Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Gilles Carrez

Réunion du 14 octobre 2009 à 9h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, Rapporteur général :

Depuis des mois, notre Commission travaille sur la réforme de la taxe professionnelle. Les propositions essentielles de nos collègues Jean-Pierre Balligand et Marc Laffineur ont d'ailleurs été reprises dans le texte du Gouvernement – notamment s'agissant d'un aspect majeur, celui du découplage de la cotisation locale d'activité, assise sur les bases foncières, et de la cotisation complémentaire assise sur la valeur ajoutée. De même, le Gouvernement a pris en compte l'abattement sur la valorisation des locaux industriels et le plafonnement général. La réforme n'est donc pas une surprise pour nous : nous avons inspiré une grande partie de son architecture générale.

Mais les réformes des finances locales que nous avons connues depuis dix ans nous ont appris à nous montrer plus exigeants. C'est pourquoi nous demandons des simulations précises, commune par commune, EPCI par EPCI, des effets de la suppression de la TP. Je me souviens que, lors de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, nous n'avions pu disposer de ces informations que dans un second temps. Aujourd'hui, nous devons savoir ce qui va se passer dans nos 36 000 communes, nos 3 000 EPCI et nos 100 départements. Or les simulations dont je dispose ne concernent que les grosses intercommunalités – les plus impactées par la réforme – : communautés urbaines, communautés d'agglomération et communautés de communes à taxe professionnelle unique. Il me paraît indispensable d'exiger du Gouvernement que des simulations commune par commune soient transmises avant le début de l'année prochaine au plus tard.

Pour une fois, nous n'avons pas le couteau sous la gorge, en raison du décalage entre l'application de la réforme aux entreprises et ses effets sur les collectivités territoriales. Pendant l'année 2010, ces dernières disposeront en effet des mêmes ressources qu'en 2009 ; le basculement se fera à partir du 1er janvier 2011. D'ores et déjà, nous essayons d'améliorer l'architecture générale de la réforme, mais seules des simulations complètes nous permettront d'en avoir une vision plus fine et d'en ajuster précisément l'impact.

Les simulations déjà transmises par le Gouvernement, et qui concernent les intercommunalités et les départements, sont à votre disposition. Mais elles indiquent les effets de l'article 2 tel qu'il est rédigé dans le projet de loi de finances, sans tenir compte des modifications qui vont vous être proposées. En effet, la réforme ayant été conçue avant tout pour aider et protéger les entreprises, il nous appartient désormais d'améliorer le volet qui concerne les collectivités territoriales.

Aujourd'hui, les entreprises payent 26 milliards d'euros de taxe professionnelle, mais les collectivités territoriales perçoivent 36 milliards, car l'État prend en charge une partie de la taxe, à hauteur d'une dizaine de milliards, en lieu et place du contribuable. Dans le nouveau système, qui s'appliquera aux entreprises dès 2010, le montant payé par celles-ci sera de 18 milliards d'euros : 5,7 milliards pour la cotisation assise sur la valeur immobilière, et 11,4 milliards au titre de la cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée. Le gain pour les entreprises est donc de 8 milliards, du moins en théorie. En effet, certaines entreprises à réseaux – tels que les opérateurs téléphoniques, EDF ou la SNCF – risquaient de bénéficier d'un véritable effet d'aubaine, le passage de la taxe professionnelle à la contribution économique territoriale se traduisant, pour elles, par une réduction importante de l'imposition. En compensation, elles seront soumises à une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, dont le produit attendu est de 1,5 milliard d'euros. Si l'on tient compte par ailleurs de l'effet de l'impôt sur les sociétés, le coût net pour l'État de la réforme sera, en année pleine, d'un peu plus de 4,3 milliards d'euros.

Pourtant, des chiffres très différents ont circulé. En particulier, le Gouvernement a annoncé la somme de 10 milliards d'euros, qui correspond au coût budgétaire en trésorerie que représentera la réforme en 2010. Cette année-là, en effet, les entreprises paieront 18 milliards d'euros au lieu de 26 milliards, mais les effets de l'impôt sur les sociétés et des dégrèvements de l'actuelle taxe professionnelle – notamment le plus important d'entre eux, le plafonnement de la valeur ajoutée – ne se produiront qu'à partir de 2011. Cela explique l'effort supplémentaire en trésorerie que l'État doit consentir en attendant.

