Je veux d'abord souligner, après d'autres, la qualité de la procédure de concertation qui a précédé la discussion de ce texte. Elle a incontestablement été une réussite. Je pense notamment à l'accord national interprofessionnel, ou encore au travail du groupe Ferracci, auquel les régions ont participé avec assiduité, aux côtés des partenaires sociaux et de l'État.
Les enjeux rencontrent notre adhésion, qu'il s'agisse d'emploi et de sécurisation des parcours professionnels, d'épanouissement individuel, d'égalité des chances, de compétitivité de nos entreprises, de développement de nos territoires. Mais une question se pose : pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas repris à son compte l'ensemble des préconisations qui avaient fait l'objet d'un consensus ?
Certes, en ce qui concerne l'ANI, nous pouvons nous réjouir qu'un certain nombre d'avancées aient été retranscrites dans la loi : la portabilité du droit individuel à la formation ; la volonté de faire bénéficier de la formation professionnelle ceux qui en ont le plus besoin ; le bilan d'étape professionnel ; la reconnaissance d'un droit à la formation ; le rôle conforté du Conseil national.
Mais que reste-t-il du renforcement du lien entre formation et emploi ; de la mise en place d'une formation initiale différée ; de la notion de gouvernance, essentielle pour l'efficacité d'une politique publique ?
Avec d'autres, dont mon collègue Goasguen, je constate, pour la regretter, la recentralisation du dispositif. Vis-à-vis des partenaires sociaux comme des régions, ce texte manifeste un recul flagrant de la décentralisation. Je pense que même en période de crise – et c'est peut-être là le seul point sur lequel mon point de vue diffère du vôtre, cher collègue Goasguen –, il n'est pas possible à un acteur public, même décentralisé, de ne pas prendre en compte ce que tous les territoires font des enjeux de la crise.
Car nul ne peut contester l'efficacité de l'action territoriale, ni ce qu'ont apporté les régions en matière d'apprentissage. Je pense non seulement à l'augmentation du nombre d'apprentis, mais aussi à la qualité des centres d'apprentissage, qui ne sont d'ailleurs pas inscrits dans les lois de décentralisation. La législation actuelle est silencieuse sur ce point, comme sur la formation des aides-soignantes ou des infirmières. C'est certainement un des points qu'il faudrait régler, je le dis au président de la commission et au rapporteur comme au ministre.
Vous souhaitez comme moi que l'apprentissage soit traité à égalité avec la formation initiale et la formation professionnelle, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Mais comment atteindre cet objectif si l'on ne sait pas qui construit quoi, qui répare quoi, qui entretient quoi ? C'est tout le problème de l'AFPA, monsieur le secrétaire d'État. Nous sommes en train de parler d'actions volontaires des régions, pour lesquelles elles trouvent difficilement des partenaires. Ce qu'elles font pour la formation des aides-soignantes et des infirmières se traduit par un gouffre financier. Et pourtant, il faut bien qu'elles le fassent. Le fait que vous ayez choisi de transférer ses bâtiments à l'AFPA elle-même aura une conséquence : demain, la réhabilitation des bâtiments vétustes donnera lieu à des appels d'offres compliqués. Quand on fait une décentralisation, il faut la faire jusqu'au bout. Ne pas confier toutes les compétences est une chose. Mais, dans chaque compétence transférée, ne pas opérer ce transfert totalement en est une autre. Votre choix se traduira par des coûts que nous aurons à assumer dans quelque temps.
J'en viens à la question de l'équité. Je ne prendrai qu'un exemple. Lorsque les régions ont hérité la compétence relative aux aides-soignantes, c'était la dernière formation initiale payante en France. Elles ont fait bénéficier de cette formation des chômeurs en fin de droit et des allocataires du RMI. En Aquitaine, 1 000 personnes par an sont ainsi sorties du RMI ou du chômage. Avec qui avons-nous pu assurer la gratuité de ces formations ? Avec les partenaires sociaux.
C'est pourquoi j'aurais souhaité une loi qui nous fasse avancer dans le sens de la décentralisation. Il serait bon, monsieur le secrétaire d'État, que soit créé un observatoire de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Parce que c'est là le rôle de l'État, son vrai rôle. On se « mélange les pinceaux » quand on veut qu'il soit à la fois ordonnateur et acteur sur le terrain. Et d'ailleurs avec quels moyens ?
On donne instruction aux préfets d'envoyer les sous-préfets dans les entreprises. L'État veut ainsi redevenir opérateur. Mais avec quels moyens ? Et n'est-ce pas contradictoire avec la RGPP, alors que les régions ont créé les compétences et les services ?
