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Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 6 octobre 2009 à 16h15
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Jean-Louis Borloo, ministre d'état, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat :

Je voudrais souligner en premier lieu que la France s'est dotée d'une ingénierie publique à la mesure des défis du XXIème siècle. La configuration n'est plus celle de quatre ministères travaillant côte à côte mais d'une administration unique organisée pour affronter ces défis. Un seul exemple : hier les services de l'habitat et de l'urbanisme géraient Rouen et Le Havre, ceux des transports s'occupaient des transports, d'autres encore de la gestion de l'eau, de la Seine, de la mer, de l'énergie ; aujourd'hui, une seule et même administration s'occupe des Boucles de la Seine.

Une administration de ce type est unique au monde, et l'organiser n'a pas été facile. De 23 directions on est passé à six directions opérationnelles, de très nombreux regroupements fonctionnels ont eu lieu, si bien que les méthodes de travail ont été radicalement modifiées. Une mutation d'une telle ampleur est assez rare, et je ne sais quelle autre institution a vécu pareille transformation. C'est que les missions assignées au ministère sont elles-mêmes très vastes, puisqu'il s'agit d'organiser l'espace, l'urbanisme, le logement, l'habitat, l'énergie pour répondre aux enjeux du siècle, en économisant toutes les ressources naturelles – eau, forêts… – et en divisant par 4 nos émissions de gaz carbonique à l'horizon 2050. La nouvelle organisation du ministère, désormais opérationnelle, nous a d'ailleurs valu le prix mondial des ressources humaines, décerné par un grand cabinet international. Nous pouvons être fiers de notre fonction publique qui, quand elle se met en marche comme elle l'a ainsi fait, ne peut être arrêtée. De même, des progrès considérables ont été accomplis au sein du ministère, dans tous les domaines – déplacements, locaux, politique d'achat – pour que l'État soit, conformément à sa mission, « exemplaire ». Ainsi, à ce jour, 80 % des entités de mon administration ont achevé leur bilan carbone, à la fin de l'année toutes l'auront terminé, et les décisions prises vont permettre de réduire de 5 à 7% par an les émissions de CO2 du ministère. La France s'est donc dotée d'un outil sans équivalent dans le monde. Dans les départements, nos services sont en outre progressivement couplés avec ceux de l'agriculture.

Je suis d'autre part fasciné par l'allant général. Il n'est pas une collectivité, une organisation syndicale, une organisation professionnelle qui ne se soit mise en ordre de marche pour contribuer à une économie plus sobre en carbone, plus performante, plus respectueuse de l'environnement. Le rythme de la mutation est, objectivement, très supérieur à ce qu'on observe partout ailleurs en Europe. Ainsi, pour ce qui concerne les énergies renouvelables, on installe chaque trimestre l'équivalent du stock photovoltaïque d'il y a dix-huit mois. De même, dans le bâtiment, le nombre de chantiers thermiques, dont le montage est pourtant complexe, s'établit entre 7 000 et 8 000 par mois, et on atteindra 15 000 à 18 000 par mois à la fin de l'année. Pourtant, il y a deux ans, ces sujets étaient totalement absents des préoccupations des architectes !

S'agissant de la mobilité individuelle, les annonces relatives aux véhicules propres faites la semaine dernière signent l'aboutissement d'un processus long d'une année. Les constructeurs automobiles ont compris que le dispositif du bonus-malus écologique visait à instaurer une économie sobre en carbone ; ils ont compris aussi qu'il y avait une réelle demande de la part des consommateurs. Mais pour aboutir, il fallait une action concertée ; producteurs et distributeurs d'énergie, fabricants de batteries, représentants des collectivités locales et de l'État se sont donc réunis autour d'une table. Cela nous a permis de mettre au point un plan de très grande ampleur. Il en résultera que les deux seules sociétés de taille internationale au monde vont lancer, dans neuf à douze mois, un produit de milieu de gamme et de grande consommation en France au même prix que les voitures thermiques, ce qui était inimaginable il y a deux ans et demi. La décision de créer une filiale d'ERDF dotée de 1,5 milliard d'euros, afin d'assurer l'équipement en prises de rechargement partout en France et se mettre d'accord sur un standard européen et de permettre une gestion intelligente du réseau, ainsi que le regroupement de 500 chercheurs à Chambéry montrent que la mécanique est lancée.

De même, les collectivités ont répondu en masse à l'appel à projets de transport collectif en site propre – les TCSP. Les projets présentés portent sur quelque 400 km de lignes supplémentaires, à comparer aux 329 km – hors Paris – construits au cours des 34 dernières années.

Quant aux lignes TGV, il est prévu que le réseau double en cinq ans – période pendant laquelle on construira donc autant que l'on avait construit au cours des 40 années précédentes.

Alors, donc, qu'on envisageait une réduction de 25% des émissions de CO2 d'ici à 2020, on peut raisonnablement penser que la diminution atteindra 35% ou 40%, et cela sans drame : il s'agit d'une mutation de l'économie globalement heureuse, et celui qui maîtrisera cette économie maîtrisera le monde.

