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Intervention de Farhad Khosrokhavar

Réunion du 21 octobre 2009 à 9h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Farhad Khosrokhavar :

Je suis français par naturalisation. J'ai fait mes études en France. Je suis ravi et honoré d'être français. Cela étant, je suis à cheval sur plusieurs autres cultures – Angleterre, États-Unis, monde musulman. La sécularisation et la laïcité à la française sont une aubaine, à condition d'être revisitées. D'ailleurs, tout le monde revisite. On a dit que les fondamentalistes revisitaient la foi. Les réformistes musulmans font exactement la même chose, si ce n'est qu'ils attribuent des vertus démocratiques au Prophète.

Ce que je vais dire risque de vous déplaire et j'espère que vous me le pardonnerez. Le problème réside essentiellement dans la manière frontale dont, en France, on aborde ces questions. Cette attitude est inscrite dans la culture politique. Le communautarisme est perçu comme une injure. Dès qu'un groupe est perçu comme communautariste, il perd sa légitimité.

Les sociologues parlent aujourd'hui de formes modérées de communautarisme. Ce « communautarisme modéré », dans le sens d'adhésion à des formes de communautés intermédiaires sans remise en cause de l'adhésion à la République, n'est pas à rejeter dans un monde marqué, précisément, par la dilution du politique.

Pourquoi ne pas opposer au communautarisme des « burqinistes » une sorte de communautarisme positif des femmes républicaines ? La loi de 2004 a eu des aspects indéniablement positifs dans l'école publique. Elle a eu aussi pour effet de renvoyer une partie des filles voilées dans l'école catholique et d'autres à la maison – et sans doute dans les écoles musulmanes qui devraient être admises prochainement par la République. Mais surtout, elle a totalement délégitimé le foulard. Toute forme de foulard est perçue comme illégitime, soit fondamentaliste, soit archaïque, soit antiféministe, soit contraire aux fondements de la République.

En France, des femmes qui portent le foulard et qui peuvent se réclamer de la République ne pourraient pas combattre la burqa alors que c'est possible en Hollande, en Allemagne, en Angleterre. Dans notre pays, les seules qui puissent le faire sont celles qui ne portent pas le foulard. Or celles qui ne portent pas le voile n'ont aucune sorte de légitimité face à celles qui portent la burqa, voire face aux femmes musulmanes qui ont une attitude ambivalente en la matière.

Notre loi nous a privés de l'appui des « voilées républicaines », qui pourraient se réclamer de la liberté républicaine, de l'égalité, de la lutte contre la polygamie et contre toutes sortes de stigmatisations de la femme. Comme sociologue, je crois que l'on a besoin de ces femmes-là.

Qu'on le veuille ou non, le foulard est un insigne religieux, qui continuera à exister dans le monde musulman et dans le monde occidental. L'islam est devenu la seconde religion dans nombre de pays européens. On ne peut pas lutter frontalement contre lui, mais on peut en neutraliser, de l'intérieur, la signification patriarcale ou fondamentaliste.

On observe, depuis une dizaine d'années, une fermeture des quartiers. La place centrale, qui était fréquentée par des femmes, y est devenue l'exclusivité des hommes. Et ce n'est pas parce qu'il n'y a pas suffisamment de lois, mais parce qu'on a exclu de la scène légitime et de l'espace public légitime français les femmes qui auraient pu, d'une manière ou d'une autre, défendre la République tout en portant des insignes religieux.

J'ai été étonné de voir, à l'université de Harvard et à celle de Yale, le nombre de filles d'origine maghrébine, voire maghrébo-française, qui portaient le voile. Elles m'ont expliqué qu'elles n'avaient pas d'avenir en France comme filles portant le foulard.

Soyons conscients du fait que la laïcité ne consiste pas à exclure, mais à intégrer au nom de l'idéal républicain d'égalité, de fraternité et de liberté. Je vous invite à avoir une attitude un peu plus « complaisante » face à ces phénomènes, ce qui vous dispensera de refaire une loi tous les deux ou trois ans. Pourquoi faire une loi sur la burqa qui ne pourrait être qu'une loi contre la burqa ? Les communautés intermédiaires et les groupes de médiation que je préconise devront comprendre des femmes portant le foulard et qui combattront contre la burqa.

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