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Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 15 septembre 2009 à 21h30
Loi pénitentiaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarylise Lebranchu :

Madame la ministre d'État, je n'avais pas prévu d'évoquer ce point, mais, puisque, tout à l'heure, vous avez répondu avec une certaine brutalité à nos arguments, je souhaiterais vous rappeler, car cela me tient à coeur, que, lorsque j'étais au poste que vous occupez actuellement et qu'une évasion ou un accident avaient lieu, mes interventions, lors des questions d'actualité, étaient accueillies par les hurlements de l'opposition et par des appels à la démission. Or, récemment, alors que des événements analogues, des drames, se sont produits, l'opposition ne s'est pas manifestée bruyamment, car nous pensons que la République mérite beaucoup mieux que cela. Je tenais à vous le dire, ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Ce texte – mais il est vrai que vous n'étiez pas encore garde des sceaux lorsqu'il a été déposé devant le Parlement – porte une triple marque négative. Tout d'abord, votre prédécesseur a déclaré qu'il ne fallait pas prendre la prison pour un hôtel, et ce langage a sans doute déstabilisé beaucoup d'interlocuteurs du dossier.

Ensuite, le projet de loi a fait l'objet d'une déclaration d'urgence. Or, soit il y a urgence, et l'on va vite, soit il n'y a pas urgence et on prend le temps de discuter. Une loi mal préparée est, ainsi que vous l'avez dit vous-même, une loi difficile à appliquer. Aussi, je vous plains d'avoir à prendre les décrets d'application de ce texte.

Enfin, la situation des prisons empire année après année. Vous nous reprochez de n'avoir rien fait. Lorsque je suis arrivée au ministère de la justice, un certain nombre de dossiers étaient sur mon bureau – Avignon, Toulon, Meaux, Toulouse, Liancourt, Fleury – qui a bénéficié d'une importante réhabilitation –, la Santé, Fresnes, les Baumettes, Lyon et Draguignan – et j'ai dû exécuter les décisions prises par mon prédécesseur, comme mes successeurs ont eu à exécuter les décisions que j'avais prises.

Toutefois, le processus que nous avions lancé a été entravé par la décision de M. Bédier relative aux partenariats public-privé. Nous avons ainsi perdu quatre ans, alors que des crédits – dix milliards de francs – avaient été affectés par la loi de finances à un programme de construction et qu'un projet de loi avait été déposé au Parlement. Ce texte, qui était le fruit de longs mois de travail, effectué par des parlementaires issus de tous les groupes, faisait l'objet d'un consensus. Mais il devait venir en discussion pendant la campagne électorale et les députés RPR nous ont dissuadés de l'examiner à cette période, en nous indiquant que les circonstances ne leur permettraient pas de nous suivre. Alors, de grâce, ne réécrivez pas l'histoire et ne nous reprochez pas de n'avoir rien fait ! Encore une fois, nous avions élaboré un programme de construction et un texte de loi était prêt, dont M. Perben m'a dit, en 2002, que c'était un bon texte. Pourquoi avoir attendu 2009 ? Il y a eu un loupé, et nous en subissons encore les conséquences.

Vous défendez votre projet de loi en utilisant pour principal argument la construction de nouvelles places de prison, destinées à répondre au flux dont vous estimez qu'il augmentera d'année en année jusqu'en 2012. Mais n'est-il pas temps de reconnaître que l'on régulera la surpopulation carcérale en traitant, non pas le problème des sorties, mais celui des entrées ? Cela a été dit sur tous les bancs : il y a, en prison, des gens qui ne devraient pas s'y trouver, car on a eu le tort de ne pas faire de la prison l'ultime recours. S'agissant des aménagements de peine, du bracelet électronique, du travail d'intérêt général ou de la semi-liberté, on parle d'« alternatives », alors que ce sont des sanctions à part entière. C'est cette question que nous devons prendre à bras-le-corps, en offrant aux juges, à qui nous devons faire confiance, les moyens de moins emprisonner.

À ce propos, si le texte marque quelques progrès – et nos collègues du Sénat ont bien travaillé à cet égard –, il comporte néanmoins certains éléments qui sont choquants. Ainsi, pourquoi confier à l'administration pénitentiaire le soin de proposer les aménagements de peine ? Certes, c'est le JAP qui, in fine, prendra la décision, mais cette mesure traduit une certaine défiance à l'égard des magistrats. Alors que nous nous accordons à reconnaître, avec la majorité actuelle, qu'il faut améliorer la juridictionnalisation des peines, vous cassez un dispositif qui, au fond, ne fonctionnait pas si mal.

