Économiquement inefficaces, socialement injustes et contraires aux principes fondateurs de la sécurité sociale, les nouvelles franchises, mesure phare de ce projet de loi, sont dénoncées de toutes parts. Des pétitions circulent et les sondages confirment l'opposition radicale des Français à cette proposition. D'ailleurs, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a déposé un amendement visant à supprimer l'article 35 du texte, qui institue ces nouvelles franchises sur les médicaments et les actes paramédicaux. Ces franchises s'ajoutent à celles de 2004 et au déremboursement de centaines de médicaments, décisions présentées à l'époque comme devant assurer pour 2007 le retour à l'équilibre de l'assurance maladie.
Le résultat est devant nous : les dépenses de soins ont continué leur progression et les malades ont payé plus pour se soigner. Nous savons – et le Gouvernement ne l'ignore pas – que ce n'est pas la multiplication des franchises qui résorbera le déficit de la sécurité sociale ou de l'assurance maladie. Il le sait d'autant mieux que la justification des nouvelles franchises qu'il propose a changé en cours de route : depuis l'annonce présidentielle faite à Dax le 1er août, elles ne sont plus destinées à combler le déficit, mais à financer la lutte contre la maladie d'Alzheimer et le cancer, ainsi que le développement des soins palliatifs. Notons au passage que ce n'est plus la solidarité nationale qui finance les grandes priorités publiques. Désormais, les malades paient pour les malades. La maladie devient une pénalité.
Face à l'inefficacité avérée du système des franchises, il est naturel de se demander si leur objectif principal n'est pas d'ouvrir la voie à une privatisation du financement de la santé. Dorénavant, se soigner coûtera donc un peu plus cher. Les inégalités sociales et territoriales d'accès aux soins s'alourdiront. Et il est à craindre que les plus modestes hésitent plus souvent encore à se soigner, au risque de laisser se développer des pathologies plus lourdes qui, en fin de compte, coûteront plus cher à la sécurité sociale.
Tout l'aspect préventif de la politique de santé est ainsi menacé. Certes, des exonérations sont prévues, notamment pour les titulaires de la CMU complémentaire. Mais qu'en sera-t-il de ceux qui, du fait d'un effet de seuil, n'en bénéficient pas ? À cet égard, j'insiste, une fois de plus, sur la situation des titulaires du minimum vieillesse et de l'allocation aux adultes handicapés de la Réunion non éligibles, à quelques dizaines d'euros près, à la CMU. Il est incompréhensible qu'on mégote depuis des années sur une mesure qui faciliterait tant la vie de personnes vulnérables, alors qu'il suffirait, pour leur ouvrir la CMU complémentaire, de ne pas tenir compte, dans leurs ressources, du taux du forfait logement. De façon générale, dans le département de la Réunion, où les médicaments sont déjà 30 % plus chers, les franchises proposées auront des conséquences particulièrement lourdes.
J'ajoute qu'elles sont contraires aux principes fondateurs de la sécurité sociale. Répétons le premier d'entre eux : « Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. » Il importe de ne pas oublier ce sage précepte, au moment où l'on annonce, pour l'après-mars 2008, une grande réforme sur le financement de la santé.
Les causes du déficit de la sécurité sociale sont connues et archiconnues. Elles sont structurelles : vieillissement de la population, besoins grandissants de soins, mais aussi croissance économique trop faible. Face à ces raisons profondes et massives, l'idée que la solution consisterait à responsabiliser les citoyens est à la fois fausse et déplacée : fausse, car elle ne touche pas à la réalité du problème et s'inscrit seulement dans le registre de la communication ; déplacée, car cette prétendue responsabilisation traduit une volonté de culpabiliser les assurés sociaux.
N'oublions pas que plus de la moitié des dépenses de santé sont imputables à un faible pourcentage de malades : ceux qui arrivent en fin de vie. N'oublions pas non plus que les recettes qui devraient aller à l'assurance-maladie, par exemple les taxes sur l'alcool et le tabac, ne lui reviennent pas en totalité.