Je comprends parfaitement et adopte les réactions des organisations syndicales et des associations investies dans ce champ social, qui constatent qu'une fois de plus le grand rendez-vous de la France avec ses prisons n'a pas eu lieu, alors qu'il devrait être une étape importante dans la construction de notre démocratie.
À l'instar du porte-parole de l'OIP, je dois, à mon grand regret, admettre que « la forme a été alignée sur le fond » et, ce qui est plus grave, « que la philosophie générale et les dispositions du texte détournent l'objet de la loi pour consacrer une prison affranchie de l'État de droit. (…) Ce texte donne les pleins pouvoirs à l'administration pénitentiaire sur les détenus ».
L'une des raisons de ce choix politique est de répondre à la demande de certains groupes de pression qui diffusent des thèses simplistes sur la sécurité et demandent aussi l'élimination sociale des « multirécidivistes », sans oublier, bien sûr, certains syndicats de policiers – même s'ils sont peu nombreux – qui avaient considéré que le projet amendé par le Sénat était un « renoncement sans précédent », rédigé « au mépris de tous les principes de la morale ».
Ces partisans de la sécurité abusive ne cessent de fustiger les alternatives légales à la détention et le prétendu laxisme de la justice pénale. Il est regrettable qu'ils aient trouvé un appui précieux en la personne de la ministre de la « justice » et des « libertés » – vous comprendrez que j'emploie des guillemets. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
En effet, n'a-t-elle pas elle-même affirmé que « le meilleur cadre pour protéger la société, pour sanctionner et pour la réinsertion est la prison » ? Si ce projet était sérieux, on aurait dû analyser lucidement le « besoin de sécurité » et la capacité pénitentiaire. Ce besoin de sécurité, impossible à définir, se manifeste par trois phénomènes : le souhait de l'opinion de voir quelqu'un mis en prison, les peines de prison prononcées et celles accomplies.
La solution ne peut se limiter à construire sans cesse des prisons, car le besoin de sécurité, pour légitime qu'il soit, ne peut se voir satisfait par plus d'enfermement et de répression. Il s'obtient par l'éducation, la prévention, le respect de la dignité des détenus et la prévention de la récidive par un meilleur aménagement des peines, bien au-delà du fait qu'à l'heure actuelle, toute personne condamnée à une peine inférieure ou égale à deux ans d'emprisonnement ferme – au lieu d'un an auparavant – peut voir sa situation examinée en vue d'un aménagement. C'est une amélioration, mais nous sommes loin d'un véritable aménagement des peines.
Une seule visite en prison permet de se rendre compte des difficultés quotidiennes de la vie carcérale et de la souffrance qu'elle engendre. La prison n'est pas une sinécure, et il en sera toujours ainsi : il n'existe pas de prison douce. En revanche, il n'est pas acceptable qu'à ce châtiment s'ajoutent d'autres souffrances, dans une institution gouvernée 24 heures sur 24 par l'administration de notre République : la promiscuité, la difficulté de toute intimité, l'extrême difficulté de prendre des initiatives, la soumission constante, les aléas des contacts avec l'extérieur, qu'il s'agisse de la famille ou des amis, l'indigence des relations entre les personnes ; surtout, la violence, les trafics, l'exacerbation des hiérarchies sociales.
Voilà nombre de défis auxquels aurait dû répondre un projet de loi digne de ce nom. C'est ce que nous attendions, ce que les détenus, les personnels pénitentiaires et, me semble-t-il, les victimes elles-mêmes sont en droit d'attendre et attendent toujours.
Ce rendez-vous est bel et bien manqué. Cette loi revient à entériner le fait que la prison n'a qu'une seule vocation, celle de la gestion des flux, et que la réinsertion ne doit plus faire partie des missions régaliennes de l'État, même s'il faut souligner l'aspect positif de l'article 1er A, qui introduit dans la loi le souci du législateur de voir la prison préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable. Mais il y a loin des mots aux actes !
En définitive, ce texte n'est qu'un grand bond en arrière, inacceptable au regard de la situation des prisons en France. Pourtant, dès 2006, l'actuel Président de la République avait affirmé : « Je souhaite une politique pénitentiaire toute différente (...). On ne peut plus continuer avec des prisons qui font honte, le personnel pénitentiaire n'y étant pour rien. » Une belle promesse – une de plus –, qui ne répond pas aux attentes des citoyens. Encore une fois, un simple effet d'annonce.
Le Gouvernement a choisi d'imposer ce texte contre tous – y compris contre les personnels pénitentiaires, qui devront désormais prêter serment, donc, comme le précise l'une de leurs représentantes, perdre des droits sans en gagner, puisqu'ils n'ont obtenu ni la liberté d'expression, ni la liberté de manifester qu'ils réclament.
Le Gouvernement a décidé de rester sourd à toutes les critiques et recommandations convergentes de l'ONU, de la Cour européenne des droits de l'homme, du contrôleur général des lieux de privation de liberté, du Conseil économique et social et de l'OIP. C'est donc seul qu'il devra assumer les conséquences et qu'il devra répondre de la situation des prisons devant les tribunaux français et internationaux.
Bien sûr, il faut reconnaître à ce texte quelques avancées, comme le droit de téléphoner, tout en ajoutant que les dispositions correspondantes s'entourent de tellement de restrictions que cela risque, en fait, de ne rien changer à la situation actuelle.
Il y a aussi la demande faite par de nombreux parlementaires à propos de l'encellulement individuel – je fais référence à l'article 49-I. Cela sera possible pour les prévenus et accusés soumis à la détention provisoire. Il est à regretter que cela ne soit pas le cas pour l'ensemble des détenus et il est à craindre que la surpopulation carcérale ne touche plus seulement les maisons d'arrêt, mais l'ensemble des établissements pénitentiaires.