Monsieur le Président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nos prisons sont une honte pour la République.
J'ai ressenti cela il y a douze ans lorsque, pour la première fois, j'ai visité une prison.
De multiples voix se sont élevées ces dernières années pour mettre fin à ce scandale : les associations, les missions parlementaires de l'Assemblée nationale et au Sénat en 2000 et, plus récemment, le Président de la République devant le Congrès.
Ce consensus républicain, si rare, devrait rendre possible une grande loi pénitentiaire. Hélas, le projet qui nous est soumis en urgence – ce qui est dommage pour un texte concernant les droits fondamentaux des personnes – est décevant.
Dans les cinq minutes qui me sont imparties, je ferai cinq propositions – c'est ce que vous nous demandez – pour une grande loi de consensus.
D'abord, ce serait une loi qui respecte les règles européennes. Notre pays a été à de multiples reprises condamné par l'ONU, par le comité européen de prévention de la torture et par le Conseil de l'Europe. Le rapport Canivet, qui m'a été remis en 2000, a recommandé une loi pénitentiaire. Notre groupe, à l'initiative de Marylise Lebranchu, a rédigé des propositions de loi, malheureusement rejetées par votre majorité.
Une seule des mesures que nous avons proposées a été retenue par votre gouvernement et votre majorité sous la pression de l'Europe : l'instauration d'un contrôleur général des peines privatives de liberté, poste que M. Delarue occupe de façon excellente. Mais, hélas, Mme Dati a décidé en mai dernier un moratoire sur l'application des règles pénitentiaires européennes. Où est, dans votre projet, l'engagement de respecter intégralement les règles européennes ?
Ma deuxième proposition est de faire une loi qui donnerait à l'administration pénitentiaire les moyens de remplir sa mission. Votre texte rappelle le sens de la peine. Mais où sont les moyens pour que le détenu prenne conscience de son acte, le regrette, accepte de payer sa dette à la société et ait la volonté, à la sortie, de ne pas recommencer ? Pour obtenir cela des détenus, il faut un suivi médical, social et judiciaire dès le début de la peine jusqu'à la sortie et, pour certains détenus, après la sortie. C'est ce que la loi de 1998 a prévu pour les délinquants sexuels. C'est le rôle des conseillers d'insertion et de probation qui, depuis 1999, interviennent aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des prisons. Ils sont aujourd'hui 3 000 pour suivre 222 000 personnes, soit un travailleur social pour 75 personnes : mission impossible, bien sûr. Ma proposition est de se donner les moyens de la politique annoncée.
Ma troisième proposition est que la prison respecte les lois de la République et la dignité des détenus. Or la prison est un lieu de violences en tous genres : entre détenus, du détenu sur lui-même – mutilations, suicides –, des détenus sur les surveillants et parfois, hélas, de ceux-ci sur les détenus – isolement disciplinaire, fouilles corporelles. La prison doit redevenir un lieu où la loi et les droits sont respectés, car « on ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu'en la traitant comme un citoyen » pour citer Guy Canivet.
Certes, votre texte annonce des droits pour les détenus ; Jean-Jacques Urvoas a dit ce qu'il fallait en penser. Bien traiter les détenus, c'est aussi prévenir les suicides. Mais il ne suffit pas de prévoir des draps et pyjamas spéciaux. La vraie prévention des suicides dont nous avons besoin, « c'est chercher, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension d'acteur et de sujet de sa vie », comme l'affirmait ma circulaire de 1998.
Il y a d'autres formes de violence : la saleté, les toilettes ouvertes aux regards, les cellules et douches insalubres, la promiscuité. Les règles européennes sont claires : chaque détenu doit pouvoir dormir dans un lit. J'aurais aimé le lire dans votre loi, car 500 détenus passent la nuit sur des matelas par terre.
Ma quatrième proposition est d'assurer une préparation sérieuse à la réinsertion. Vous-même l'avez dit, les sorties sèches, non préparées, poussent à la récidive. La solution est dans les aménagements de peine : bracelet électronique, semi-liberté, libération conditionnelle, placement à l'extérieur permettent des transitions entre la prison et l'extérieur. Quant aux courtes peines, il vaut mieux les exécuter ailleurs qu'en prison. Le texte initial prévoyait d'élever d'un an à deux ans le seuil en dessous duquel il est possible d'exécuter la peine hors de prison. Sous les pressions, vous avez reculé, puis, ici même, cet après-midi, vous avez approuvé le seuil de deux ans ; tant mieux, mais c'est avec des conditions qui, pour les délinquants sexuels, ne me paraissent pas recevables.
Enfin, aucune mesure d'humanisation ou d'aménagement ne sera correctement appliquée tant que subsistera la surpopulation actuelle. Quand des détenus sont entassés à trois ou quatre dans des cellules prévues pour un seul, l'hygiène est inexistante, les tensions et les agressions multipliées, les mouvements à l'intérieur de la prison limités, il y a moins de douches, de sorties de cellule pour le travail ou les visites médicales. Si l'on veut prévenir la récidive, il ne faut pas que les détenus restent 23 heures sur 24 en cellule mais qu'ils puissent travailler, s'instruire, se soigner, faire du sport. Tout cela est impossible en cas de surpopulation.
La construction de nouvelles places de prison est une fuite en avant qui ne résoudra rien tant que l'on continuera à considérer la prison comme la seule peine possible.
J'en profite pour vous dire, madame, que contrairement à ce que vous avez affirmé cet après-midi, j'ai lancé dès 1998, et financé, la construction de six nouvelles maisons d'arrêt ; mais c'était pour fermer des prisons vétustes. La première, à Avignon, a été inaugurée six ans après, donc dans un délai normal, par M. Perben.
Vous aurez 63 000 places en 2012 mais, au rythme actuel, il y aura alors 80 000 détenus. Cela ne résoudra donc rien.
Et ne comptez pas régler le problème de la surpopulation en supprimant le droit à une cellule individuelle. Ce droit, voté en 1875, rendu obligatoire par la loi du 15 juin 2000 au plus tard pour 2003, date butoir sans cesse repoussée par vos prédécesseurs, a finalement été abandonné par Mme Dati et par vous, sous de faux prétextes. Je ne peux pas voter une loi qui supprime le droit à l'encellulement individuel.
Pour conclure, le problème de fond est de mettre en cohérence la politique pénale et la politique pénitentiaire. On ne peut mener une politique pénitentiaire qui prétend vider les prisons quand on mène une politique pénale qui les remplit sans cesse plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Au Sénat, Robert Badinter espérait que cette loi ne serait pas une occasion manquée. Je crains, hélas, que ce projet tant attendu ne soit qu'une espérance déçue. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)