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Intervention de Fahrad Koshrokhavar

Réunion du 21 octobre 2009 à 9h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Fahrad Koshrokhavar :

Monsieur le président, les questions que vous avez posées sont essentielles et je ne saurais y répondre de manière exhaustive.

On ne peut parler d'un retour aux origines, mais d'un retour aux origines mythifiées. La burqa serait apparue au cours du XIXe siècle et on ne saurait donc faire remonter son ancienneté à 1400 ans. Il s'agit d'une recomposition, d'une revisite auxquelles les anthropologues, les sociologues et les historiens sont fréquemment confrontés : le passé qui sert de référence est déjà remodelé, restructuré, revu selon le point de vue des acteurs qui s'en réclament.

On trouve dans le Coran un certain nombre de sourates allant dans le sens du voilement, mais celles-ci donnent lieu à des interprétations divergentes. En Égypte, le grand mufti d'Al Azhar a refusé la burqa comme n'étant pas une obligation islamique ; les Frères Musulmans ont rejeté ce refus et demandé sa démission en se référant à une autre lecture du Coran. Certaines ou certains ont trouvé dans le texte sacré la justification et la légitimation de la burqa, alors que d'autres la rejettent au nom même des sourates. J'ajoute que les divergences sur la signification d'un mot peuvent s'expliquer par la structure même de la langue arabe.

Le phénomène semble lié à la réaction des sociétés musulmanes à la modernisation perçue comme impérialiste ou remettant en cause la structure communautaire, la Umma, et non à un désir de conformité à une vision de soi cautionnée de manière indubitable par le Coran.

Le voile n'est pas un phénomène sectaire dans la mesure où n'existent pas d'organisation identifiable, ni de personnage charismatique fédérant les personnes autour d'un certain nombre de normes. Pour autant, on y décèle une dimension sectaire : en portant le voile, je suis une bonne musulmane et je me sépare des autres qui ne le sont pas. Le voile intégral est une façon de souligner primordialement la séparation des purs et des impurs, des musulmans et des non musulmans, ou des vrais musulmans et des musulmans inauthentiques.

Il n'y a pas de tradition maghrébine allant dans le sens du voile intégral, même si l'écrasante majorité des femmes musulmanes de France sont d'origine maghrébine. Le port du voile est une manière de souligner l'appartenance à une sorte de « néo Umma » imaginaire transcendant les frontières, les origines ethniques et géographiques et affirmant la prépondérance d'une foi intégrale, dissociée des appartenances nationales. Cela va plus loin qu'une révolte politique au nom d'un islam radical contre les nations impies.

Ces formes de comportement sont liées également à un contexte européen marqué par une sécularisation intense. On peut alors parler de provocation ou de contre-provocation. C'est la raison pour laquelle il me semble, à titre personnel, qu'une loi contre la burqa entraînerait d'autres conséquences : pourquoi pas une loi contre les barbes touffues couvrant la totalité du visage ? Ou contre les turbans ? On risque de rentrer dans une logique de provocation et de contre-provocation pour une minorité infime des musulmans français ou européens, et de créer « l'envie d'en découdre » sur le plan symbolique.

Il serait plus utile de se placer sur un terrain humoristique et de combattre la burqa et ces phénomènes sectaires en créant une mode « burqa unisexe », que de faire, avec un sérieux mortel, des lois qui seront à l'origine d'autres provocations et risqueront de nuire à la formulation sereine d'une attitude républicaine. Déjà, de nouveaux types de voile intégral apparaissent, comme les semi tchadors à la chiite. Faudra-t-il donc faire une autre loi, dans la mesure où ils sont différents de la burqa ou définir celle-ci de manière synoptique en y englobant aussi les tenues qui font que les femmes montrent leur nez, leurs yeux et leur bouche tout en dissimulant de manière hermétique le reste du corps et surtout le reste du visage ? La loi ne fera que conforter la volonté des minorités concernées de se démarquer des autres.

J'ai travaillé et je continue à travailler sur les prisons. Celles-ci sont surpeuplées. Inutile d'y ajouter quelques centaines de femmes « survoilées ». Pourquoi pousser à la radicalisation ? Si le port du voile intégral est considéré comme un délit, en cas de résistance, on en fera un « menu » crime, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir.

Il y a quatre ans, des femmes en burqa étaient venues visiter leur mari islamiste. On leur avait refusé l'accès à la prison parce qu'on ne pouvait pas les identifier. Il me semble d'ailleurs que la panoplie des textes existants, une fois complétée, permettrait de circonscrire le phénomène et d'en atténuer, sans en avoir l'air, l'aspect provocateur.

Certains se sont référés à la loi de 1905. Mais ce qui était approprié à l'époque ne l'est pas nécessairement actuellement : on avait à faire à des comportements de gens « sérieux », alors que ceux d'aujourd'hui s'apparentent davantage au jeu du chat et de la souris.

Tout en déplorant l'extension de la burqa, je considère que la manière la plus adaptée n'est pas de faire des lois d'en haut. Cela dit, c'est une opinion tout à fait personnelle et je comprends parfaitement que vous puissiez ne pas être d'accord avec moi.

Plus du quart des cas que je connais concernent des converties – cinq sur 17 dans une ville proche de Paris, par exemple. On ne peut pas expliquer le phénomène par des raisons patriarcales, bien au contraire : les filles concernées ne se laissent pas marcher sur les pieds. Si elles portent le voile intégral, c'est qu'elles le veulent. Si elles le veulent, c'est en raison de leur conception de la foi, laquelle est évidemment aux antipodes de celle de la majorité des musulmans. Elles veulent s'affirmer et en découdre, sur le plan symbolique, avec les autres.

Vous devez avoir une conscience aigue de la nature de la burqa. Dans l'écrasante majorité des cas, sociologiquement et anthropologiquement parlant, elle n'est pas l'expression de femmes attardées qui voudraient revenir à un système de patriarcat généralisé à travers l'intégralité de leur vêture. C'est une réaction en partie régressive et répressive à une modernité ressentie comme n'ayant plus de signification.

L'écrasante majorité des musulmans, en France comme en Angleterre, désapprouve la burqa. Mais elle désapprouve, sans que ce soit contradictoire, une loi contre la burqa. Il faut tenir compte de cette double attitude. Une loi contre la burqa serait ressentie comme une loi contre les communautés musulmanes de France. Si vous en faites une, vous risquez de traumatiser des personnes qui n'ont rien à voir avec la burqa et qui la rejettent.

Dans ma pratique quotidienne de sociologue, j'ai relevé la faiblesse de la médiation en France, l'absence d'instances autres que celles de l'État, qui interviennent pour restreindre ou circonscrire des phénomènes qu'une grande partie de la société considère comme n'étant pas acceptables. Il en va tout différemment aux Pays-Bas, où cette pratique est très répandue. Elle permet de désamorcer certains problèmes, par exemple ceux qui ont pu surgir avec la communauté musulmane au moment du meurtre de Théo Van Gogh. Il serait intéressant de renforcer en France les groupes de médiation. Les mairies et les collectivités locales devraient s'y consacrer avec davantage de conviction.

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