Au fond, on en revient à une forme du génie français. Il s'agit de produire des énergies et de les stocker, et ce sont des domaines où la France a longtemps montré son savoir-faire, elle qui a inventé l'énergie hydraulique, les usines marémotrices et n'avait pas négligé le solaire, même si elle s'est laissée dépasser. Les trams, les trains, les turbines, le traitement de l'eau, le traitement des déchets sont autant de systèmes des Arts et métiers, assortis d'une relation public-privé par le biais de la délégation de service public, invention française elle aussi. Ni le marché ni le secteur public ne pouvant gérer seuls ces mutations, une articulation est indispensable.

Le moment est étrange, car notre pays est probablement le plus performant pour ce qui est des métiers du XXIème siècle, mais dans le même temps il connaît des faiblesses structurelles qu'il faudra corriger au plus vite, en matière de formation notamment.

Certes, des points de blocages subsistent, mais ils sont finalement assez peu nombreux. Tout au long du débat au Sénat sur la gouvernance territoriale, j'ai entendu s'exprimer une grande envie d'agir. Le parcours moral du pays, la prise de conscience des enjeux ont été spectaculaires et la seule question qui vaille maintenant est de définir les moyens qui nous permettront d'être efficaces le plus vite possible. L'industrie et les services français sont désormais convaincus que les adaptations sont vitales. Tout le monde est donc d'accord sur le principe. Ensuite, on peut, bien sûr, discuter du rythme de la mutation, mais il est certain que parmi les pays industrialisés, nous assurons un leadership technique, assorti de faiblesses que nous nous employons à corriger. Ainsi, je suis convaincu que, d'ici fin 2010, nous aurons repris la tête de la filière professionnelle « du vent et du soleil ». C'est d'ailleurs ce qu'ont pensé les 136 pays qui ont porté Mme Hélène Pelosse, qui était ma conseillère diplomatique pour les négociations sur le « paquet climat-énergie », à la direction générale de l'Agence internationale des énergies renouvelables.

Dans un autre domaine, j'ai été frappé par l'impressionnante évolution de l'agriculture française, qui a notamment beaucoup diminué sa consommation d'intrants. Même si les mutations sont plus difficiles à mettre en oeuvre dans certains secteurs, l'agriculture est devenue une force motrice dans la lutte pour la préservation de l'environnement. Aucun secteur n'est à l'écart des mutations : ainsi, si vous avez l'occasion de recevoir M. Jean-Charles Naouri, le président de la société Casino, il vous dira qu'au premier trimestre 2009 l'achat de produits « bio » a augmenté de 23 % en France, contre seulement 1,5 % en Allemagne et en Europe. La tendance qui s'exprime ainsi ne diffère pas de celle que l'on observe quant à l'évolution du photovoltaïque ou de la consommation d'eau. Certes, il faudra aller beaucoup plus loin encore mais, comme je vous l'ai dit, nous sommes parfaitement armés pour le faire.

J'en viens au panorama international. Pour commencer, la préparation du sommet de Copenhague nous a fait mesurer la prouesse extraordinaire qu'a représenté l'adoption du « paquet énergie-climat ». A observer les négociations en cours pour savoir qui est prêt à quoi, on se rend compte que ce fut véritablement un exploit de parvenir à l'accord auquel nous sommes parvenus à vingt-sept. Je réitère donc mes remerciements pour le soutien que vous m'avez manifesté un certain vendredi et qui m'a permis ensuite de négocier de manière détendue avec mes homologues européens.

Votre appui a été crucial car en réalité tous les chefs d'État et de gouvernement voulaient le « paquet énergie-climat »… et aucun n'en voulait car, dans chaque pays, des secteurs économiques étaient épouvantés à l'idée d'un accord de ce type. Les demandes de report, pour divers prétextes ou raisons, n'ont pas manqué. Ce projet a été à l'origine de fortes tensions politiques dans certains États, des gouvernements on été mis en difficulté, certains sont tombés, et des manifestations ont eu lieu dans plusieurs pays d'Europe centrale et orientale. Rien de tel ne s'est produit en France car le consensus était acquis : les objectifs du « Grenelle de l'environnement » ne sont guère différents de ceux du « paquet énergie-climat ». On ne mesurera jamais à quel point ce consensus national puissant a permis à la présidence française de l'Union de boucler ce dossier : elle a pu commodément faire valoir que la sidérurgie française, les constructeurs automobiles français, les fondeurs français, les transporteurs français n'étaient pas plus stupides que ceux des autres pays européens, et qu'ils avaient avalisé les dispositions en discussion.

Nous sommes maintenant à huit semaines d'un processus du même type, et nul ne doute que 90% des dirigeants du monde sont convaincus de la nécessité que le sommet de Copenhague soit un succès. En réalité, point n'est besoin de les persuader : il faut les « désangoisser » en soulignant que l'Union européenne n'est pas traumatisée d'avoir adopté le « paquet énergie-climat ». Pour autant, on peut comprendre qu'il soit difficile d'aller expliquer cela dans le Michigan ou dans les États démocrates producteurs de lignite.

