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Intervention de Philippe Séguin

Réunion du 16 septembre 2009 à 10h00
Commission des affaires sociales

Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes :

C'est toujours pour nous un honneur de présenter devant votre Commission le rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Comme à l'accoutumée, le rapport de 2009 commence par l'analyse des comptes de l'exercice clos, en l'occurrence celui de 2008, et rassemble ensuite divers travaux, relatifs aux différentes branches et régimes de base de la sécurité sociale.

Certains sujets, vous le constaterez, sont totalement dans l'actualité : ainsi en va-t-il des travaux sur les avantages familiaux de retraite, qui devraient être révisés par la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Certains autres sujets sont plus techniques, mais tout aussi importants à mes yeux : ainsi en va-t-il des travaux relatifs à la durée d'assurance pour le calcul des retraites ou à la mise en oeuvre de la T2A.

J'ai tout à fait conscience qu'en dépit de la variété des sujets traités, nous ne répondrons pas à toutes les curiosités : nous ne dirons rien sur la grippe A, vous vous en doutez – c'est trop tôt. Rien non plus sur la crise et ses conséquences éventuelles pour notre protection sociale : notre rapport porte sur l'application de la loi de financement pour 2008, année encore peu marquée par la crise.

Notre travail pourrait apparaître, de ce fait, comme « décalé » ou même « déphasé ». Il est en effet évident que la crise et les réponses qui lui ont été apportées ont désormais, en 2009, et auront encore en 2010, un impact majeur sur les comptes sociaux. On sait déjà que les résultats de 2009 vont se dégrader très fortement, notamment sous l'effet de la baisse des recettes et de la progression, toujours dynamique, des charges. Le déficit va sans doute dépasser les 20 milliards d'euros. Mais tout cela, nous l'avions déjà évoqué devant vous en juin dernier lors de la présentation de notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques devant votre commission et la Commission des finances. Inutile donc d'y revenir, d'autant que l'évolution de la situation n'a fait que conforter notre première analyse.

En outre, rien ne serait plus dangereux à nos yeux que de tirer prétexte de la situation conjoncturelle pour ne pas voir qu'avant même la crise, la sécurité sociale faisait face à un déficit structurel de plus de 10 milliards d'euros – dans l'hypothèse la plus favorable – et à une dette cumulée de plus de 100 milliards. C'est ce que montre ce rapport. Il est ainsi tout à fait actuel, car il traite du problème de fond, celui des causes du déficit structurel, c'est-à-dire de ce qui demeurera, voire se dégradera encore, une fois les effets de la crise dissipés.

Rien ne serait donc plus dangereux que de faire de la crise un prétexte pour différer les indispensables réformes de notre protection sociale et de son financement.

On ne peut plus, en effet, se contenter de demi-mesures. Il faut certes lutter contre la fraude, réexaminer certaines réglementations obsolètes : on peut toujours « optimiser » le système existant, mais cela ne pourra suffire ni à résorber les milliards de dette accumulée ni à répondre à l'explosion des dépenses. Il faudra des mesures de plus grande ampleur, tant pour les retraites que pour l'organisation et le fonctionnement du système de santé. Ces mesures seront douloureuses pour beaucoup et seront, à n'en pas douter, impopulaires. Mais elles sont nécessaires si l'on veut sauvegarder au profit des générations futures le bénéfice de ce que nous ont légué ceux qui nous ont précédés.

On en vient même à penser que certaines des mesures ponctuelles mises en oeuvre ont eu, faute de vision d'ensemble, des effets contreproductifs, pour ne pas dire pervers. Que penser du report croissant de charges sur des mutuelles et des complémentaires, alors que l'on connaît le caractère antiredistributif d'une telle évolution ? Que penser également du réflexe consistant à faire porter sur le malade une charge croissante ? La logique de notre système était précisément d'organiser une solidarité entre les Français, entre les bien-portants et les malades, entre les actifs et les retraités.

Il n'y a pas à s'étonner de la situation que nous vivons. Nous sommes dans un contexte qui n'est plus du tout celui de la période de création du système : d'un côté, nous devons faire face à une explosion des dépenses sous l'effet du vieillissement, du progrès médical, de l'attention accrue portée à la santé ; de l'autre, la mondialisation fait du poids des charges sociales une hypothèque pour la compétitivité de notre pays. Tel est le problème structurel. Pour y répondre, il faut des réformes profondes, des réformes de fond, non des demi-mesures ou des ajustements ponctuels. Et ces réformes doivent porter autant sur les dépenses que sur les recettes. En d'autres termes, il faut rationaliser les dépenses et remettre à plat le système de financement en gardant à l'esprit deux impératifs : celui de la compétitivité de notre économie et celui de l'équité.

