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Intervention de Jean Baubérot

Réunion du 21 octobre 2009 à 9h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Jean Baubérot, titulaire de la chaire d'histoire et sociologie de la laïcité à l'école pratique des hautes études :

Nous sommes tous d'accord, je pense, pour avoir ici un dialogue égalitaire. J'userai donc de la même rude franchise que vous.

Je suis assez inquiet quand je vous entends dénoncer l'obscurantisme, puis, tout aussitôt, traiter les universitaires de doux utopistes. Il existe quelque chose qui s'appelle une démarche de connaissance, mais qui est difficilement acceptée en France quand cela s'applique à la laïcité. Je suis beaucoup plus à l'aise à l'étranger, parce qu'on m'y attend sur le sérieux de ma démarche de connaissance, qu'en France, où l'on m'attend sur des positions idéologiques. Il y a là un problème important car la laïcité française est aujourd'hui un paravent derrière lequel on met bien des choses, certaines honorables et d'autres qui le sont beaucoup moins. J'ai ainsi souligné – ce que vous n'avez pas relevé – le paradoxe de la loi de 2004, qui a favorisé l'enseignement privé. Or, en 1965, M. Jean Cornec écrivait, dans un livre intitulé Laïcité, que donner un centime aux écoles privées, c'était pire que Vichy ! Craignez que, si aujourd'hui on réduit la laïcité au problème du voile, on ne s'occupe plus du tout de cette question dans vingt ou trente ans parce qu'on sera passé à encore autre chose.

La laïcité est un ensemble de principes qui s'appliquent à tous, et pas seulement à une religion. Pourquoi ne vous intéressez-vous pas, par exemple, à l'Alsace-Moselle, qui bénéficie d'une dérogation à la Constitution et aux principes fondamentaux qui régissent ce pays, de sorte que la loi de 1905 n'y est pas appliquée, non plus que les lois Ferry ? Admettez que certains, et pas seulement parmi les musulmans, puissent éprouver un sentiment d'inégalité !

Dans une première version de mon texte, je consacrais un plus long développement à la question de l'égalité des sexes et je relevais le paradoxe qu'il y a, pour une assemblée constituée à 80 % d'hommes, issus de partis qui paient pour ne pas avoir à respecter la loi sur la parité, à faire la leçon à l'islam. Et quand j'ai parlé d'exemplarité, vous ne l'avez pas repris. En revanche, je n'ai jamais parlé de négocier, mais, toujours, de combattre. Or, quand on veut combattre, le problème est de déterminer la meilleure stratégie : ainsi pour isoler les extrémistes, car il y en aura toujours. C'est cela mon problème, et c'est un problème qui se pose dans la réalité, pas dans le ciel des Idées !

L'exemplarité est le premier devoir de la République. Elle doit montrer que, pour ce qui la concerne, elle respecte scrupuleusement le principe de l'égalité des sexes. Il y a beaucoup à faire en la matière, mais ce serait un message porteur pour toute une frange de gens qui ont un pied dans la République et un pied au dehors parce qu'ils subissent des discriminations – autre terme que nous n'avez pas repris ! Vous avez sans doute tous lu cet article dans lequel un journaliste du Monde raconte comment il a été handicapé par son prénom : comprenez que des gens deviennent fous à force de se voir reprocher d'être ce qu'ils sont – de se voir reprocher leur être même, non leur vêtement.

Il ne s'agit donc pas de dire que l'alternative est entre négocier et combattre, mais de savoir comment on combat. Un sociologue parle de la réalité. J'essaie de mener des enquêtes de terrain, mes étudiants font de même et, sans pour autant prétendre à l'infaillibilité, c'est sur cela que je fonde ma démarche de connaissance. Or je constate que, depuis 2004, un certain nombre de femmes musulmanes quittent notre pays. À l'occasion d'une enquête, j'en ai rencontré une, docteur en philosophie, qui explique Levinas aux Québécoises « pure laine » comme on dit là-bas : elle est partie après l'adoption de cette loi de 2004 qui, pourtant, ne la visait pas. Nous nous sommes privés ainsi de féministes musulmanes – car il en existe, même sous le foulard d'ailleurs –, de médiatrices. Il faut également savoir que le Québec recrute les immigrés dont il a besoin parce que la France a la réputation d'être un pays où il y a des discriminations ! Cela aussi, c'est une réalité dont il faut parler.

Internet – c'est indéniable – complique les choses mais pas seulement en ce qui concerne l'extrémisme musulman. C'est dans tous les domaines qu'il redistribue les cartes et il nous faudra du temps et bien des tâtonnements avant de maîtriser cet instrument.

Historien, je vous invite à étudier attentivement la période 1899-1904. Le processus était alors le même que celui que vous avez enclenché : on adoptait loi sur loi sans résoudre les problèmes, jusqu'à ce que Clemenceau constate que, pour combattre les congrégations, on transformait la France en une immense congrégation. Vint alors la laïcité de 1905, une « laïcité roseau », une laïcité accommodante, inclusive – à la fois ferme et souple.

En ce qui me concerne, je réfute donc totalement le reproche qu'on me fait d'être hors de la réalité. Pendant vingt ans, j'ai exercé des responsabilités administratives qui m'ont confronté à tous les problèmes que vous relevez aujourd'hui. J'ai essayé de les résoudre et je crois être parvenu à maintenir à la fois les principes de la République et la paix dans mon établissement. C'est pourquoi j'ai suggéré de réglementer au cas par cas : c'est un travail de dentelle, un travail subtil, mais beaucoup plus efficace qu'une loi.

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