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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 8 octobre 2008 à 21h30
Grenelle de l'environnement — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

C'est bien là, en effet, une exigence majeure que la France devrait proclamer et défendre à la tête de la gouvernance européenne. Elle devrait initier un mouvement mondial démocratique pour la responsabilité écologique planétaire. À mi-parcours de la présidence française, nous ne pouvons que constater que rien n'a été significativement engagé. Cela risque, monsieur le ministre d'État, d'être comptabilisé comme une carence politique de la présidence de l'Union.

L'impératif de survie qui est le nôtre demande une autre économie, d'autres manières de vivre au quotidien, d'autres rapports sociaux. Il faut même plus qu'un simple Grenelle pour se montrer digne de l'enjeu ! Il faut une véritable re-fondation de nos cultures politiques, économiques et sociales.

La divine croissance répond d'abord à un besoin du capital, non aux besoins de la planète et de ses populations. Entre des concentrations indécentes de richesse, elle génère plus de pauvres et plus de pauvreté. Elle détruit la notion même d'emploi pour favoriser des mises sous exploitations mobiles de personnels corvéables et précaires. Elle sacrifie l'environnement et les équilibres naturels sur l'autel du profit maximal.

Alors quand, pour lutter contre les hystéries du capitalisme, on parle de le refonder, le simple bon sens de l'écologie politique ne peut que conduire à répondre : non merci ! Il faut surtout refonder l'idée même de l'homme, de manière horizontale, dans le respect du vivant ; il faut mettre toutes les logiques économiques, culturelles et sociales au service de cette approche.

Vous voyez déjà, monsieur le ministre d'État, les limites, les aveuglements, les timidités du texte que vous nous proposez. Une loi qui ne s'attaque pas avec résolution au fondement du mal est une loi qui renonce à son rôle historique. Évitons le risque de demeurer à l'étiage d'un programme qui ne serait qu'un gage de bonne conscience. Méfions-nous aussi de ce prétendu réalisme qui guide votre politique. Il n'y a de réalisme que là où le réel s'affole et où s'ouvrent de nouveaux horizons.

Examinons dans le détail les renoncements du texte. Monsieur le ministre d'État, vous prenez le risque d'un rendez-vous raté. C'est pour l'éviter que je veux vous indiquer les contradictions, les manquements, voire les renoncements de votre texte. Tel que je vous connais, je sais que vous partagez cette analyse, même si vous êtes tenu au silence. Ce texte mi-orientation mi-programmation est flou tant sur le calendrier que sur les moyens, comme s'il ne s'agissait que d'un simple retard à rattraper ou qu'il n'était question que de mieux mettre en oeuvre des directives européennes.

Prenons quelques exemples purement techniques.

S'agissant de l'efficacité du parc automobile, vous reculez sensiblement sur les émissions moyennes de dioxyde de carbone pour l'ensemble des véhicules particuliers.

Sur la recherche, comme l'a dit M. Quintreau, du Conseil économique, social et environnemental, les crédits ne sont pas au rendez-vous. Sur le plan social, le texte fait l'impasse sur les conséquences relatives aux mutations techniques et économiques, notamment le pouvoir d'achat des plus démunis. Or vous savez que le coût de l'énergie pénalise les ménages, particulièrement les plus défavorisés, aggravant ainsi l'inégalité sociale. On estime à 300 000 le nombre de personnes ne pouvant plus payer le chauffage en France ou ayant des difficultés à le faire. En l'absence de mesures d'accompagnement, les bailleurs privés ou public feront directement supporter la facture des rénovations thermiques par le budget des ménages, ce qui ne fera qu'augmenter le taux d'effort locatif, notamment dans le logement social. Si la responsabilité sociale avait été pour vous au coeur du développement durable, la mise en place d'un système de péréquation sociale, avec un effet redistributif, aurait constitué une bienheureuse évidence.

Le texte révèle d'autres insuffisances, à commencer par la question de la formation liée aux mutations technologiques, question elle aussi soulevée par le CESE. Elle est certes abordée dans le texte, mais sans financement et sans un projet partagé alors que, dans le secteur du bâtiment, la main d'oeuvre manque déjà et que l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, prévoit un besoin de 440 000 salariés qualifiés d'ici à 2012.

Autre hésitation, peut-être rattrapée en commission : le renversement de la charge de la preuve, impliquant le fait que ce ne sont plus aux solutions écologiques de prouver leur intérêt mais aux projets non écologiques de prouver qu'il n'était pas possible de faire autrement.

La fixation d'objectifs, et non de limites, en matière de pollution, n'est pas satisfaisante non plus : l'objectif se substitue à l'obligation, alors que l'urgence est évidente. Les exemples du chlordécone, du paraquat aux Antilles ou du Cruiser – en vente en France mais interdit en Allemagne – sont éloquents quant au caractère irréversible du mal.

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