Le rapport que je vous présente au nom de la Cour n'a d'autre ambition, comme ceux qui l'ont précédé, que d'analyser à cette aune deux des réformes structurelles engagées, mais trop timidement à notre sens, en ce qui concerne les retraites et l'hôpital. Il passe en revue également plusieurs exemples de réformes, moins profondes mais qui seraient pourtant utiles et qui se trouvent trop souvent à peine amorcées ou renvoyées à plus tard.

Avant de revenir sur ces points, je commencerai, comme tous les ans, par rendre compte des résultats des régimes obligatoires de base et des fonds de financement. Je ne dirai rien cette année des tableaux d'équilibre, sauf pour signaler que nous continuons à contester la présentation retenue pour ces tableaux dans le projet de loi, présentation qui, par le jeu de contractions de produits et de charges – provisions et reprises de provisions, par exemple –, conduit à afficher des montants inférieurs à ceux résultant de la consolidation des comptes des régimes. Pour autant, les soldes, eux, ne sont pas modifiés.

De façon générale, des progrès très importants restent à faire en matière de tenue des comptes. Je le rappelle, la Cour a refusé de certifier cette année les comptes de deux branches du régime général : vieillesse et famille. Ce n'est pas la marque d'une sévérité particulière. En effet, les commissaires aux comptes privés n'ont pas certifié les comptes de quatre autres régimes, et non des moindres puisqu'il s'agit du régime des salariés et exploitants agricoles, du Régime social des indépendants, de la Caisse d'assurance vieillesse des professions libérales et de la Caisse nationale autonome de la sécurité sociale dans les mines. Au total, les comptes, qui ont fait l'objet d'un refus de certification, représentent 45 % de l'ensemble des produits et charges des régimes de base. Cela donne une idée de l'ampleur des progrès à réaliser pour disposer de comptes fiables ! Voilà un sujet qui, à notre sens, pourrait faire l'objet d'un examen tout particulier à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin de connaître les intentions du Gouvernement en la matière. Je referme la parenthèse.

Le solde 2008, pour l'ensemble des régimes de base et des fonds de financement, ressort à - 11,9 milliards d'euros, contre - 11 milliards en 2007, si l'on met à part la reprise des dettes du Fonds de financement des prestations sociales agricoles (FFIPSA) par l'État. Ce résultat traduit une légère dégradation par rapport à celui de 2007, mais il reste dans la ligne de ceux constatés depuis 2003, période au cours de laquelle les déficits ont toujours été supérieurs à 10 milliards d'euros.

Preuve que la crise n'avait que tardivement produit ses effets en 2008, les cotisations ont continué à augmenter, même si le rythme s'est un peu ralenti. La croissance de la masse salariale du privé, assiette des cotisations, s'est ainsi élevée à 3,6 % en 2008, contre 4,25 % en 2007.

Du côté des dépenses, de même, le rythme de progression ne s'est que peu infléchi : 5,5 % pour les prestations de retraites du régime général au lieu de 6,1 % en 2007, et 3,7 % pour les prestations en maladie au lieu de 4,1 % en 2007. Les déficits de ces deux branches restent donc importants : 4,4 milliards pour le seul régime général en maladie, soit une légère amélioration et 5,6 milliards pour la branche vieillesse du régime général, encore en dégradation sensible, soit un total de 10 milliards pour les deux branches.

Comme on le constate, l'effet de ciseaux entre l'évolution des produits et des charges s'était déjà, pour ces deux principaux risques, un peu accentué avant même la crise. Inutile de préciser qu'il va encore fortement s'accroître au cours des prochaines années. En 2009 et 2010, les recettes devraient au mieux stagner, alors que l'évolution des dépenses devrait rester inchangée.

En 2008, les résultats ont été améliorés par le rattachement à l'exercice de recettes non récurrentes : il s'agit notamment de la prise en compte de deux années de recettes de CSG sur les placements – du fait d'une réforme des règles de prélèvement –, ce qui améliore les résultats pour environ 1,4 milliard d'euros, et de celle de cinq trimestres de cotisations sociales dues par les employeurs indépendants, pour 0,9 milliard.

