Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, nous le savons tous aujourd'hui, la disparition de la biodiversité constitue la plus grande problématique environnementale actuelle, après le réchauffement climatique. La biodiversité est une dimension essentielle du vivant et elle s'exprime par la diversité génétique, la diversité des espèces et la diversité des écosystèmes.
Elle est un enjeu vital pour les sociétés humaines, par les biens et services qu'elle procure, qu'il s'agisse des grands services écologiques : l'épuration de l'air, celle de l'eau, la régulation du climat, la pollinisation, la régénération de la fertilité des sols et toutes sortes de biens primaires, nécessaires tant à l'agriculture qu'à l'industrie, auxquels s'ajoutent de multiples autres services.
Aujourd'hui, il y a urgence, parce que notre capital naturel, celui de la planète, disparaît à un rythme incompatible avec le développement durable. Notre santé, notre bien-être, dépendent étroitement des écosystèmes dont nous jouissons, le plus souvent gratuitement. Si rien n'est fait pour corriger la tendance actuelle, plus de 10 % des espaces naturels seront détruits au niveau mondial d'ici à 2050, du fait de l'urbanisation ou de la conversion en terres agricoles.
Notre responsabilité à nous, Français, est grande. En effet, la richesse de la biodiversité française est mondialement reconnue, qu'il s'agisse de ses écosystèmes terrestres ou marins. Mais cette biodiversité s'effondre, dans le monde comme en France. Un oiseau sur huit, un mammifère sur quatre, un amphibien sur trois sont menacés ; mais ce sont aussi des espèces ou sous-espèces végétales en sursis, des vertébrés qui ont disparu et des zones humides détruites. Hubert Reeves et d'autres grands scientifiques parlent d'une sixième grande extinction d'espèces, après la cinquième, et la plus célèbre : celle des dinosaures.
Nous le constatons, les espaces naturels et ruraux reculent devant l'étalement urbain et le développement des infrastructures, si consommateurs d'espaces. Aujourd'hui, ces espaces sont morcelés, pollués, détruits par une exploitation intensive, ou abandonnés à la fermeture et à l'homogénéisation des milieux.
Face à ces enjeux, les participants au Grenelle de l'environnement n'ont pas manqué de faire des propositions pertinentes en vue d'arrêter la perte de biodiversité comme, par exemple, la création d'une trame verte et bleue maillant l'ensemble du territoire, et la nécessité d'assigner aux PLU des objectifs chiffrés de lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles,
Au-delà des bonnes intentions reprises dans ce projet de loi de programme, nous devons nous interroger et vous interroger, monsieur le ministre, sur les points sur lesquels ce texte est muet et nous devons vous faire part de nos réflexions et de nos questionnements.
Tout d'abord, nous devons noter que de nombreux objectifs sont pour le moins peu réalistes. Peut-on, en effet, imaginer un instant que la trame verte et bleue sera élaborée d'ici à 2012 ? Que l'inventaire des ZNIEFF – les zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique – marines et terrestres sera mis à jour d'ici à 2010 ? Et que, pour préserver la biodiversité marine, 10 % des eaux placées sous la souveraineté de l'État d'ici à 2012 en métropole, et d'ici à 2020 dans les départements d'outre-mer, seront couverts, soit par des aires marines protégées, soit par le réseau Natura 2000 ou des parcs naturels marins ?
Nous devons aussi noter que la responsabilité et le rôle de l'État ne sont pas clairement affirmés. En effet, il nous paraît pour le moins surprenant de ne pas rappeler, dès l'article 1er que c'est à l'État, compte tenu des engagements européens et internationaux de la France vis-à-vis de la convention sur la diversité biologique, signée à Rio de Janeiro en 1992, d'élaborer sa stratégie nationale pour la biodiversité, ce qu'il a fait dès 2004. De même, il est pour le moins inquiétant de ne pas préciser à l'article 21 que l'élaboration de la trame verte et bleue se fait sous la responsabilité de l'État.
Quant aux financements que l'État pourra mobiliser pour mettre en oeuvre cette nouvelle politique, nous voyons bien qu'ils seront réduits à leur plus simple expression, puisque, à l'article 23, est évoquée une augmentation du budget de 20 millions d'euros par an entre 2008 et 2013, c'est-à-dire 0,1 % du budget du ministère du développement durable. L'État, n'ayant pas les moyens de cette politique ambitieuse, suggère donc de faire preuve d'imagination et d'engager une négociation pour développer des solutions nouvelles de financement pour la biodiversité. On le voit bien, ce sont avant tout les collectivités territoriales, et en particulier les régions, qui seront appelées à financer ces politiques, et donc, à supporter de nouveaux transferts de charge.
Enfin, monsieur le ministre, je voudrais, devant vous, m'étonner que, dans ce projet de loi, vous n'affirmiez pas l'urgente nécessité de donner une valeur, un prix à la biodiversité. En effet, si nous voulons mieux protéger nos écosystèmes, il nous faut inventer une nouvelle économie, dans laquelle le capital naturel sera une valeur qu'il faut rémunérer.
Dans certains pays – c'est le cas aux États-Unis – la législation protège, par exemple, les zones humides, et les entreprises dont les infrastructures empiètent sur ces espaces doivent acheter des crédits environnementaux auprès des banques spécialisées, crédits qui servent à financer des projets de restauration des milieux naturels.
Comme l'ont déclaré les experts de l'Union mondiale pour la nature lors de la cérémonie d'ouverture des travaux de son quatrième congrès à Barcelone, dimanche dernier, il ne reste que peu de temps pour remédier à la grave crise actuelle de disparition des espèces animales et végétales sur terre.
« Il y a urgence », comme l'a indiqué le président de l'UICN – l'union internationale pour la conservation de la nature – à faire face à ces défis du XXIe siècle que sont les « menaces effrayantes du changement climatique et la dégradation des écosystèmes ».
Souhaitons, monsieur le ministre, que ces appels soient entendus par tous les responsables politiques de la planète ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)