Les négociateurs sont actuellement réunis à Bangkok. Ils ont en main la feuille de route fixée à Bali, qui est un document de principe dont je rappellerai les grandes lignes : une responsabilité commune mais diversifiée ; pour les pays industrialisés, un objectif de réduction, d'ici 2020, des gaz à effet de serre de 25 à 40 % par rapport aux niveaux de 1990, pour avoir une chance de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre à moins de 450 ppm ; le financement de l'adaptation dans les pays vulnérables ; la définition des engagements à prendre par les pays émergents, et celle du cofinancement de la technologie.

Mais si tel est le plan d'action, l'engagement est si important que tout se jouera au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Je considère que les États-Unis, avec une émission de 24 tonnes de gaz à effet de serre et 21 tonnes de CO2 par habitant et par an, sont en difficulté à ce sujet. Il faut donc accepter que la chose y soit réglée un peu différemment, tant dans la forme que dans la vitesse, de la manière dont elle l'est en Europe mais que, même si un traité n'est pas signé, on trouve les moyens d'un engagement unilatéral contraignant au regard de son propre droit.

Dans ce contexte, que viser ? Qu'aucun pays ne se fixe un objectif de réduction des gaz à effet de serre inférieur à 25 % ; que l'on définisse l'objectif pour 2030 ; que l'on mette au point un programme très puissant d'aide aux pays les moins avancés –PMA – en distinguant financement de l'adaptation et financement de l'atténuation de l'effet de serre. Pour les PMA – 33 pays africains, 15 pays d'Asie et Haïti – il est indispensable de prévoir de l'argent public, destiné en particulier à mettre en oeuvre un programme d'équipement en énergies renouvelables de l'Afrique. La nuit, hormis au Cap et autour de Marrakech, l'Afrique est dans l'obscurité complète, alors que le reste du monde est illuminé. Cela en dit long sur l'accès à l'énergie sur ce continent. Or, sans accès à l'énergie, il n'y a pas d'accès aux soins, au savoir, à l'agriculture, à l'eau. C'est un drame absolu que seul un Africain sur cinq ait accès à l'énergie, et le sommet de Copenhague doit impérativement se conclure par l'adoption d'un plan de « justice climatique ».

Voilà ce qu'il faut viser, plutôt que de fixer des objectifs chiffrés en apesanteur comme le fait la Banque mondiale et comme on l'a fait dans le protocole de Kyoto, dont le bilan est celui que je vais vous dire : à ce jour, 13 ou 14 pays seulement ont respecté les objectifs fixés – dont une douzaine, en Europe centrale et orientale, parce que leur économie s'est effondrée ! Ce n'est pas la nature de l'engagement qui est en cause, puisqu'il s'agissait d'un traité, mais le manque de contrôle, de suivi et de sanctions. Cela dit, il faut être prudent quand on institue des sanctions, au risque sinon que des pays refusent de signer un traité.

Il y a, je l'ai dit, un problème américain, mais il existe aussi une spécificité chinoise. La Chine est très engagée dans une évolution sobre en carbone de son économie, à la fois pour des raisons vitales – il lui faut contenir une pollution considérable – et pour des raisons stratégiques : avec une économie produisant 3 tonnes de CO2 par habitant et par an quand les Etats-Unis en produisent 24 tonnes, la Chine bénéficie d'un avantage compétitif qu'elle souhaite amplifier. C'est pourquoi, n'en doutez pas, les Chinois seront les leaders de l'économie sobre en carbone au cours des années à venir. Cela étant, il reste à définir pour ce qui les concerne une formule autre qu'un traité ou un engagement contractuel à l'européenne, parce que ce type d'engagement n'est pas dans leur culture et qu'ils ne se sentent pas responsables de la situation actuelle. Il faudra donc mettre au point, pour la Chine, un engagement unilatéral mais contraignant.

Je pars cette semaine à Addis-Abeba rencontrer le premier ministre éthiopien, qui dira la position de l'Afrique à Copenhague. La France souhaite que l'accord passé entre l'Union européenne et l'Afrique s'applique et que ce qui touche à l'eau, à l'énergie, à l'arrêt de la déforestation, à la lutte contre le changement climatique en Afrique soit financé par le budget public ou par des financements innovants. A ce sujet, il y a deux hypothèses : taxer les transactions financières internationales à hauteur de 0,015 % ou le baril de pétrole à 1 dollar. Tout cela est en cours de discussion. J'espère que nous pourrons boucler ce dossier et qu'à Copenhague, l'Afrique exprimera ce que sont ses objectifs, et non pas pourquoi elle doit être aidée.

Pour conclure, rien n'est fait pour que le sommet de Copenhague réussisse puisqu'il s'agit de rendre obligatoires des mutations qui paraissent angoissantes aussi longtemps que l'on ne les entreprend pas, mais dont nous savons néanmoins qu'elles ne sont pas difficiles. Je suis convaincu que sans le « Grenelle de l'environnement », il n'y aurait pas eu de « paquet énergie-climat », et que sans le « paquet énergie-climat », le sommet de Copenhague n'aurait pas été possible. Nous sommes résolument déterminés à agir et nous espérons que des parlementaires nous accompagneront dans cette bataille.

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