Au total, avec diverses autres opérations exceptionnelles, le résultat a été amélioré de près de 3 milliards d'euros. Ce qui signifie que l'on devrait en réalité retenir un déficit structurel – j'insiste sur ce terme – de l'ordre de 15 milliards d'euros en 2008.

Comme chaque année, la Cour a ensuite examiné les conditions de financement des découverts. Les déficits accumulés ont un coût : il est désormais nécessaire de consacrer plus de 7 milliards de prélèvements sociaux et fiscaux au paiement des intérêts et à l'amortissement de la dette sociale. Or, la sécurité sociale rencontre de plus en plus de difficultés à assurer le « portage » de cette dette. En témoignent les tensions intervenues entre l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et la Caisse des dépôts et consignations, notamment pour le calcul des rémunérations liées aux avances faites au régime général. Là encore, le caractère structurel du problème semble négligé, puisque cette dette est traitée comme si elle correspondait à des découverts infra-annuels, alors qu'elle résulte de déficits accumulés, pour des montants croissants. La composante de l'endettement qui dépasse les seuls besoins infra-annuels devrait donc être isolée dans la loi de financement et sa reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) doit être prévue, sans attendre que les déficits cumulés atteignent des dizaines de milliards d'euros. En effet, la pratique actuelle revient à priver de son sens la règle, pourtant posée par la loi organique, qui prévoit que l'endettement de long terme est porté par la CADES et que celle-ci doit disposer de ressources nouvelles en cas de reprise de dette, de sorte que son horizon d'apurement demeure inchangé. J'ajoute qu'en cas de remontée des taux d'intérêt, cette pratique s'avérerait immanquablement coûteuse.

Je suis bien conscient que le retour à l'équilibre, dont l'horizon n'avait d'ailleurs cessé de s'éloigner d'une loi de financement à l'autre, est maintenant hors d'atteinte tant que la croissance ne sera pas revenue. Il faut donc, en attendant, refinancer la dette en fonction de ses composantes et ne pas exclure de prévoir les recettes fiscales nécessaires à son amortissement.

Nous savons, par ailleurs, que les mesures d'économies ont rarement un rendement immédiat important. Cela ne dispense pas d'en prévoir, à condition qu'elles soient chiffrées de manière réaliste et effectivement mises en oeuvre. Or, nous notons également, dans notre analyse de l'ONDAM, le rendement finalement amoindri, par rapport aux prévisions, des différentes actions d'économies ciblées. Toutes ces questions seront débattues, j'en suis sûr, lors de l'examen du prochain projet de loi de financement. Elles devraient inciter à relancer la recherche de redéploiements et d'économies partout où cela est possible sans fragiliser notre cohésion sociale.

Comme les années précédentes, une part importante de notre rapport porte sur les différentes politiques sociales et sur la gestion des organismes sociaux pour identifier des sources d'efficacité et d'efficience.

Je ne voudrais cependant pas que les membres de votre commission, et nos lecteurs en général, en retirent le sentiment que, pour la Cour, tout est négatif et contestable. Nous relevons, au contraire, nombre de progrès dans la gestion des organismes du régime général, dans la mise en oeuvre du contrôle interne ou dans les performances des différentes branches. Le mouvement de regroupement des organismes, qui permet de leur donner la masse critique nécessaire, est désormais bien engagé. Dans le cadre des missions permanentes qui sont confiées à la Cour par la loi, nous rendons compte, en effet, du plus ou moins bon fonctionnement des organismes que nous contrôlons par l'intermédiaire du réseau d'alerte. Nous avons dans ce cadre spécifiquement examiné la situation des caisses générales de sécurité sociale dans les départements d'outre-mer, qui, elles, ne vont pas très bien. Il faut dire que leur mission à vocation multibranches et multirégimes est objectivement difficile. Nous appelons les caisses nationales à les soutenir davantage.

Nous montrons également, dans notre analyse des versements de cotisations sociales par l'État employeur, que celui-ci respecte généralement ses obligations, le ministère de la défense faisant cependant l'objet de nombreuses observations. Nous avons également analysé certains aspects des politiques de gestion du personnel des caisses du régime général, en relevant les progrès, encore hétérogènes il est vrai, vers une plus grande prise en compte des mérites individuels des personnels.