À l'origine, le Gouvernement avait le projet d'étaler sur trois ans les coûts de la réforme. Nous avons, pour notre part, plaidé pour qu'elle soit appliquée sans délai, non seulement parce que la suppression des investissements de l'assiette de la taxe professionnelle était une mesure attendue depuis longtemps, mais aussi parce que la crise économique nous incite à opter pour une réforme dont l'impact soit immédiat sur la trésorerie des entreprises. Ses effets s'ajouteront ainsi à ceux de certaines décisions prises dans le cadre du plan de relance, comme le remboursement accéléré des créances au titre du crédit d'impôt recherche, la mensualisation des remboursements de crédits de TVA ou le remboursement de créances liées au report en arrière des déficits au titre de l'impôt sur les sociétés. L'idée est d'alimenter le plus possible la trésorerie des entreprises.

J'en viens au barème de la cotisation complémentaire. Celui-ci est progressif, cette progressivité étant appréciée non en fonction de la valeur ajoutée, mais du chiffre d'affaires. Les entreprises réalisant moins de 500 000 euros de chiffre d'affaires paient la cotisation assise sur la valeur foncière, mais pas la cotisation complémentaire. Au-dessus de 500 000 euros, le barème évolue entre 0 % et 1,5 %. Ce dernier montant, taux actuel de la cotisation minimale à la valeur ajoutée, s'applique à partir de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Le groupe de travail de la Commission des finances était favorable à un taux unique, jugé plus simple. Mais le Gouvernement a fait le choix de la progressivité pour limiter le nombre de perdants dans la réforme. Grâce au barème progressif, les petites entreprises – en pratique, si l'on tient compte de l'abattement forfaitaire, il s'agit de celles qui réalisent moins de 1 million d'euros de chiffre d'affaires – n'acquitteront pas la cotisation complémentaire. Ainsi, au final, les entreprises qui paieront plus d'impôt après la réforme seront entre 43 000 et 45 000.

Les travaux de la Commission des finances avaient permis de pointer la forte réduction de l'imposition que la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle avait entraînée pour certaines entreprises intenses en main-d'oeuvre. Par exemple, un cabinet d'avocat réalisant 40 millions d'euros de chiffre d'affaires peut ne payer que 40 000 euros de taxe professionnelle : il lui suffit de s'organiser en entités réalisant chacune moins de 7,6 millions de chiffre d'affaires, ce qui lui permet d'échapper à la cotisation minimale sur la valeur ajoutée. Le système proposé par le Gouvernement permet d'augmenter leur contribution, tout en le faisant de façon modérée.

Le problème est qu'il induit des difficultés s'agissant de la répartition territoriale du produit de l'impôt. Dans un tel système, en effet, une commune n'abritant qu'une entreprise réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros touche un montant non négligeable au titre de la cotisation complémentaire, tandis qu'une commune dont le territoire accueille cent entreprises réalisant un chiffre d'affaires de 500 000 euros ne reçoit rien du tout. Pour autant, il serait hasardeux de modifier le barème sans disposer de simulations précises, car le moindre déplacement du curseur peut générer des centaines de milliers de perdants. Je propose donc de l'accepter en l'état, à une réserve près : pour éviter la stratégie d'optimisation consistant, pour une entreprise, à éclater en entités de moindre chiffres d'affaires, notre amendement prévoit que l'intégration fiscale d'un groupe à l'impôt sur les sociétés – possible lorsque les filiales sont détenues à plus de 95 % par le groupe – entraîne consolidation des chiffres d'affaires du groupe pour l'appréciation du barème de la cotisation complémentaire. Le gain attendu d'une telle disposition est de 300 millions d'euros. Il nous permettra de gager d'autres mesures, notamment celle qui concerne le prélèvement France Télécom. D'une manière générale, nos propositions auront d'autant plus de force qu'elles ne rendront pas la réforme plus coûteuse.

Le volet de la réforme qui concerne les collectivités locales est celui dont nous avons le moins eu l'occasion de discuter au sein de la Commission. Compte tenu des dégrèvements, il va dorénavant manquer aux collectivités une dizaine de milliards d'euros de recettes. Ce manque affectera particulièrement celles qui percevaient le plus de taxe professionnelle, c'est-à-dire les intercommunalités et les communes. Aujourd'hui, en effet, les régions perçoivent une faible part de la taxe professionnelle ; un tiers du produit de celle-ci est attribué aux départements, et le reste aux communes. C'est donc à ce dernier échelon que les pertes seront les plus importantes. C'est pourquoi le Gouvernement a choisi de le nourrir avec les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseau, ainsi qu'avec des transferts de deux impôts payés par les ménages : la part régionale de la taxe sur le foncier bâti et la part départementale de la taxe d'habitation. Une telle solution présente l'avantage d'aller dans le sens d'une spécialisation de l'impôt, puisque la taxe d'habitation sera concentrée sur l'ensemble formé par les communes et l'intercommunalité. Mais elle entraîne quatre grandes conséquences…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion