Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le travail de la commission des lois me rappelle souvent ce dessin animé dérangeant qu'accompagnait de sa voix Claude Piéplu. En effet, j'y ai souvent l'impression d'assister à des séances de plomberie juridique obéissant au principe : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Bref, à force de chercher le diable dans les détails, on manque l'essentiel.
La loi pénitentiaire le confirme. Elle présente une apparence et une réalité, et brouille l'écart entre l'une et l'autre. L'apparence, c'est le souci d'humaniser les prisons, d'affirmer la dignité des détenus et de favoriser leur réinsertion, comme on l'a souvent entendu ce soir. Or, cette évolution contraste quelque peu avec les accents martiaux des lois répressives que nous avons votées encore dernièrement – je pense au texte consacré aux bandes. La réalité lancinante, qui demeure, c'est la surpopulation carcérale : le véritable problème auquel cherche à répondre cette loi.
Soyons objectifs : le nombre de personnes incarcérées en France n'a rien d'exceptionnel. Le taux d'incarcération y est plus faible qu'aux États-Unis, bien sûr, mais aussi qu'en Grande-Bretagne ou en Allemagne. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)
Par ailleurs, le double dysfonctionnement qui tient au rapport entre le nombre de détenus et le nombre de places, et au nombre de condamnations non exécutées résulte, non pas du caractère trop répressif des lois, mais de l'insuffisance des moyens. La population française augmente, la criminalité croît plus vite encore. Le seuil des 4 millions de crimes et délits avait été franchi avec le millénaire, madame Guigou. La majorité actuelle n'a à rougir ni du nombre d'infractions, qui a baissé, ni du nombre de places de détention, qui s'est accru – hélas trop lentement. En marge du plan qui vise à créer 13 200 places d'ici à 2012, cette loi a pour but d'accélérer le flux pour l'adapter aux capacités d'accueil.
Au-delà de cette apparence et de cette réalité, je voudrais rappeler quelques idées qui me paraissent essentielles.
Première idée : une société qui croit en ses valeurs ne doit pas avoir honte de punir ceux qui les transgressent.
Deuxième idée : les objectifs de la punition ne sont pas seulement la protection de la société et la réinsertion du condamné, mais aussi l'apaisement des victimes et la cohésion sociale – ce que Durkheim caractérisait comme la réponse que la justice doit apporter à la blessure infligée à la conscience collective par le crime. Ce dernier point est aujourd'hui tragiquement oublié. Au reste, la prison n'est ni le seul ni le meilleur moyen de répondre à cette exigence.
Troisième idée : les moyens de la peine doivent être cohérents et adaptés. Le paysage actuel est baroque : il y a des condamnés à la prison qui n'y sont pas ; il y a, dans les prisons, des détenus qui ne devraient pas y être, par exemple ceux qui relèvent de la psychiatrie ; il y a ceux que les bavures judiciaires ont relâchés trop vite ; il y a le succès des gadgets électroniques qui fascinent autant le monde judiciaire qu'Harry Potter celui du cinéma ; il y a, enfin, l'insuffisante mise en oeuvre du travail d'intérêt général.
Une peine cohérente et adaptée doit obéir à trois principes : elle peut et doit être pénible, dans un premier temps au moins, lorsque cela contribue à la prise de conscience de la faute. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)