Ces diverses missions de contrôle, essentielles dans un État de droit et pour des services publics de cette importance, ont également pour mérite de nous aider à mettre en évidence les points sensibles. Elles nous permettent de relever les faiblesses dans la mise en oeuvre des réformes en cours ou d'identifier diverses mesures susceptibles d'améliorer l'efficacité ou l'efficience des politiques sociales.

Sur le plan non plus de la gestion courante, mais de la mise en oeuvre des réformes souhaitables, le constat est en effet beaucoup plus critique. Nombre de réformes qui pouvaient apparaître courageuses semblent ainsi se perdre dans les sables ou souffrir d'une application insuffisante ou trop partielle. J'en prendrai pour illustration deux réformes d'ampleur que nous avons examinées cette année : le plan Hôpital 2007, lancé en 2003, et la réforme des retraites de 2003. Je donnerai ensuite d'autres exemples de moindre portée, mais qui témoignent également, je crois, de cette difficulté et souvent de cette lenteur que nous constatons dans les évolutions indispensables des politiques sociales, difficulté et lenteur qui résultent souvent de l'insuffisante préparation des réformes, de la précipitation de leur mise en place ou des modifications de dernière minute dont la faisabilité est mal expertisée.

Premier exemple, la réforme hospitalière, initiée en 2003. Nous examinons successivement ses trois volets : la réforme de la gouvernance, avec notamment la création des pôles d'activité et, plus généralement, la question de l'organisation de l'hôpital public ; le volet immobilier du plan d'investissement « Hôpital 2007 » ; enfin la mise en oeuvre de la tarification à l'activité.

Ces trois réformes auraient pu, auraient même dû sans doute, dessiner un cercle vertueux, au service d'un projet de restructuration de la carte hospitalière. Des tarifs fondés sur l'activité devaient pousser à rechercher une meilleure efficacité dans les différents services et à regrouper les établissements dont l'activité est insuffisante. Les aides à l'investissement devaient en priorité aider ces opérations de restructuration. Enfin, les outils nouveaux, dans les pôles et les services, devaient être désormais mis au service d'une approche intégrant le souci d'efficacité et d'efficience des soins, favorisant les regroupements de moyens et les synergies.

Or que constatons-nous ? L'enquête sur l'organisation de l'hôpital a confirmé l'étonnante disparité des performances, même pour des hôpitaux de taille comparable : les résultats économiques, la productivité des personnels, le coût des urgences, la part des examens dans ces urgences, le coût de la permanence des soins… Je pourrais multiplier les constats, détaillés dans le rapport, qui montrent des écarts souvent surprenants. Un seul exemple cependant : en chirurgie orthopédique, secteur où les comparaisons sont les plus aisées à établir, l'encadrement en personnel médical par lit varie de 1 à 10 selon les établissements considérés. Pour les personnels non médicaux, l'écart reste important, variant de 1 à 3. Et tout le reste à l'avenant… Aucun établissement n'obtenait d'ailleurs en 2006 des résultats satisfaisants dans les trois filières examinées – chirurgie orthopédique, obstétrique et pneumologie – ce qui laisse à penser que des progrès sont possibles dans tous les établissements. Autrement dit, que ces progrès restent à faire.

L'enquête a également permis de montrer que les recommandations de la Mission nationale d'expertise et d'audit hospitaliers (MEAH) – qui sera fusionnée dans la nouvelle Agence nationale d'appui à la performance –, restaient, par exemple en matière d'utilisation des blocs opératoires ou d'organisation des urgences, souvent ignorées ou non appliquées. On peut mettre ces constats en lien avec la mise en oeuvre encore limitée des pôles, qui ne disposent qu'exceptionnellement des outils, des données et des délégations de compétence qui leur permettraient de contribuer à l'amélioration de la gestion des soins.

