En 2003, le déficit était de 12 milliards d'euros. Il sera de 11 milliards d'euros en 2008. Ce PLFSS s'inscrit bien dans la continuité de budgets qui creusent le déficit de la sécurité sociale, alors qu'il ne faut pas oublier que de 1998 à 2001 notre régime était excédentaire.
Depuis l'arrivée de la droite au pouvoir en 2002, les réformes s'enchaînent et se ressemblent, et le trou du budget de la sécurité sociale reste constant tandis que la couverture sociale de nos concitoyens ne cesse de se réduire. Vos plans se sont bornés à toujours moins rembourser les dépenses de santé, à en laisser une part croissante à la charge du patient, rompant ainsi avec le principe d'égalité d'accès aux soins et l'idée même de solidarité. Progressivement, à cause de votre ticket modérateur, de votre forfait hospitalier, de votre forfait non remboursé par acte, et de la baisse du taux de remboursement des médicaments, une part croissante de notre population est exclue des soins. Et demain, à cette liste, s'ajouteront vos franchises médicales, soit la ponction de 50 euros pour la totalité des 45 millions de patients qui ne bénéficient pas de la CMU. Savez-vous donc ce que représente pour une famille modeste la somme de 50 euros multipliée par le nombre de personnes qui la composent ? Vous ne voyez, en réalité, que les 850 millions d'euros d'économies que vous ferez sur le dos des familles.
Vous n'apportez aucune solution, car vous ne vous posez pas les bonnes questions. Vous centrez vos réflexions sur la limitation des dépenses, en prenant le risque d'une dégradation de l'accès aux soins pour tous, sans jamais penser à réformer les recettes.
Depuis des années et sous les différents gouvernements de gauche ou de droite, je plaide pour une réforme globale de l'assiette des cotisations. La définition d'une assiette plus juste, assise sur la richesse et non sur les seuls salaires, permettrait une diminution des taux et une augmentation des recettes. Il est aujourd'hui absurde de fonder, comme au sortir de la Seconde guerre mondiale, le financement de notre régime sur le seul facteur travail, alors que sa part ne cesse de régresser dans la création globale de richesses par la nation. Il faut mettre équitablement à contribution l'ensemble des revenus du travail et du capital. Ainsi, les entreprises participeraient à hauteur de leur réelle capacité contributive et non, comme c'est le cas aujourd'hui, proportionnellement à leur seule masse salariale. Ce n'est qu'une fois assurée la pérennité du financement de la sécurité sociale, qu'il sera possible d'améliorer l'accès aux soins.
Or, paradoxalement, votre seule action sur les recettes consiste à multiplier les exonérations sans réelle contrepartie. Comment comptez-vous combler le déficit lorsque vous consentez plus de 20 milliards d'euros d'exonérations par an, soit près de deux fois le montant de ce déficit ? Selon la Cour des comptes, sur 22 milliards d'euros d'exonérations d'aide à l'emploi, plus de 2 milliards ne sont pas compensés. Par ailleurs, 7 milliards d'euros d'exonérations portent sur certaines rémunérations dont 3 milliards pour les stock-options. L'exonération sur les salaires affectés coûte 2,5 milliards d'euros, les indemnités de départ, 3,5 milliards, et les cotisations allégées sur le patrimoine représentent une perte de 1 milliard d'euros. Voilà donc plus de 13 milliards d'euros qui font défaut à notre régime de sécurité sociale !
Encore une fois, le président Séguin vous a mis en garde, mais sans succès, puisque la première mesure que vous avez prise a précisément consisté à rajouter une dose d'exonérations sur les heures supplémentaires, qui devrait coûter plus de 5 milliards. Votre première réforme pour combler le déficit devrait donc conduire à la supprimer, car son efficacité n'est pas prouvée.
Les hommes sont déjà inégaux face à la maladie, en raison notamment d'un fort déterminisme social. Or vos franchises médicales vont encore accroître l'inégalité devant les soins. Pour l'ensemble des pathologies, l'état de santé des populations modestes est moins bon que celui des plus aisés et l'accès aux soins des premiers va encore se dégrader, car la contrainte financière sera de plus en plus forte. Vous pensez « responsabiliser le patient » en lui faisant payer sa santé – ou plutôt sa maladie –, comme si les malades étaient irresponsables et avaient la volonté de dépenser sans limite sur le compte de la « sécu ». M. Préel évoquait ainsi un éventuel « rattrapage », une fois les cinquante euros de la franchise consommés. C'est oublier que les prescripteurs ne sont pas les patients, mais les médecins et que, jusqu'à preuve du contraire, ceux-ci prescrivent selon les besoins des malades. En réalité, votre objectif est uniquement de ponctionner le plus grand nombre, sans vous soucier des conséquences en termes d'accès aux soins.
La qualité et la rapidité de l'accès aux soins sont aussi déterminées par la démographie médicale et par l'homogénéité de la répartition géographique des médecins. L'absence de réelle organisation de la médecine libérale montre aujourd'hui ses limites, car les disparités régionales sont criantes. La Picardie est, à cet égard, l'une des régions les moins bien loties. En effet, l'Aisne compte trois fois moins de médecins pour 100 000 habitants que Paris, alors que leur rémunération moyenne y est supérieure de 13 % à celle de leurs confrères d'Île-de-France. Il est flagrant que, malgré leur coût très élevé – ainsi que l'a souligné le rapport de la Cour des comptes –, les mesures incitatives à l'installation n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.
Il est donc temps de préconiser des solutions qui conjugueraient la modification du numerus clausus, anticipant ainsi la baisse de la démographie médicale, et sa régionalisation, qui permettrait de lutter contre les déserts médicaux. Certaines politiques incitatives pourraient être poursuivies et amplifiées, mais uniquement dans la mesure où elles ont prouvé leur efficacité. De toute façon, elles ne suffiront pas. Mme Fraysse a évoqué ce sujet tout à l'heure et vous ne lui avez pas répondu, madame la ministre.