Depuis que Michel Foucault a publié en 1975, peu après les révoltes de Toul, Melun et Nancy, son brûlot Surveiller et punir, nous sommes toujours dans l'ère de ce qu'il est convenu d'appeler « le grand silence ».
Or l'État de droit ne saurait s'arrêter à la porte de nos prisons. « Le grand silence » : ces mots sont particulièrement appropriés concernant les conditions de détention des femmes. Ce projet de loi continue, hélas, à observer ce silence.
Pourtant, madame la ministre d'État, vous savez très bien qu'au-delà de certaines similarités, les problèmes rencontrés en détention par hommes et femmes sont considérablement différents.
Largement minoritaires au sein des établissements pénitentiaires – elles ne représentent que 3,4 % des détenus, soit environ 2 000 femmes pour 62 000 hommes – les femmes incarcérées sont les grandes absentes de cette réforme.
Lors de votre audition en commission, monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez dit que les quartiers pour femmes devraient représenter un exemple pour les quartiers pour hommes. Cette réponse n'est pas acceptable, et le rapport remis par notre collègue Guénhaël Huet et par la délégation aux droits des femmes est à ce titre absolument exemplaire.
Le Gouvernement pourrait d'ailleurs s'appuyer en cette matière – comme en tant d'autres – sur les règles pénitentiaires européennes. Au mois de mars, au Sénat, la garde des sceaux avait affirmé que le projet de loi n'était rien d'autre que la transcription intégrale de ces règles. Or il n'en est rien, et en particulier en ce qui concerne les femmes.
Ainsi, la règle pénitentiaire européenne n° 34-1 reconnaît la spécificité de l'incarcération des femmes. Je cite : « Outre les dispositions des présentes règles visant spécifiquement les détenues, les autorités doivent également respecter les besoins des femmes, entre autres aux niveaux physique, professionnel, social et psychologique, au moment de prendre des décisions affectant l'un ou l'autre aspect de leur détention. » Le Parlement européen, rappelle lui aussi, dans son rapport sur la situation particulière des femmes en prison, la « spécificité » des prisons pour femmes et insiste « sur la mise en place de structures de sécurité et de réinsertion pensées pour les femmes. »
Malheureusement, en France, l'univers carcéral a été et demeure pensé par les hommes et pour les hommes – on dit d'ailleurs « quartiers pour femmes », mais on ne dit jamais « quartiers pour hommes ».
Il n'est pas jusqu'à l'article D. 241 du code de procédure pénale qui, dans l'énumération des motifs qui ne sauraient faire l'objet de discriminations, n'omette la discrimination fondée sur le sexe.
Les établissements pénitentiaires sont pensés pour les hommes, non seulement en matière d'hygiène et de soins médicaux mais également en matière de santé psychologique, d'activité sociale, de formation, d'activité professionnelle.
Or la détention est souvent vécue de manière plus dure encore par les femmes, qui sont – du fait de leur parcours personnel – bien plus stigmatisées, voire abandonnées, par leurs familles. Elles souffrent de troubles psychiques importants et spécifiques ; elles ne trouvent que peu d'aide psychologique adaptée, faute de formation spécifique du personnel pénitentiaire.
Ainsi, un seul des vingt-six services médico-psychologiques régionaux est habilité à recevoir des femmes atteintes de pathologies psychiques ou de dépression. L'addiction aux stupéfiants, fréquente chez les femmes détenues, mais surtout les violences de tous ordres dont elles ont très majoritairement été victimes dans leur passé, devraient pourtant amener à les faire suivre en priorité.
Les quartiers pour femmes sont peu nombreux : seuls cinq établissements pour peines disposent de quartiers qui leur sont réservés. Cela entraîne un éloignement géographique qui fragilise encore les liens avec les familles. Les femmes détenues sont plus nombreuses à ne pas recevoir de visites du tout. Lorsqu'elles ont des enfants, il est très rare que le père biologique leur rende des visites.
Enfin, si la surpopulation globale est faible, elle est concentrée sur certains endroits : à Metz Queuleu, par exemple, trente femmes sont détenues pour dix-neuf places théoriques, soit un taux de 158 %.
Leurs activités sont moindres, car le principe de non-mixité joint à leur faible nombre fait que, selon l'administration pénitentiaire elle-même, « seuls les hommes bénéficient de fait des locaux conçus pour les activités collectives ». Les formations qui leur sont proposées sont stéréotypées : en plus des ateliers pédagogiques, on leur propose des formations d'agents de restauration, d'agent de propreté, de bureautique.
Pour les détenues en état de grossesse ou accompagnées de jeunes enfants, il faut bien sûr développer les unités de vie familiale, et surtout les alternatives à la détention.
Enfin, je tiens, madame la ministre d'État, à attirer votre attention sur le cas des jeunes filles mineures en détention. Elles sont en effet doublement isolées.