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Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 29 septembre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec, député-maire de Cachan :

À Cachan, en proche banlieue de Paris, règne une sorte d'équilibre social, avec des quartiers légèrement sous tension, mais dont les problèmes sont habituellement absorbés par le brassage de populations. Néanmoins, la réalité que vous évoquez est connue dans mon territoire. L'un de mes adjoints y a été confronté lors de la célébration d'un mariage. Nous avons été inflexibles.

Récemment, j'ai moi-même été confronté au cas d'une maman totalement voilée qui accompagnait son enfant dans sa classe de maternelle. La direction de l'établissement ayant malencontreusement demandé au gardien de l'école d'empêcher la maman d'entrer, je suis intervenu pour rappeler que les personnels communaux sont sous l'autorité du maire, puis j'ai demandé à l'inspection de circonscription de m'expliquer et de me confirmer officiellement l'interdiction d'accès, ce qu'elle a fait, si bien que j'ai fait procéder à cette interdiction. Si cela s'est passé de manière apaisée, sans provoquer de difficultés, je pense que la situation n'est pas totalement réglée dans la mesure où c'est l'ATSEM (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles) qui a fait le chemin pour aller chercher l'enfant à l'entrée de l'école, alors que notre but n'est évidemment pas de porter atteinte au lien entre l'enfant et sa mère.

Sur le fond, cette histoire est représentative d'autres situations sur lesquelles nous nous interrogeons.

Ne rien faire serait inacceptable. Mais faire quelque chose nécessite de ne pas heurter les autres aspects que nous avons en charge, à savoir garantir à l'enfant la possibilité d'être scolarisé, sans qu'il ne soit mis à l'écart de ses petits camarades.

Ainsi, des situations, que nous n'observions pas auparavant, apparaissent. D'une certaine manière, on vient un peu quereller la République pour savoir ce qu'elle peut faire et jusqu'où elle peut aller.

S'agissant de la fourniture des repas, je ne cesse de dire à mes administrés qu'il ne s'agit pas d'un service public, mais d'un service social : il est donc légitime que les bénéficiaires ne contestent pas – sauf à participer en tant que citoyen à leur amélioration – les éléments sur lesquels il repose, à savoir la laïcité, la République. En matière d'équipements, par exemple la piscine, la même justification est possible au nom de l'absence de toute ségrégation.

Pour les équipements dont l'accès ou le fonctionnement est placé sous mon autorité, j'ai le sentiment qu'un fondement à la prise de position de l'autorité suffit. Dans mon hôtel de ville, on se présente aux guichets visage découvert parce que c'est le symbole du lien du citoyen avec l'administration de la commune. Cela est incontestable, la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) le dit elle-même, et tous mes collègues exigent la même chose.

Dans cette réalité, je pense qu'il faut simplement utiliser sans complexe des instruments qui existent.

Vous l'avez compris : le voile intégral n'est acceptable pour aucun d'entre nous. Loin d'être une anecdote, il révèle la rupture de l'égalité entre l'homme et la femme, mais aussi les atteintes au lien social représenté par le visage découvert, la rencontre, le regard, tout ce qui fait l'existence même, comme l'a souligné notre collègue.

Alors, faut-il légiférer ?

Sur ce point, je tangue au fur et à mesure que j'entre dans ce débat. Si j'ai dit que la réglementation de l'accès à un établissement suffit, des recours seront cependant toujours possibles pour la contester devant le Conseil d'État ou la Cour européenne des droits de l'homme. Par conséquent, il faut fixer des règles, la Cour ayant d'ailleurs toujours rappelé qu'un État pouvait établir de telles règles dans le cadre desquelles doit s'établir son organisation sociale.

Opter pour une loi impose de se poser la question de son application et des sanctions. À défaut, nous n'avancerons pas. Sans polémiquer, l'exemple frappant du délit d'occupation illégale des halls d'immeuble témoigne de l'insuffisance d'une loi à elle seule, même améliorée dans un deuxième temps, pour régler ce type de problème. En effet, il est quasiment impossible de constater les faits mais aussi d'appliquer la sanction.

Il n'y aurait pire message à adresser aux citoyens qu'une loi par laquelle on se limiterait à se donner bonne conscience en réaffirmant un principe républicain. Cela ne suffit pas. Il faut pouvoir dire : « Soit on respecte la loi, soit on est sanctionné » ; or, nous ne sommes pas en état de le faire. Je ne vois pas que, demain, une loi interdisant le port du voile intégral puisse être adoptée, l'interdiction étant assortie d'une sanction en cas d'infraction – au minimum une amende, la sanction étant aggravée en cas de récidive – car le texte serait inapplicable. De plus, les musulmans de France auraient alors le sentiment que la République a choisi la voie de la facilité. Des représentants de la communauté musulmane nous le disent : « Nous sommes d'accord, le problème est réel, mais ne promulguez pas une loi relative au port du voile intégral car toute loi portant sur ces sujets est ressentie comme une agression envers l'islam. Expliquez plutôt la République et les valeurs qui la sous-tendent ».

Aussi, je propose d'utiliser plutôt l'instrument constitutionnel nouveau qu'est la résolution parlementaire. Ce serait une manière de réaffirmer un principe républicain constitutif de la souveraineté nationale, et se référer à cette résolution permettrait de justifier des décisions prises quotidiennement, à propos desquelles on peut aujourd'hui se faire quereller car elles peuvent être interprétées comme étant ségrégationnistes.

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