Deuxième constat, cohérent avec le premier, la tarification à l'activité a été introduite avec une rigueur insuffisante, ce qui a conduit tout d'abord à une succession de mesures correctives, le plus souvent prises en cours d'année, peu expliquées aux établissements, qui ont du coup davantage subi que compris les tarifs qui leur étaient notifiés. À mi-parcours – puisque, comme vous le savez, une période de transition est ouverte jusqu'à fin 2012 –, plusieurs questions de fond, posées depuis l'origine, n'ont toujours pas été véritablement traitées : quels coûts les tarifs doivent-ils couvrir ? Que peut signifier l'objectif de convergence entre les deux secteurs public et privé ? Quelle part donner aux dotations affectées au financement des missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation (MIGAC) ? L'absence d'une stratégie d'ensemble se traduit également par une absence de cohérence dans l'évolution des différentes sources de recettes, qu'il s'agisse des arbitrages entre tarifs et dotations, du calcul des tickets modérateurs fondés sur des prix différents des tarifs T2A, ou de la tendance des hôpitaux publics à facturer des suppléments. Il en résulte une réduction insidieuse de la part des soins hospitaliers pris en charge par l'assurance maladie, même si cette part reste encore nettement plus élevée dans le secteur public que dans l'hospitalisation privée. Bref, le profit attendu de la mise en oeuvre d'une tarification à l'activité, à savoir la mobilisation et la dynamisation des ressources dans les établissements, s'en est trouvé sensiblement amoindri.

Notre dernier constat concerne le volet immobilier du plan « Hôpital 2007 ». Certes, il fallait aider les établissements à se moderniser. C'était même indispensable. Mais, les moyens disponibles auraient dû être concentrés sur les projets réellement structurants, en complément des efforts d'adaptation imposés par le nouveau dispositif tarifaire. C'est bien ce qui était prévu, à l'origine, avec une enveloppe significative de 6 milliards d'euros. Mais, très vite, on a laissé dériver le montant des travaux aidés, porté dès le démarrage du plan à 10,6 milliards, puis encore accru au fil des mois jusqu'à plus de 16 milliards. Si quelques aides supplémentaires ont été mobilisées, à partir de la réserve ministérielle ou des réserves régionales des agences régionales de l'hospitalisation (ARH), le solde, soit près de 10 milliards, a été financé par les emprunts que les établissements ont dû contracter, dans des conditions parfois contestables, alors même que leur situation financière devenait plus fragile.

Quant à l'appréciation des effets qualitatifs du plan, elle est encore plus difficile en l'absence de recueil de l'information utile et de méthode adaptée. Des cas d'investissement peu efficaces ont été notés : ainsi en est-il du pôle mère-enfant, au Havre, analysé par la chambre régionale des comptes de Haute-Normandie, et de bien d'autres, non détaillés dans le rapport, qui ont mis en lumière des cas de suréquipement manifeste. Avant même la fin des travaux, une agence régionale a ainsi annoncé que certaines salles d'opérations neuves ne seraient pas ouvertes ! Les exemples donnés dans le rapport sont d'ailleurs équitablement répartis sur le territoire. À Tarbes, ce sont dix nouveaux blocs opératoires qui ont été construits – hors plan « Hôpital 2007 », faut-il préciser ? – alors que l'activité chirurgicale baisse dans cette ville depuis 2004.

Au total, aucune de ces réformes n'est critiquable sur le fond. C'est leur liaison défaillante et le manque de rigueur dans leur application qui a, au moins en partie, conduit à des résultats jusqu'à présent décevants. Je ne sous-estime évidemment pas la difficulté du chantier de la réforme hospitalière, dont témoigne d'ailleurs la récente loi Hôpital, patients, santé, territoires (dite « HPST »). Notre ambition est que les recommandations de la Cour soient utiles aux futures prises de décisions.

Deuxième sujet d'importance traité par la Cour cette année : les retraites. Nos travaux abordent en partie les effets de la réforme importante de 2003. Nous les avons concentrés cette année sur la durée d'assurance, l'un des paramètres du calcul des retraites réformé en 1993, puis en 2003. Je ne vous surprendrai guère en concluant que de nouvelles évolutions paraissent indispensables. Comme chacun sait, un nouveau rendez-vous concernant les retraites est prévu en 2010. Les temps ont en effet changé : la générosité des régimes de retraite, découlant de réformes mises en place dans les années 1970 et 1980, n'est aujourd'hui plus soutenable, en raison de la dégradation des rapports démographiques et leur corollaire, l'accroissement des déficits des régimes de retraite, et cela indépendamment de la crise économique actuelle.

La loi de 2003, en rendant encore plus complexe un corpus de règles déjà particulièrement dense et peu lisible, a rendu très difficile la prévisibilité des évolutions affectant les retraites. Néanmoins, il apparaît d'ores et déjà que le coût des départs en retraite anticipée pour carrières longues – 8,3 milliards d'euros pour le seul régime général depuis 2003 – a été très largement supérieur aux prévisions, en raison du recours massif à des systèmes de validation de trimestres mal calibrés et mal encadrés, faute d'avoir été réformés en temps utile. Le nombre de bénéficiaires a ainsi été supérieur de 80 000 au nombre initialement prévu. Au total, l'âge moyen de départ à la retraite a diminué entre 2001 et 2007, passant de 62 à 61 ans. On constate donc un effet exactement inverse du résultat espéré !

