Comme il arrive souvent lors de discussions portant sur la ratification de traités internationaux, on ne peut manquer d'observer, aujourd'hui, un certain décalage entre l'objet juridique du débat auquel le Parlement est convié et ses enjeux politiques immédiats ou plus ou moins lointains.
Il suffit d'un regard d'ensemble sur les accords bilatéraux soumis à notre examen pour constater que d'importantes différences formelles existent entre eux dans l'articulation des documents qui les composent et leurs stipulations. Ces différences sont naturellement le fruit des négociations et des compromis politiques qui ont abouti aux rédactions que nous avons sous les yeux. Je remercie nos deux rapporteurs d'avoir, par une présentation synthétique, permis de surmonter l'obstacle posé par cette complexité formelle à la compréhension des enjeux politiques immédiats de ces négociations.
Il faut cependant garder présente à l'esprit la leçon qui se dégage de cette diversité : on ne peut pas traiter le problème de l'immigration comme un tout, sous le seul aspect de la menace qu'elle représenterait pour notre société et notre économie.
Il y a autant de problèmes à traiter que de situations bilatérales, même si l'on peut observer, conformément à l'histoire de nos relations avec les pays dits du Sud, la persistance d'approches communes entre les pays d'Afrique du Nord, d'une part, et les pays d'Afrique au sud du Sahara, d'autre part. La France, État souverain, a traité avec des États souverains ; c'est manifestement la raison pour laquelle les objectifs de notre politique d'accueil des étrangers subissent, ici ou là, des adaptations, relevées par nos rapporteurs, à savoir l'insistance sur la notion de partenariat dans l'accord avec la Tunisie, mais aussi l'interprétation plus ou moins qualitative du principe de l'immigration choisie mis en avant par le président Nicolas Sarkozy. C'est à mes yeux une marque de sagesse.
Sur la question de l'immigration, le bon sens consiste à passer d'une logique de barrière à une logique de régulation. C'est, d'une certaine manière, ce que traduit l'adjonction fort opportune du mot « codéveloppement » à l'intitulé du ministère responsable des conditions d'entrée et de séjour en France. Il ne peut y avoir de codéveloppement que s'il y a concertation permanente entre la France et ses interlocuteurs.
Nos deux rapporteurs ont eu raison de revenir sur les années 70 et l'évolution, à cette époque, de la perception de l'immigration, à travers l'instauration du regroupement familial. Auparavant, la politique de l'immigration était fortement déterminée par deux objectifs : réussir la décolonisation et réussir l'aménagement du territoire. Les rapports des députés qui nous ont précédés dans cet hémicycle témoignent du lien établi entre ces deux objectifs. De même que la souveraineté de la France supposait de mettre en avant le caractère essentiellement précaire et réversible de l'immigration, une certaine vision impérative présidait à la vision des mouvements de population, française comme étrangère, consécutifs à l'aménagement du territoire.
Le regroupement familial est la marque de la fin de cette doctrine, qui ne résistait pas à l'épreuve des faits. On peut se demander, en effet, si les circonstances de la décision initiale ne sont pas, pour une bonne part, à l'origine du décalage que l'on peut observer ici entre la réalité sociale et le traitement idéologique du problème de l'immigration. Là encore, la politique illustrée par les accords que nous examinons fait partie des moyens permettant de revenir à une approche rationnelle, permanente de ce problème.
Cette approche me paraît d'autant plus nécessaire que la réalité internationale des mouvements migratoires a évolué, comme l'ont bien rappelé nos rapporteurs. Il n'y a plus seulement une immigration du Sud vers le Nord, mais également des déplacements de population significatifs qui se produisent, entre autres, à l'intérieur du continent africain.
L'ouverture et la globalisation des échanges ne vont pas sans une pression accrue des mouvements migratoires, souvent au prix d'une exploitation plus grande des personnes. La crise économique a parfois imposé le retour au pays que ne parvenait pas à réaliser la répression de l'immigration clandestine. On l'a vu, ces derniers mois, avec le retour vers leur pays d'origine de Mexicains auxquels l'économie américaine en crise n'offrait plus de perspectives de subsistance.
