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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 8 octobre 2008 à 21h30
Grenelle de l'environnement — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

L'environnement et la biodiversité se vivent et se défendent au quotidien, à l'échelle de chacun et au plus près de chaque réalité. On ne saurait évacuer la nécessité que les citoyens, les acteurs locaux et leurs institutions s'approprient une part de la conception et de la mise en oeuvre d'une politique écologique. L'énergie du général est dans le particulier. L'équilibre du sommet est donné par la base. Pour répondre à des enjeux d'une telle globalité, il faut reconnaître, valoriser et optimiser la personnalité géographique de chaque aire territoriale. Votre projet, monsieur le ministre d'État, court le risque d'être ressenti par les collectivités locales comme un impératif vertical laminant les fondements de toute initiative, tout en demandant à ces collectivités de conséquentes mobilisations pécuniaires.

L'autre question vitale est la suivante : dans la mise en oeuvre des mesures indispensables, comment, à l'inverse, faire sauter le verrou culturel ? Un terroir, une histoire, un savoir-faire et une culture sont des expériences précieuses. Il y a là des connaissances et des ouvertures au réel et au monde, mais aussi des fermetures, des raideurs, des traditionalismes parfois paralysants. Quelle rôle la fiscalité peut-elle jouer en ce sens ? L'« éco-conditionnalité » des aides publiques n'est pas suffisamment ambitieuse ; l'urgence écologique, qui était une ambition collective du Grenelle, est écartée, aussi un amendement socialiste propose-t-il de la rétablir ; la contribution énergie-climat est ajournée ; une TVA modulable en fonction de l'intérêt écologique n'est pas évoquée. Faute de moyens, vous nous invitez à une politique de recul.

Enfin, avant de vous parler des pays outre-mer, je me permets, monsieur le ministre d'État, de sensibiliser la représentation nationale aux mécanismes inhérents aux quotas de CO2 transférables initiés depuis les États-Unis. Dans un contexte de libéralisme, les quotas transférables peuvent être en fait un système immoral pour les pays sous-développés. Ces derniers seront amenés à réduire leur pollution au profit des pays du Nord, ceux-là mêmes qui ont la capacité de négocier des achats de CO2. Cela va dans le sens contraire de la solidarité mondiale envers les plus faibles. Je rappelle que les États-Unis émettent 25 % des gaz à effet de serre, contre 2,5 % pour l'ensemble de l'Afrique. En l'absence d'obligation quant à l'affectation des sommes et d'une régulation draconienne, un droit à polluer est un risque majeur, qui représente des milliards d'euros pour l'ensemble des pays de l'Union. Une affectation, qui irait pour moitié au financement de la transition vers une économie sobre en carbone, et pour une autre partie au soutien des pays en voie de développement pour la réduction des gaz à effet de serre, la lutte contre la déforestation et l'adaptation aux impacts du réchauffement est indispensable. Je souhaite que ce message soit porté au plus haut niveau européen.

Vous me permettrez, monsieur le ministre d'État, d'exprimer un regret : ni vous, ni le président de la commission, ni le rapporteur n'avez prononcé dans cet hémicycle le mot « outre-mer ». Je le regrette profondément, mais je sais que vous y êtes attaché : je vous excuse donc. Mais comprenez bien l'importance du sujet. J'ai choisi de vous parler des pays outre-mer en des termes inédits, et peut-être en marge de l'orthodoxie de nos débats. Faut-il rappeler que les pays de l'outre-mer constituent une richesse écologique environnementale considérable ? Pour eux-mêmes d'abord, en raison de la puissance de l'endémisme des espèces et de l'incroyable richesse de la biodiversité ; pour la France, ensuite, et pour le monde, dont ils contiennent respectivement 80 % et 8 % de la biodiversité. En outre, au-delà du rayonnement géopolitique de la France, les pays outre-mer offrent une richesse maritime incommensurable avec 11 millions de kilomètres carré, soit 97 % des surfaces maritimes françaises.

Mais je ne suis pas ici pour mener je ne sais quel chantage à la richesse verte, chantage auquel certains m'opposeraient, je suppose, la contribution de la France à l'équilibre social de nos territoires. Il ne s'agit pas de cela. Je veux poser ce problème en termes de survie pour vous, pour nous et pour eux, nos enfants de demain, qu'ils soient métropolitains, martiniquais, africains, polonais, australiens ou que sais-je encore. Du fait de cette richesse, nous sommes au coeur des équilibres naturels du monde, nous en sommes l'un des piliers essentiels. Ce patrimoine exceptionnel nous donne des responsabilités et des devoirs tout aussi exceptionnels.

