En 1943, du fond de sa cellule, Jean Wahl, philosophe, écrivait ces vers :
« Ces jours dans la prison sont comme un temps moisi (…) Un vieil espoir grelotte au fond de l'air transi. »
Soixante-cinq ans après, mes chers collègues, le temps en prison est encore beaucoup trop souvent ce temps moisi, ce temps mort.
Ni nous, ni vous, chers collègues de la majorité, n'avons le droit de manquer l'occasion qui nous est donnée avec l'examen, enfin, de ce projet de loi pénitentiaire.
Nous n'en avons pas le droit, et pourtant, à l'heure de l'ouverture de nos travaux et au vu de ce qui s'est passé la semaine dernière en commission des lois, j'avoue que je suis inquiète. Je crains fort que tous les rapports et les travaux qui ont dénoncé le caractère inacceptable de l'état des prisons françaises n'aient été publiés pour rien. Je crains aussi que les critiques du commissaire européen en charge des droits de l'homme ne soient même plus entendues, encore moins écoutées. Dès 2005, il écrivait pourtant : « Une telle situation est inacceptable en soi. […] Au lieu de conduire vers la réinsertion, cette tendance pourrait endurcir la personne et provoquer sa révolte contre les règles de la société. »
Madame la ministre d'État, ce projet de loi constitue une occasion manquée ; en effet, il ne s'attaque pas au principal problème de la condition pénitentiaire : la surpopulation.
Nous connaissons les chiffres en la matière et je n'en citerai que deux. Aujourd'hui, le quartier des hommes de la maison d'arrêt de Caen compte 463 détenus pour 200 places. Aujourd'hui, comme l'indiquait M. Pinte, plusieurs centaines de personnes – 500 ou 600 – seraient détenues en France sans même disposer d'un lit, avec seulement un matelas pour dormir par terre.
Le constat est là, partagé, unanime. Si vous n'agissez pas sur le fléau de la surpopulation, les mesures que vous proposez resteront lettres mortes. Ainsi, avec une surpopulation de 200 % en maison d'arrêt, la sélection pour être admis au travail est plus rude, le nombre des personnes en situation d'indigence augmente à mesure que le travail diminue, l'accès au parloir est plus réduit, l'accès aux soins presque inexistant, la sécurité n'est pas assurée...
Par ailleurs, tout suivi et tout parcours de réinsertion se révèlent impossible, car il ne peut être exigé du détenu de respecter, à sa sortie, les règles de la société si l'institution carcérale, elle-même, dans son fonctionnement, n'a pas respecté le détenu en tant que sujet de droit.
Cette situation a également un impact considérable sur les conditions de travail du personnel, insuffisant en nombre et sous tension permanente.
Madame la ministre d'État, les maisons d'arrêt explosent en raison d'une politique pénale ultra-répressive qui fait de la prison non pas l'ultime recours qu'elle devrait être, mais la seule voie.
Malheureusement, vous suivez les pas de votre prédécesseur qui, au Sénat, avait présenté la construction de nouvelles prisons comme unique action de lutte contre la surpopulation carcérale.
Je vous en conjure, faute d'entendre la gauche de cet hémicycle, écoutez au moins la CNCDH, la commission nationale consultative des droits de l'homme, selon laquelle « la surpopulation et l'inflation carcérales ne pourront être contenues par le développement incessant de programmes immobiliers » !
Il y a deux solutions pour combattre la surpopulation : augmenter le nombre de places etou diminuer le nombre de détenus, sans pour autant laisser de peines non exécutées. À elle seule, la première solution ne peut suffire. Pour lutter vraiment contre la surpopulation en maison d'arrêt, nous vous proposons, à la suite d'Étienne Pinte, la mise en place d'un numerus clausus, qui existe de fait dans les centres de détention.
En 1989, il y a vingt ans déjà, Gilbert Bonnemaison, préconisait une telle solution. Ce numerus clausus permettrait une détention dans la dignité, que nous réclamons sur tous les bancs de cet hémicycle, une détention qui aurait du sens. Dès le premier jour, on travaillerait à la préparation de la sortie du détenu : c'est l'intérêt de ce dernier mais aussi celui de la société.
Il y a quelques jours, dans Le Monde, un philosophe dénonçait « des prisons pleines, mais vides de sens » et, un peu plus loin, « des ministres de la justice qui se succèdent sans idées ni courage ». Madame la ministre, vous en avez appelé, au début de notre débat, à notre responsabilité. Permettez-moi d'en appeler à votre courage, pour que plus jamais aucun poète n'écrive, du fond de sa cellule, que les « jours dans la prison sont comme un temps moisi ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)