En matière de retraites, l'heure n'est plus à la multiplication des avantages catégoriels. Cette idée simple mérite encore d'être rappelée. Sans entrer dans le détail des mesures dont ont bénéficié les assurés du régime des travailleurs indépendants en 2009, je me contenterai de souligner que, pour gratifier les quelque 6 000 volontaires ayant participé à l'organisation de la Coupe du monde de rugby en 2007, on aurait quand même pu trouver un autre moyen que l'octroi de trimestres pour la retraite, partiellement financé par l'État !

La Cour recommande donc que l'équilibre des règles d'acquisition de trimestres pour la durée d'assurance soit modifié, dans le sens d'une contributivité renforcée, pour toutes les catégories d'assurés et pour toutes les générations.

Dans cette perspective, les pistes de réformes proposées dans le rapport sont nombreuses – je vous invite à vous y reporter. Parmi elles, certaines concernent plus spécifiquement la prise en compte des enfants dans la durée d'assurance pour les retraites. Les constats relatifs à la complexité du dispositif de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) ou à la nécessité de réformer la majoration de durée d'assurance (MDA) pour éviter son extension aux pères, apparaissent largement partagés. Ces dispositifs sont aujourd'hui inadaptés et peu compatibles avec l'objectif d'une augmentation du taux d'activité des femmes fixé par la stratégie de Lisbonne. Chacun convient qu'une réforme est indispensable.

Encore faut-il en dessiner les contours, clarifier les enjeux et les contraintes. En premier lieu, il n'appartient pas, selon nous, aux régimes de retraite de compenser l'effet sur le niveau des pensions des différences de salaires entre hommes et femmes, mais uniquement les interruptions de carrière dues aux jeunes enfants. Les prestations minimales sous condition de ressources sont précisément destinées à compléter les revenus trop faibles de certains retraités : c'est là leur objet même.

En second lieu, le contexte démographique et financier de la branche vieillesse nous paraît disqualifier toute solution qui consisterait seulement à partager des droits existants entre les parents ou à les étendre sans conditions aux pères, ce qui coûterait au moins 3 milliards d'euros.

La perspective sur laquelle nos travaux débouchent est donc celle d'une réforme des deux dispositifs, pour mieux cibler leurs effets et pour améliorer leur articulation. Ainsi, une assurance vieillesse des parents au foyer simplifiée compenserait les interruptions de carrières des parents motivées par l'éducation des jeunes enfants et une majoration de durée d'assurance réduite serait attribuée aux seules femmes en raison de l'accouchement ou de l'adoption.

Au-delà des deux chantiers d'ampleur que constitue la réforme hospitalière et des retraites, d'autres études confirment également le caractère trop partiel ou trop lent des réformes conduites jusqu'à présent.

Premier exemple développé dans le rapport, celui des centres d'examens de santé qui offrent aux assurés du régime général, tous les cinq ans, un examen de prévention. Nous mettons en évidence que le contenu de cet examen est très variable et que les liens avec les médecins traitants sont peu rigoureux – ce « peu rigoureux » étant une nouvelle illustration de ces litotes qu'affectionne la Cour ! Nous rappelons que, depuis des années, les spécialistes de santé publique interrogés par la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS) doutent de l'utilité même de ces examens et que les efforts pour les recentrer vers les publics précaires sont restés largement lettre morte. Dans ces conditions, comment justifier encore que près de la moitié des crédits de prévention de la caisse nationale, soit environ 150 millions d'euros par an, aille vers ces structures où travaillent plus de 2 000 personnes, personnel médical et surtout administratif ? Nous préconisons de les reconvertir, partout où c'est utile et possible, en centres de santé et de les supprimer dans les autres cas. Le diagnostic de lenteur des évolutions est ici d'autant plus évident que la Cour avait déjà formulé cette remarque en 1999.