Ma revendication est celle d'un droit tout simple : le droit à la construction d'une conscience collective locale ; le droit à l'élaboration endogène d'une capacité d'action, de conception et de résistance, face aux catastrophes climatiques et aux effondrements écologiques ; le droit à la construction d'une résilience capable de nous permettre d'utiliser les crises à venir comme des espaces de renouveau ; le droit de ne pas se retrouver sans initiative et sans responsabilité, donc sans intelligence et sans génie, dans le chahut de la mondialisation ; le droit de pouvoir forger une conscience collective nourrissant toutes nos consciences individuelles et capable d'instaurer cette culture du risque qui nous fait cruellement défaut ; le droit de nourrir l'ambition de la responsabilité et de la dignité dans un développement nécessairement endogène, tout en restant ouvert aux fluidités du monde.

J'invite à l'émergence d'une véritable ingénierie de la technique du savoir et du travail autour des mutations économiques liées aux modifications climatiques. J'invite à une stratégie de gestion des espaces maritimes faisant de l'outre-mer un pôle national de référence pour l'exploration de l'infinie richesse de la biodiversité marine. J'invite à une exploitation juste et équilibrée de la pharmacopée traditionnelle, de ses valeurs, de ses usages susceptibles d'assurer les retombées nécessaires au développement de ces pays et de les protéger de la « bio-piraterie ». J'invite ces pays à être des terres d'excellence en matière d'énergie renouvelable, de multimodalité des transports, y compris des transports maritimes, dans une stratégie de coopération régionale affirmée et constructive. J'invite à une expérimentation permettant, sous un terme acceptable, l'instauration d'une politique assumée de développement durable, dans une dynamique fondée sur les richesses naturelles intrinsèques de chaque pays – et je remercie la commission d'avoir accepté un amendement en ce sens.

Si nous voulons sortir du système de l'habitation, du commerce triangulaire, de l'assistanat, de la société de consommation, lesquels créent autant de richesses matérielles que de misères morales et mentales, autant de luxe que d'exclusion sociale, autant d'enrichissement sans fin que de dépressions psychosociales, faisant de nos terres des terres d'« éco-suicide », de suicide moral et de suicide physique, nous devons briser les limites ordinaires, nous devons envisager autre chose : un espace de conscience initiateur et responsable, où la diversité n'est pas le contraire de l'unité, mais sa plus sûre richesse.

C'est par de tels processus de mise en responsabilité optimale que les pays d'outre-mer pourront quitter le « mal-développement » pour devenir des terres d'initiative et d'intelligence. Il n'y a pas d'épanouissement économique et social harmonieux sans vivification culturelle.

Contre les effondrements et les mutations à venir, rien ne vaut une culture du risque, nourrie de son terroir, faisant corps avec elle, disposant des moyens de sa conception et de sa mise en oeuvre. Quand on a tout oublié, c'est la culture qui reste. Quand on doit innover pour agir, agir en innovant, c'est la responsabilité qui prime. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

De sa lutte contre le nazisme, le poète René Char avait rapporté une majestueuse pensée qu'il a consignée dans Fureur et mystère : « Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté. » Et ce qu'il mettait dans l'idée de beauté, c'était, sans aucun doute, la justice, l'équité, l'amour et le respect de l'autre, le respect de la diversité, le droit à la liberté, à la responsabilité. Il avait compris que, face aux atteintes majeures, il n'y a pas de compromis, pas d'hésitation ou de demi-mesure. Le péril est tellement grand, les enjeux tellement déterminants, qu'il ne s'agit pas de laisser un peu de place à l'écologie. Il faut, monsieur le ministre, viser à une véritable refondation écologique, à une nouvelle forme d'installation de l'homme, de ses cultures, de ses civilisations, de ses politiques, dans la plénitude horizontale des choses vivantes. Il faut des audaces, des ruptures. Et il faut du courage.

Ce qui frappe, dans ce texte, ce sont les contradictions entre l'urgence écologique – on l'a signalé pour le transport –, le calendrier et les moyens budgétaires, autant d'éléments aggravés par l'absence d'une approche transversale et territoriale. Nous savons que cette politique aura des conséquences non négligeables sur les collectivités locales qui supporteront les charges financières d'une situation exceptionnelle. Comment envisager de se contenter d'un psittacisme législatif, alors que le danger se précise ?

Au regard des défis que je viens de rappeler, au regard de ce que furent les 268 engagements issus du Grenelle, au regard de nos attentes, ce texte peut-il être suffisant ? Catalogue incomplet de bonnes intentions, il demeure trop éloigné d'une véritable loi d'orientation et, par ses carences, porte les limites d'une fausse loi de programmation. Face à la gravité de la situation, à l'ampleur du défi climatique et énergétique, cette loi ne permet pas de définir un cadre politique et législatif susceptible d'ordonner l'ensemble de la politique gouvernementale. C'est pourquoi je vous demande de voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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