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Intervention de Gisèle Halimi

Réunion du 29 septembre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Gisèle Halimi :

Merci de me permettre de faire entendre la voix de l'association « Choisir la cause des femmes ». Je veux vous féliciter pour votre initiative et pour le travail que vous avez accompli. Quelle que soit la suite que vous réserverez aux propositions qui vous seront faites dans le cadre de ces auditions, vous aurez fait avancer la réflexion et progresser la cause des femmes.

Notre association a été fondée en 1971 par Simone de Beauvoir, Jean Rostand et Jacques Monod. Indépendante des partis politiques, elle use du jeu démocratique : lors des élections nationales et européennes, nous exposons aux candidats notre programme et leur demandons de prendre position.

Permettez-moi de vous rappeler les moments forts de notre action : en 1972, le « procès de Bobigny » – celui de Marie-Claire Chevalier, une jeune femme de seize ans qui avait avorté clandestinement – a permis l'ouverture d'un grand débat public sur le droit des femmes de choisir leur maternité. Le tribunal correctionnel a prononcé l'acquittement. Puis vint la loi Veil votée en 1974 et promulguée en 1975.

En 1978, le « procès d'Aix-en-Provence » a entraîné la rédaction, à notre initiative, d'une proposition de loi ayant pour objet de rappeler que le viol, auparavant correctionnalisé et sanctionné à la façon d'un vol à l'étalage, était un crime. Portée par Monique Pelletier, alors ministre aux droits des femmes, la loi a été votée le 23 décembre 1980.

En 1995, l'association siégeait au premier observatoire de la parité. J'ai remis à M. Alain Juppé puis à M. Lionel Jospin un rapport sur la parité en politique en 1997, qui concluait à la nécessité de modifier la Constitution.

Aujourd'hui, nous promouvons, au travers de colloques et de publications, la « clause de l'Européenne la plus favorisée » : il s'agit de prendre, pour ce qui concerne la vie des femmes, le meilleur des vingt-sept législations afin de rédiger une loi européenne unique qui leur soit la plus favorable.

S'agissant de l'interdiction du port du voile intégral, les membres de l'association ne sont pas unanimes. S'ils considèrent dans leur ensemble que la burqa est une atteinte à la dignité de la femme et qu'il convient de mettre un coup d'arrêt au phénomène, certains font entendre des divergences, que je me dois de vous rapporter.

Ils estiment que les chiffres dont nous disposons – 367 ou 2 000 femmes portant le voile intégral – révèlent un phénomène somme toute marginal par rapport aux cinq millions de musulmans. Celui-ci ne méritait peut-être pas la création d'une mission parlementaire, dont le but semble être de préconiser l'adoption d'une loi répressive.

Les membres de l'association se demandent également dans quelle mesure le débat sur le port du voile intégral n'a pas été créé de toutes pièces, afin de détourner l'opinion publique de questions autrement plus importantes – telles la hausse du chômage, l'interdiction des bonus financiers ou la remise en question de la retraite des femmes –, ce qui concourt à une perte du sens de l'intérêt général.

Permettez-moi maintenant d'en venir à la signification du voile intégral. Si nous ne nous accordons pas sur ce qu'il représente, il nous sera difficile de parvenir à des préconisations.

S'agit-il d'un objet religieux ? Non. Le voile intégral n'a d'autre signification religieuse que celle que lui donnent les salafistes. La très grande majorité des musulmans de France ne le reconnaissent pas comme tel.

La laïcité – l'un des fondements de notre République – ne peut donc servir de base à une interdiction. En ce sens, les parallèles qui ont été faits avec l'interdiction du port du voile à l'école sont infondés. Le débat qui nous anime aujourd'hui est également plus large, puisqu'il ne s'agit plus de l'école républicaine, mais de la rue.

S'agit-il d'un objet politique ? Je crois profondément que le port du voile intégral est un acte de prosélytisme de l'intégrisme islamiste, même si celles qui le portent ne le savent pas. Faut-il pour autant l'interdire, alors que ce prosélytisme ne prend pas une forme violente et qu'il n'est pas incompatible avec nos libertés publiques ?

Est-il contraire à la dignité de la femme ? À cette question, nous répondons résolument par l'affirmative et considérons que c'est précisément à ce titre que son port doit être proscrit. Ces femmes sont emprisonnées : on leur refuse le droit de nouer des relations avec autrui et de percevoir le monde comme les hommes le perçoivent. Elles subissent un double enfermement, physique et psychologique.

Le voile intégral s'oppose bien sûr au principe constitutionnel d'égalité entre les sexes, mais plus fondamentalement, il signifie que les femmes qui le portent ont intégré leur propre infériorisation. La réponse qu'une jeune professeure tunisienne de physique nucléaire – portant le niqab – m'a faite alors que je lui demandais si le voile intégral n'était pas une manière de lui faire accepter son infériorisation en témoigne : après avoir réfléchi un instant, elle a déclaré : «  Mais nous sommes inférieures » !

La burqa est une forme d'apartheid sexuel. D'un côté, le monde des hommes, relationnel et ouvert, de l'autre, celui des femmes, contraint et clos. Cet étendard de l'infériorisation des femmes est inacceptable car contraire à notre dignité. Et comme le disait Malraux, la dignité, c'est le contraire de l'humiliation.

Alors, que faire ? Après en avoir beaucoup débattu, les membres de l'association estiment qu'un moratoire doit être instauré avant toute mise en place d'un système répressif aux conséquences imprévisibles. Cela permettrait à un organisme spécialement créé d'évaluer précisément l'ampleur du phénomène ainsi que sa progression. Le rapport, qu'il rendrait au 1er janvier 2011, nous permettrait de savoir où nous en sommes.

S'il est prouvé que le phénomène augmente, il faudra alors passer à une loi répressive spécifique. Celle-ci pourrait sanctionner le port du voile intégral non pas par des peines d'amendes ou d'emprisonnement mais par des travaux d'intérêt général d'un nouveau genre. Les femmes qui portent le voile intégral seraient contraintes de suivre un enseignement sur les libertés, sur l'histoire de la république, sur l'histoire du féminisme, sur les religions – je me rappelle que mon grand-père, rabbin, lors de ses ablutions matinales, remerciait Dieu de ne pas l'avoir fait femme. Notre capacité à lutter contre l'obscurantisme fait le génie de notre nation. Il nous faut éclairer ces femmes, les armer contre ceux qui tentent de les enfermer dans une foi aveugle et imbécile, les émanciper par la réflexion.

En cas d'échec et de blocages, et si la situation devait s'aggraver, nous préconisons de passer à un troisième stade. Il conviendrait alors de promulguer une loi générale, d'ordre sécuritaire. Il s'agirait d'étendre le décret du 19 juin 2009 qui interdit de dissimuler son visage aux abords d'une manifestation ou de réaffirmer la nécessité de pouvoir identifier une personne dans l'espace public. Cette loi pourrait aussi s'inspirer d'un règlement en vigueur au Luxembourg, en vertu duquel il est interdit de paraître masqué dans la rue en dehors du carnaval.

J'entends bien que nous bottons en touche, que cette dernière solution n'est peut-être pas à la hauteur de l'enjeu. La montagne aura alors accouché d'une souris ; mais si cette souris parvient à déchiqueter progressivement ces voiles, pourquoi pas ?

En aucun cas cette démarche ne doit aboutir à stigmatiser les cinq millions de musulmans qui vivent en France. Certains propos qui auraient été tenus en ces lieux et qui peuvent être résumés en un : « La burqa, tu l'aimes ; la France, tu la quittes » doivent être résolument écartés de vos débats.

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