De même, notre constat sur le contrôle médical de la caisse nationale reprend celui fait il y a près de dix ans, même si depuis lors une réforme structurelle importante – ou ressentie comme telle – a été réalisée. Depuis 2004, les services liquidant les prestations et les services du contrôle médical travaillent ensemble. Pour autant, le basculement de l'activité du service du contrôle médical vers des missions de contrôle a posteriori à partir d'une analyse préalable des risques, que nous appelons de nos voeux, n'a pas encore été accompli. Les quelque 9 000 médecins et personnels administratifs de ce service restent encore, pour l'essentiel, accaparés par des tâches d'instruction des autorisations préalables à certains soins, d'autant moins utiles que les taux de rejet sont le plus souvent très faibles. Par ailleurs, le contrôle des admissions en affection de longue durée (ALD) serait plus efficace, selon nous, s'il était exercé a posteriori, au moins pour les affections où les taux de rejet sont très faibles. En contrepartie, les moyens rendus disponibles par un allégement des contrôles a priori devraient être affectés au contrôle de la facturation des soins à l'hôpital, encore trop peu développé.

Toujours en ce qui concerne la gestion de l'assurance maladie, nous revenons également, cinq ans après de premières observations, sur les politiques de maîtrise, très insuffisantes, des dépenses de radiologie et de biologie, respectivement de 5,6 milliards et de 6,1 milliards d'euros. Dans ces deux secteurs, les évolutions technologiques permettraient des baisses de tarifs très supérieures à celles qui ont été jusqu'ici pratiquées. Les données disponibles sur le coût comparé des analyses biologiques montrent ainsi que les prix en France sont deux à trois fois supérieurs à ceux de pays voisins. Un seul exemple, l'analyse microbiologique d'urine, qui coûtait en 2004 2,74 euros en Suède et 6,93 euros en Italie, s'élevait à 18,90 euros en France, selon les données rassemblées par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Nous préconisons donc à la fois de poursuivre les baisses tarifaires et de supprimer les entraves actuelles au regroupement des laboratoires. Le potentiel d'économies est très élevé dans ces deux domaines.

Une trop grande lenteur caractérise aussi la réforme du régime des mines, qui a été tardive et qui reste inaboutie. Son système de soins – cabinets médicaux ou dentaires – ne s'ouvre qu'à grand-peine aux assurés des autres régimes et sa gestion assurantielle devrait être totalement déléguée. Ce n'est pas encore le cas pour l'assurance maladie, les projets en ce sens ayant pris du retard, alors que la gestion des retraites et le recouvrement des cotisations ont été délégués à la Caisse des dépôts. Je citerai un chiffre à valeur de symbole : les actifs assurés par ce régime étaient 400 000 en 1950, ils ne sont plus que 10 000 aujourd'hui, dont 30 % sont des agents administratifs des caisses minières ! Ce régime devrait donc être mis en extinction.

Et que dire des quelque 4 000 travailleurs sociaux des caisses d'allocations familiales – leur nombre n'est connu que de manière approximative – dont l'activité est très peu encadrée au niveau national, alors même qu'elle ne l'est que très inégalement sur le plan local ? Seules 35 caisses sur 123 disposaient d'un projet de travail social formalisé, et seules 38 avaient un volet correspondant dans leur contrat pluriannuel de gestion. Plus grave, seules 40 avaient signé une convention d'action sociale départementale avec les conseils généraux en 2008, alors que ce sont les départements qui ont la responsabilité de droit commun de l'action sociale. Pour les différentes aides financières individuelles, examinées en particulier par la Cour, seules quatre caisses avaient coordonné leur versement avec les différents partenaires. L'enjeu, à savoir le traitement de la précarité et de l'insertion, devrait cependant mobiliser toutes les énergies, au-delà du principe du « chacun chez soi » ou même de celui du « pour vivre heureux, vivons cachés ».

Ces quelques exemples montrent que les réformes sont, non pas inexistantes, mais lentes, et qu'elles ne sont pas à la hauteur de l'évolution du contexte et des besoins – quand elles ne produisent pas des effets contraires à ceux initialement recherchés, comme on l'a vu pour les retraites.