Après m'être beaucoup reproché de ne pas m'être assez battue pour que le projet de loi que nous avions élaboré vienne en discussion au Parlement après mai 2002, aujourd'hui, c'est au personnel pénitentiaire que je pense avant tout. Notre administration pénitentiaire fait bien son travail. Certes, on peut déplorer que, comme dans tout groupe humain, l'un ou l'autre de ses membres n'applique pas une décision ou se comporte mal. Mais n'oublions que c'est cette administration qui garantit les fondamentaux de la République, car elle est la dernière à intervenir, après la police et la gendarmerie.

Or, de quoi souffre la prison ? De conditions de détention indignes, de l'humiliation infligée aux détenus, qui entrent avec la rage et sortent avec la haine. Pourquoi ? Parce que les personnels n'en peuvent plus. En effet, quelle que soit la maison d'arrêt où ils travaillent, on ne leur permet pas de nouer avec les détenus le dialogue qui permettrait à ceux-ci d'oublier un peu leur rage et de penser à leur victime. C'est sur ce point que doivent porter nos efforts.

Par ailleurs, je m'étonne que l'on considère comme une grande avancée le fait de reconnaître désormais au personnel pénitentiaire le statut de force dont dispose l'État pour assurer la sécurité intérieure, dont ils deviennent ainsi le troisième maillon, aux côtés de la police et de la gendarmerie. Ce n'est pas leur travail ! Bien entendu, ils doivent assurer la sécurité, mais ils sont également chargés d'accompagner les détenus, de dialoguer avec eux, bref : d'entretenir une relation humaine. Comme ils n'y parviennent pas, on les équipe de béquilles électroniques ou informatiques. Si ce n'était pas si grave, on sourirait en apprenant que le robot de Corbas ne sait plus quand il faut ouvrir ou fermer les portes, de sorte qu'une famille s'est retrouvée bloquée. Ce n'est pas ce type d'outils qui améliorera la qualité de la relation humaine à l'intérieur des prisons, si importante pour la réinsertion des détenus.

Au reste, et je me souviens d'en avoir longuement parlé avec Élizabeth Guigou, nous n'avons sans doute pas suffisamment agi en faveur de l'éducation, de la culture et du travail en prison. Quoi qu'il en soit, nous avions pensé qu'une première étape aurait consisté, en accord avec les personnels, à faire signer un contrat au détenu qui travaille pour l'administration pénitentiaire et à le payer correctement.

Toutes ces mesures figuraient dans notre projet. J'ajoute que nous n'avions pas oublié de garantir la sécurité des personnels. Nous insistions ainsi en premier lieu auprès de l'architecte – et on peut le constater sur les plans – pour qu'il prenne avant tout en compte la nécessité, pour un surveillant, de bénéficier d'une vision suffisante pour pouvoir protéger ses collègues.

Mais les murs, leur hauteur et la répartition des cellules ne sont pas tout, madame la ministre, et vous savez qu'il ne suffit pas, pour rendre sa dignité à un être humain, de construire de plus belles prisons, d'y diffuser de la musique de supermarché et d'y installer des salles de gym, comme on le fait aux États-Unis. Si personne ne parle à un détenu de la relation qu'il pourrait à nouveau avoir avec la victime, donc avec la société, si personne ne lui rappelle qu'il est citoyen, qu'il a peut-être, à un moment donné, perdu les pédales et fait quelque chose de grave, mais qu'il a encore une chance, on ne lui rendra pas sa dignité. Le plus souvent, les surveillants sont tellement pressés et obsédés par la sécurité en raison de la multiplication des bagarres, des violences, des viols, des accidents et des incidents, qu'ils ne font plus leur travail.

Rendre à la prison son rôle de réinsertion, c'est d'abord éviter la surpopulation, revenir sur toutes ces lois – notamment les mesures relatives aux peines planchers – qui font que les maisons d'arrêt sont, aujourd'hui, pleines de gens qui pourraient tellement mieux se réinsérer dehors. Il faut également dire aux surveillants qu'ils ont un grand rôle à jouer, celui de rendre la société plus sereine. Dans ce cas, madame la garde des sceaux, peut-être parviendra-t-on à enrayer l'augmentation, d'année en année, des violences non crapuleuses, due au fait que ceux qui sortent de prison ne sont pas préparés à le faire. J'entends bien que vous voulez faire mieux, mais je crois que l'on aurait pu faire beaucoup mieux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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