles qui ne leur plaisent pas non plus. Il n'est pas question de les culpabiliser, mais d'affirmer, par l'éducation, qu'une société vraiment égalitaire ne peut accepter la violence et le déséquilibre des pouvoirs au détriment des femmes.
Concernant l'évaluation des dispositifs actuels de lutte contre les violences faites aux femmes, je remarque que, depuis quelque temps, lorsque l'on parle des violences, tout le monde pense aux violences conjugales. Dans les années quatre-vingt, nous avons commencé à nous battre pour faire reconnaître le viol, les violences sexuelles, l'inceste, etc. Mais si des mesures ont bien été prises au fil des années, les enquêtes qui sont menées, les jugements qui sont rendus sur ces questions me remplissent de colère.
A priori, le viol et surtout l'inceste n'ont pas lieu en place publique. Il n'y a pas de témoins, ou du moins très peu. Par ailleurs, les femmes qui en sont victimes mettent toujours du temps pour en parler, et les preuves ont pu disparaître. Quand le jugement a lieu, il n'y a plus que la parole de la femme qui joue. Or les magistrats admettent souvent l'argument selon lequel on ne peut y faire foi, la femme étant seule à témoigner des violences.
En matière de formation des magistrats, il y a encore beaucoup à faire. Sur certains faits en effet, on ne disposera jamais que de la parole de la femme. Quand une femme a été violée, sans qu'elle se soit débattue car elle était paralysée par la peur, on avance contre elle l'argument qu'elle n'a pas dit non à l'agresseur. C'est toujours l'idée que le témoignage d'une femme manque de solidité. Il conviendrait donc d'évaluer sérieusement la pratique des tribunaux. Des progrès ont été accomplis, mais du chemin reste à faire.