Un autre facteur déterminant de la politique de l'immigration a singulièrement évolué en vingt ans : je veux parler de l'approche européenne. Nos rapporteurs ont eu raison de faire référence au Conseil européen de Tampere, qui, en 1999, faisait de cette question un objectif commun de l'Europe. On sait ce que la capacité spontanée d'intégration des institutions européennes implique dans un tel cas : nous ne pouvons pas, dans notre politique, ignorer ou négliger l'impact non seulement des décisions mais aussi des discussions communes et des conceptions qui s'en dégagent.
Je ne reviendrai pas sur les détails que donnent les rapports écrits sur le développement de ces décisions et conceptions. Il me semble en revanche important de rappeler qu'une certaine doctrine européenne, prenant acte du dépérissement démographique de nombreux États membres, voit dans l'immigration une chance, voire une nécessité, pour restaurer le dynamisme collectif de l'Europe.
On ne peut négliger l'impact de cette doctrine sur la formulation des normes communes relatives à l'immigration, fussent-elles restrictives en la forme. On sait bien que, dans le passé, l'empire de la nécessité a conduit certains de nos partenaires – je pense en particulier à l'Espagne – à des choix contradictoires avec les principes d'action retenus alors par la France ; nous nous souvenons tous de l'émotion impuissante que ces décisions avaient provoquée. L'entrée dans l'Union européenne de nouveaux pays encore plus affectés par le déclin démographique a accentué la difficulté. C'est un autre ensemble de raisons qui viennent à l'appui de la logique de relation que j'ai défendue.
Cette même logique inspire mon interprétation de la notion d'immigration choisie, dont j'ai rappelé qu'elle était au coeur de la politique des pouvoirs publics. Elle a souvent été interprétée de manière polémique, comme si immigration choisie était nécessairement synonyme d'immigration sélectionnée – sous-entendu : sélectionnée par le partenaire dominant de la négociation – ou encore d'immigration diplômée. Je récuse une telle interprétation, d'abord parce qu'elle n'est pas réaliste.
Je vois, pour ma part, dans les accords bilatéraux du type de ceux que nous examinons des instruments permettant de pratiquer ce choix en commun, dans l'intérêt bien compris des deux parties en présence. La notion de « partenariat » mise en avant, à bon droit, dans l'accord avec la Tunisie, me paraît pouvoir être tout autant utilisée dans la mise en oeuvre des trois autres accords. C'est à ce prix que se justifient les mesures de répression de l'immigration clandestine que comporte inévitablement le droit de l'entrée et du séjour des étrangers en France.
C'est également pourquoi, conformément à la tradition constante de notre droit, je plaide, une fois encore, pour une application intelligente des normes et pour la prise en considération des situations personnelles et familiales.
Je ne m'attarderai pas sur l'impérieuse nécessité, unanimement admise, de lutter encore et toujours contre les passeurs, les trafiquants, les profiteurs de tous ordres de l'immigration clandestine.
Je ne voudrais pas conclure sans dire un mot du codéveloppement.
J'ai noté les observations peu encourageantes de nos rapporteurs sur les instruments économiques du codéveloppement créés par la loi de 2007. I1 faut sans doute attendre encore un peu pour savoir si cette impression pessimiste va se confirmer, en ayant en mémoire les difficultés d'une approche trop dirigiste dans un tel domaine. Il faut aussi se rappeler que le codéveloppement est aussi, et depuis longtemps, ce que pratiquent, sans le dire, de nombreuses personnes et associations qui, par-delà les fluctuations de la politique, financent et réalisent des projets, en partenariat avec des institutions et des associations des pays bénéficiaires. Je suis heureux de saisir cette occasion pour leur rendre hommage. Les dispositions des quatre accords qui mentionnent le codéveloppement sont, d'une certaine manière, un nouvel hommage officiel à cette inspiration généreuse ; elles ont leur importance dans un domaine où l'affirmation symbolique est souvent un déterminant décisif des comportements personnels.
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe Nouveau Centre votera les projets de loi qui autorisent la ratification des quatre accords bilatéraux. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)