Cet observatoire dont je vous suggère la création, monsieur le secrétaire d'État, pourrait regrouper l'État, les régions, les partenaires sociaux. Il aurait une triple tâche : une tâche d'évaluation des politiques publiques de formation ; une tâche d'impulsion ; et peut-être une tâche de réorientation. Pourquoi ne vous êtes-vous pas inspiré de ce qu'avait fait Jean-Louis Borloo il y a quelques années ? Ayant créé une nouvelle taxe sur l'apprentissage – que nous avions critiquée à l'époque –, il avait décidé que l'utilisation de son produit ferait l'objet d'une contractualisation avec les régions, dans le cadre de dispositifs conjoints visant à améliorer l'apprentissage, la formation et l'insertion professionnelles. Il y avait là une piste étonnante.
Pourquoi l'État, dans ce pays jacobin, veut-il à la fois définir les normes et être un acteur territorial ? Les collectivités locales ne demandent qu'à être évaluées et jugées sur leurs actions publiques, après quoi il appartient aussi à l'électeur de décider.
Sept stagiaires de la formation professionnelle sur dix retrouvent du travail. La plupart des stagiaires des CFA trouvent aussi du travail. Et il faut voir le bilan de ce qui a été fait par les territoires, ne serait-ce que la prise en compte de ces jeunes qui, sortant du système scolaire sans qualification, suivent des formations sans rémunération. Savez-vous que la plupart des régions ont créé, pour ces jeunes, des revenus sociaux liés à la formation ? Il y a là un champ de développement de l'action des régions.
J'avoue que, compte tenu des responsabilités qui sont les miennes par ailleurs, les débats qui se tiennent dans cette assemblée m'étonnent. Pourquoi l'État veut-il tout faire ? Cela ne marche pas. Si cela marchait, cela se saurait.
La divergence, et peut-être la seule, que j'ai avec Claude Goasguen, c'est celle qui porte sur la question de savoir ce qu'il convient de faire en période de crise. Toutes les collectivités locales ont mis en place des actions anticycliques, des moyens supplémentaires à destination de la formation, de la réhabilitation des CFA, en partenariat avec les organisations consulaires ou les organismes sociaux. Oui, il aurait peut-être été intéressant d'insérer dans la loi un article rendant obligatoire, sous le pilotage des régions – et non sous un pilotage quelque peu informe, associant le président de la région, le préfet et le recteur –, une relation entre les partenaires sociaux et les régions. Nous y aurions gagné en termes d'efficacité des politiques publiques comme en matière d'évaluation.
J'ai aussi été très déçu que la commission mixte paritaire reprenne le texte adopté par le Sénat qui remplace le plan régional de développement des formations par le contrat de plan. C'est une régression et une source d'inefficacité. Les régions mettront en place la large concertation qu'elles ont mise en place jusqu'ici. Le préfet signera ou ne signera pas. Mais avec quels moyens ? Le contrat de plan, c'est 50-50, monsieur le secrétaire d'État. Quelles sont les sommes que l'État peut engager, en face des moyens considérables que les régions mettent en oeuvre ? Je rappelle que le budget de la formation est le premier budget des régions.
Contractualisation ? Soit. Mais alors, créons des ressources en provenance de l'État. Il n'y en a pas dans ce domaine. Et je trouve que c'est vraiment un mauvais procès fait aux collectivités locales, alors que, dans cette période de crise, c'est au contraire la confiance qui serait nécessaire, par delà les différences de sensibilité politique. Car l'État et les collectivités locales doivent oeuvrer ensemble. Comme l'a rappelé Claude Goasguen, c'est ce qui se passe partout en Europe et dans les pays démocratiques.
L'État doit jouer son rôle : évaluer, piloter. Mais pour ce qui est de l'action, il faut confier aux collectivités locales un vrai rôle de chef de file.
Avec ce texte, vous aviez l'occasion, monsieur le secrétaire d'État, de définir les contours d'un service public de la formation, et même d'un service public de l'orientation, de la formation et de l'emploi. C'est en tout cas ce que j'avais compris des propos qu'avait tenus Mme Lagarde lors de l'examen de la loi sur le service public de l'emploi, lorsqu'elle avait accordé le droit à l'expérimentation sur le transfert de cette compétence aux régions.
Cette réforme passe malheureusement à côté de l'enjeu essentiel en matière de politiques publiques : quel est l'opérateur, quelle est la gouvernance ? Il faudra y revenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)