Certes, vous lirez dans le rapport que nombre de nos recommandations sont suivies d'effet, complètement ou partiellement. Pour autant, plusieurs sujets examinés cette année, que j'ai brièvement résumés, révèlent souvent une forme de résistance, au fond assez naturelle contre les adaptations. Résistance des organismes, quitte à s'inventer, comme pour les centres d'examens de santé, d'étonnantes missions dans le cadre d'enquêtes de santé publique, résistance des régimes qui défendent la spécificité de leurs missions même quand la réalité sociologique qui les fondait a disparu – comme aux mines – routine des procédures du contrôle médical qui empêchent, sous la masse des autorisations préalables, un ciblage qui pourrait être plus rentable… Ce qui est moins naturel, en revanche, c'est la trop grande passivité des tutelles et des décideurs, seuls porteurs de l'intérêt général, devant ces pesanteurs dont les coûts, additionnés, finissent par compter.

La crise économique et ses conséquences sur les finances publiques et sur les déficits ne font que renforcer notre conviction de la nécessité de réformes structurelles fondées sur des principes clairs et sur des priorités, tenant compte des équilibres démographiques et des capacités de financement. Il faut avoir le courage de repenser certaines prestations, fruit d'une sédimentation de réformes et qui ne correspondent plus au contexte social et économique du XXIe siècle. De même, la recherche d'une plus grande efficacité et d'une plus grande efficience plaide pour que soient remis en cause les particularismes catégoriels non justifiés. Économie et équité doivent guider des réformes qui, je le sais, sont très difficiles dans le domaine social où le concept de droits acquis reçoit une définition extensive, pour ne pas dire excessive.

Dès lors, il peut paraître provoquant, dans le contexte médiatique actuel, d'insister sur la nécessité de restructurer les hôpitaux pour améliorer la sécurité sanitaire et pour accroître la productivité, ou encore d'affirmer que la remise en cause partielle des avantages familiaux de retraite est nécessaire. Il nous arrive parfois de nous sentir un peu isolés.

Mais, comment justifier le report sur les générations suivantes du coût des inadaptations structurelles entre les dépenses, que nous n'arrivons pas à maîtriser, et les recettes, que ne voulons pas augmenter ?

La Cour n'est pas seule à penser que la recherche d'économies ne suffira pas à équilibrer notre protection sociale obligatoire et qu'il faudra chercher des ressources nouvelles, en commençant par réduire les « niches sociales », comme votre commission s'est déjà employée à le faire. À défaut, cela reviendrait à faire financer le coût de ces exonérations, dont la Cour a démontré la justification souvent contestable, par des économies supplémentaires sur les dépenses au moyen, par exemple, de moindres remboursements de soins. Cela ne paraît pas très juste !

Nous ne revenons pas directement cette année sur le sujet des recettes, même si une insertion du rapport traite de la question sensible des contrôles réalisés par les URSSAF, de leur ciblage, des suites qui leur sont données, de leur organisation qui peut être améliorée selon nous par un regroupement des moyens au plan régional.

Si nous avons privilégié le volet dépenses, il doit être cependant clair que la Cour juge éminemment dangereux de laisser filer des déficits sociaux, qui pourraient bientôt constituer de l'ordre de 10 % des flux annuels. Ces déficits mettent en danger le socle même de notre protection sociale obligatoire. Dès lors, on ne peut plus exclure une augmentation des prélèvements sociaux. Ce serait une capitulation et l'explosion assurée du système. Je sais que cette idée reste taboue. Mais, si on ne la traite pas frontalement, on n'aboutira jamais qu'à de fausses solutions. Mieux vaut mettre la question du financement sur la table pour trouver les solutions les plus satisfaisantes, notamment en termes de compétitivité et d'équité.

Je souhaite pour finir que ce rapport contribue à éclairer votre commission, et au-delà, toute l'Assemblée nationale, au moment où des décisions pas forcément populaires doivent être envisagées. Votre commission a déjà montré les années passées tout l'intérêt qu'elle porte à nos travaux en reprenant dans ses propres réflexions certaines propositions de la Cour.

Ce treizième rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale fait partie de la mission qui incombe à la Cour, aux termes de la Constitution, d'« assister le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de la sécurité sociale ». Mais bien évidemment, par l'intermédiaire du Parlement, c'est aussi à l'opinion que ce rapport rendu public s'adresse. C'est une exigence démocratique de transparence, mais c'est aussi et en même temps une exigence d'efficacité, tant il est vrai qu'aucune réforme ne peut progresser sans que les débats publics utiles aient pu au préalable avoir lieu. C'est particulièrement vrai dans le domaine de la sécurité sociale.

L'ouverture de cette séance de votre commission à la presse, que vous avez décidée cette année, monsieur le président, est une initiative particulièrement symbolique de ce double souci, de transparence et d'efficacité.

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