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Intervention de Jean Baubérot

Réunion du 21 octobre 2009 à 9h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Jean Baubérot, titulaire de la chaire d'histoire et sociologie de la laïcité à l'école pratique des hautes études :

Je ne tiens pas un discours de moraliste et je ne vous accuse nullement de stigmatiser – comment pourrais-je prétendre vous connaître et vous juger ? Je parle de représentations symboliques et de stigmatisation ressentie et cela suppose de se placer précisément sur le terrain dont vous avez voulu m'exclure : celui de la réalité.

Et, puisque vous êtes revenus à plusieurs reprises sur le sujet, je dirai que votre premier interlocuteur devrait être le Conseil français du culte musulman, le CFCM. L'État a beaucoup travaillé pour mettre sur pied cette institution, il faut qu'il soit cohérent avec lui-même et qu'il travaille maintenant avec elle. Or le CFCM a eu le sentiment d'être mis sur la touche avec la loi de 2004. Il ne faut pas que cela se reproduise. Le CFCM, avec ses conseils régionaux, est un médiateur important pour lutter contre le port du voile intégral.

« Lutter », dis-je ; en tout cas, mener un travail de fond, de longue haleine, pour lequel la loi ne me semble pas le meilleur instrument. En une telle matière, on ne va pas droit au but. Comme au billard, il faut passer par des zigzags pour mettre la boule dans le trou. Le premier problème étant d'isoler les extrémistes, en évitant qu'il y ait un amalgame entre eux et ceux qui ont un ressenti victimaire. Or une loi, à cause de sa forte portée symbolique, risque de rendre l'extrémisme attractif pour ces gens dont je parlais, qui ont un pied dedans et un pied dehors et qui, aujourd'hui en situation de faiblesse, peuvent devenir demain des médiateurs. On a trop peu l'habitude en France de la médiation, qui fonctionne pourtant très bien dans certains pays. Or, ne nous faisons pas d'illusions : notre pays ne sera jamais un paradis sur terre. Les atteintes aux principes républicains demeureront. Aujourd'hui, elles sont multiples. Je ne conteste pas qu'il y ait des problèmes : je conteste le fait qu'on en ait isolé un.

Qu'il y ait barbarie, je ne le conteste pas non plus, mais, je le répète, l'habit ne fait pas le moine, ni la barbarie en l'occurrence. Ce qui compte, c'est ce qui se passe dans la tête des gens. Ils peuvent laisser dominer leur esprit, mais ils peuvent aussi changer, comme les staliniens de naguère. Et il est heureux à cet égard que la France ait refusé toute loi d'inspiration maccarthyste ! Or vous me semblez précisément vous inscrire aujourd'hui dans une optique maccarthyste. On ne peut figer les gens. L'histoire, cela existe, et il faut en tenir compte pour définir la stratégie la plus efficace possible.

Dans cent ans, les historiens jugeront votre travail comme ils ont jugé celui de vos prédécesseurs de 1899-1904. Et ils le feront en se demandant si ce travail a été, en définitive, utile à la République ou, au contraire, contre-productif. Or le but, je le répète, ne s'atteint pas en droite ligne. Je vous invite à réfléchir à ce point.

J'en viens à l'accommodement raisonnable, qu'on peut définir comme une tentative pour dépasser l'antagonisme entre une uniformisation qui ne fonctionne plus dans les sociétés pluriculturelles, d'une part, et la juxtaposition de communautés, d'autre part. Il est accordé à l'individu au cas par cas, sous réserve qu'il n'ait pas un coût excessif pour la collectivité, qu'il ne porte pas atteinte aux droits des autres membres de cette collectivité et qu'il ne contrevienne pas à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. La méthode apparaît assez efficace pour inclure dans la société ceux qui ont « un pied dedans, un pied dehors ».

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